
© Gwenaël Piaser
Cet article est issu de la Lettre de l'asile et de l'intégration, newsletter bimestrielle de France terre d'asile qui propose un éclairage sur des problématiques liées à l'asile et l’intégration en France. Inscrivez-vous pour la recevoir !
Le 13 février 2025, 40 associations, dont France terre d’asile, ont attaqué l’État en justice pour non-assistance à personnes mal logées. Une procédure qui intervient alors que l’État vient déjà d’être condamné par la Cour administrative de Bordeaux pour « carence » dans l’hébergement d’urgence des personnes exilées et que les recours en justice déposés par les villes contre son inaction augmentent.
« La situation est dramatique : il est temps que la justice intervienne pour rappeler l’État à ses obligations », alerte Maider Olivier, coordinatrice du Collectif des Associations pour le Logement (CAL). C’est au nom de ce Collectif que 40 associations de lutte contre les exclusions, impliquées dans le champ du logement et/ou de l’hébergement, ont attaqué l’État en justice pour « non-assistance à personnes mal logées ». Les associations souhaitent « rappeler à l’État que la loi n’est pas facultative » et le contraindre à respecter ses obligations en matière d’hébergement et de lutte contre le mal-logement, alors que le nombre de personnes à la rue ou mal-logées augmente de manière continue en France.
Les personnes exilées comptant parmi les premières victimes du mal logement et du sans-abrisme, des associations de défense de leurs droits – dont France terre d’asile – se sont jointes au recours. Alors que 40 000 à 70 000 personnes en demande d’asile n’ont toujours pas accès à un hébergement adapté en France, la loi de finances 2025 a supprimé 6 500 places d’hébergement pour les demandeurs d’asile. Déjà confrontées à des parcours migratoires souvent tragiques, les personnes exilées à la rue ou mal-logées subissent des conditions de vies précaires et il leur est encore plus difficile d’être accompagnées par des associations.
Si les associations sont responsables de la gestion de l’hébergement d’urgence, des centres d’accueil et de l’accompagnement des personnes en situation de précarité, elles ne sont que délégataires de service public. Selon le code de l’action sociale et des familles, c’est à l’État de conduire et de financer les politiques d’hébergement et de logement. Les carences historiques de l’Etat dans ses missions d’hébergement inconditionnel et de logement, auxquelles s’ajoutent de récentes réductions budgétaires impactent donc directement la capacité des associations à conduire leurs missions d’accueil et d’accompagnement. Fragilisées économiquement, certaines structures sont contraintes de supprimer des emplois ou de fermer.
Affaire non-assistance à personnes mal logées
Comme « l’Affaire du siècle » en 2021, l’objectif de « l’Affaire non-assistance à personnes mal logées » est de faire reconnaître le manquement de l’État à ses obligations et de le contraindre à prendre des mesures. Les associations espèrent provoquer un « effet de levier et une prise de conscience », un « pari ambitieux » sur « la bonne réaction de l’État et sur la bonne intelligence [des] dirigeants ». Pour Manuel Domergue, porte-parole du CAL et directeur des études à la Fondation pour le logement des défavorisés, « c’est une démarche inédite, à laquelle participent des associations financées par l’État pour mettre en œuvre l’hébergement d’urgence ».
Deux recours en responsabilité ont été déposés devant le tribunal administratif de Paris, un sur l’hébergement d’urgence, l’autre sur le Droit au Logement Opposable (DALO). Ces contentieux se basent sur les obligations légales de l’État de lutter contre le sans-abrisme et d’assurer le droit au logement, et le CAL a déjà dressé une liste de propositions si la justice leur est favorable. Parmi elles : produire plus de logements sociaux, créer des places d’hébergement d’urgence ou encore mettre fin aux critères illégaux d’accès à l’hébergement.
Alors que le dernier rapport de la Fondation pour le logement des défavorisés a recensé 350 000 personnes sans domicile en 2025, il existe seulement 203 000 places d’hébergement d’urgence en France. Un chiffre insuffisant dans un contexte particulièrement alarmant : au moins 6 000 personnes dont 2 000 enfants sont refusées par le 115 chaque soir. « Quand j’appelais le 115, c’était difficile. Je me levais à 5h du matin pour appeler. On te dit c’est trop tôt, de rappeler à 7h. Il y a 45 minutes avant qu’on te réponde, on te dit qu’il n’y a plus de places », témoigne Nafissatou, sénégalaise.
L’État déjà condamné pour « carences » dans l’hébergement d’urgence
L’Affaire non-assistance à personnes mal-logées fait suite à d’autres recours, notamment de collectivités territoriales contraintes de pallier les manquements de l’Etat en matière d’hébergement.
Le 13 février 2025, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a condamné l’État à rembourser la Communauté d’agglomération Pays basque (CAPB) pour sa prise en charge de l’accueil des personnes exilées sur la commune de Bayonne. Dans son arrêt, la juridiction bordelaise précise que « la carence de l’État [est] avérée et prolongée. »
Depuis son ouverture en 2018, le centre d’accueil de « Pausa » a vu passer pas moins de 35 000 personnes exilées. Géré par la ville de Bayonne et financé par la CAPB, le centre est devenu pérenne après avoir été créé provisoirement en réponse à une situation de « crise ». La fermeture de la frontière franco-italienne en 2015 avait entraîné l’augmentation des arrivées par la frontière franco-espagnole, amenant la CAPB à prendre en charge l’hébergement d’urgence. La mobilisation de l’Agglomération, des citoyens et des associations a permis de pallier les défaillances de l’État et d’accueillir dignement les personnes exilées. « C'est très important d'avoir un centre pareil, tout le monde passe ici, on nous donne à manger, des habits. Sans ce centre, ça aurait été difficile pour moi parce que je ne suis pas habitué à dormir dans la rue », partage Sidibé, guinéen.
L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux pourrait inciter d’autres collectivités confrontées à la même situation à engager un recours, et les avocats de la CAPB espèrent un « effet de contagion » de cette jurisprudence. Cette décision de justice donne espoir aux associations qui dénoncent « dix ans de non-accueil des personnes exilées en France » et qui proposent depuis des années des solutions pour agrandir le parc de logement et d’hébergement au niveau national.
Le 25 mars 2025, la ville de Grenoble a obtenu la condamnation de l’État pour « carence fautive » en matière d’hébergement d’urgence et le remboursement des frais engagés par la commune pour avoir hébergé une mère et ses enfants pendant plus de deux ans. Cette décision est la première rendue suite aux recours en justice déposés le 15 février 2024 par les maires écologistes et socialistes de cinq grandes villes françaises (Strasbourg, Bordeaux, Grenoble, Lyon et Rennes). Ils avaient annoncé poursuivre l'État devant la justice administrative pour dénoncer ses « carences » en matière d'hébergement d'urgence et réclamer « une refonte » d'un système « à bout de souffle ».
Deux mois plus tôt, ces cinq villes et Paris avaient intenté des recours gracieux devant leurs préfectures respectives. Elles demandaient le remboursement des dépenses mises en œuvre par les collectivités pour pallier les défaillances de l’État en matière d’hébergement, des dépenses qui n’entrent pas dans leur domaine de compétences. En l’absence de réponses satisfaisantes de l’administration, les collectivités (excepté Paris) ont décidé de saisir les tribunaux administratifs dont elles dépendent pour y déposer des « recours indemnitaires contentieux ».
Le Conseil d’État avait déjà rappelé à l’État ses obligations en matière d’hébergement d’urgence en décembre 2022, en le condamnant à rembourser le département du Puy-de-Dôme pour l’hébergement d’urgence de familles vulnérables.