À Paris, une dizaine de personnes ont participé à un atelier d’improvisation théâtrale organisé dans le cadre de notre programme de parrainage citoyen « Duos de demain ».
© Karzan Sofiwan

À Paris, une dizaine de personnes ont participé à un atelier d’improvisation théâtrale organisé dans le cadre de notre programme de parrainage citoyen « Duos de demain ».
Il est 18 heures quand Joëlle, art-thérapeute, transforme une salle de formation en scène de théâtre. Progressivement, un groupe de personnes arrive, s’échange quelques regards, quelques mots.
Il y a des années, Joëlle a monté une troupe de théâtre. Ancienne psychologue, elle s’est formée à l’art-thérapie. Après le départ de ses enfants, elle est devenue hébergeuse citoyenne et depuis quelques mois, elle est marraine au sein du programme Duos de demain qui permet la rencontre entre une personne francophone et une personne réfugiée. L’objectif est de se voir une fois par mois, d’organiser des activités, d’échanger régulièrement… C’est dans le cadre de ce programme qu’est organisé cet atelier théâtral.
« J’ai proposé l’activité aux Duos sans trop détailler » précise Camille, qui s’occupe du suivi du programme. « Je ne voulais pas que les personnes s’auto-censurent et ne viennent pas en pensant qu’elles n’avaient pas un assez bon niveau de français pour y participer. », précise-t-elle. Pour Joëlle, c’est la première fois qu’elle anime un atelier avec des personnes non francophones. Elle confie avoir révisé son anglais exprès et avoir préparé un maximum d’exercices pour pouvoir s’adapter en fonction des réactions. Très vite, elle repère un petit groupe qui parle espagnol avec qui elle va échanger avant de débuter.
18h30, l’atelier débute, tout le monde se met en rond. Premier exercice : chacun·e doit dire son prénom de manière théâtrale, et le groupe doit le répéter avec les mêmes gestes et intonations. Joëlle débute en criant, le groupe rigole et se prête progressivement au jeu.
Créer des liens

« Au théâtre il faut se regarder et s’écouter » annonce Joëlle avant de présenter le nouvel exercice. Les participant·es doivent communiquer les un·es avec les autres avec des gestes, se les envoyer et les recevoir. Les personnes sourient, accélèrent le rythme pour corser la difficulté et rigolent quand le jeu s’arrête. Le jeu se poursuit avec des mots, simples et accessibles à toutes et tous. Le but est d’apprendre à se connaître, de commencer à se lâcher.
Puis viennent les scènes de groupe, les personnes sont libres d’aller rejoindre la scène si elles le veulent, quand elles le veulent. À la plage, au travail, en voyage, les participant·es prennent la pose comme s’ils étaient sur une carte postale grandeur réelle. L’exercice dépasse même l’imagination puisque Karzan immortalise l’instant avec son appareil photo. Participant au programme Duos de demain, il est passionné de photos et aime venir aux ateliers, surtout pour les photographier !
Pour des personnes exilées ayant un parcours marqué par de nombreuses ruptures, le collectif permet de rompre l’isolement en créant du lien social. « Ce qui m’importe, c’est que les personnes se rencontrent, qu’elles parlent entre elles à la sortie de l’atelier, qu’elles échangent leurs numéros. » avait partagé Joëlle avant de débuter la séance. L’effet de groupe incite aussi à la libération de la parole et au lâcher prise. À terme, ce type d’atelier peut contribuer à restaurer l’estime de soi et la confiance dans son entourage.
Partager ses émotions

Les participant·es s’approprient l’espace dans la salle et marchent dans tous les sens. Ils et elles doivent mimer le fait d’être pieds nus dans la neige, de marcher depuis longtemps dans le désert, d’être perdu·es dans Paris… Des scènes de fiction qui pour certain·es, peuvent faire revenir des souvenirs douloureux liés au parcours éprouvant de l’exil.
Les minutes qui suivent, Joëlle leur propose de mimer des émotions : « on est contents, joyeux, muy alegre », deux jeunes rigolent et se tapent dans la main. Puis la colère, la peur, la tristesse. Joëlle précise « mais si vous n’avez pas envie, vous ne le faîtes pas », l’un des participants se met alors de côté. Zuleima, qui a participé à l’atelier, confie à la fin se sentir relaxée après avoir pu libérer un peu de ce qu’elle gardait en elle. Pour des personnes qui ont vécu un parcours migratoire long, dangereux et source de traumatismes, l’art-thérapie peut favoriser un sentiment d’apaisement par la libération de certaines émotions et du stress.
Pour créer des liens de confiance, deux par deux, les participant·es doivent guider leur partenaire qui a les yeux fermés en le guidant par les épaules, sans parler. Le but est de ne jamais se cogner, quitte à s’arrêter s’il y a un obstacle. Certain·es participant·es gardent les yeux un peu ouverts pour s’assurer de ne pas tomber.
Se projeter

Place maintenant à l’exercice du chapeau. À tour de rôle, les participant·es doivent se saisir du chapeau posé par terre au centre du cercle et lui donner vie : il peut devenir un bébé, une voiture, une chaussure… En fonction de l’imagination de chacun·e.
Abda a une vingtaine d’années, il veut devenir couturier. Il coud déjà sur son temps libre, pour créer des costumes pour des fêtes. Pour l’instant, il est préparateur de commandes. Il s’est levé à 5 heures du matin le jour même pour commencer à travailler. Souvent, le week-end il fait des heures supplémentaires pour mettre de l’argent de côté. Un jour, il aimerait ouvrir son propre atelier. Alors il saisit le chapeau et le transforme en machine à coudre.
La vie quotidienne s’immisce dans les exercices d’improvisation théâtrale - dans des scènes collectives, les participant·es jouent l’attente à l’arrêt de bus, le fait d’être à la gare et de chercher son train, de se rendre à l’école…
Une scène est jouée entièrement en espagnol - « L’important, c’est que l’on ressente les émotions », précise Joëlle. Deux amies font semblant de se retrouver après des années, « T’as grandi dis donc » plaisante l’une d’elle. Leur joie est communicative : le reste de la salle rigole avec elles. À la fin de la séance, Carolina confiera qu’en plus de s’être beaucoup amusée, elle a réussi à se sentir « libre ».
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