© UNICEF / Mulugeta Ayene
Cet article est issu de la Lettre de l'asile et de l'intégration, newsletter bimestrielle de France terre d'asile qui propose un éclairage sur des problématiques liées à l'asile et l’intégration en France. Inscrivez-vous pour la recevoir !
Les départements demandent à l’État un soutien supplémentaire à l’Aide sociale à l’enfance, spécifiquement dans la prise en charge des mineurs non accompagnés. Alors que les départements avancent que la prise en charge de ces enfants relève de la politique migratoire, le droit français et international assure la primauté de leur statut d’enfant sur leur statut d’étranger.
Le 11 octobre 2023, la commission exécutive des Départements de France adoptait, à l’unanimité, une résolution dans laquelle elle demande à l’État des évolutions réglementaires concernant l’Aide sociale à l’enfance (ASE), et plus particulièrement la prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA). En effet, les départements demandent à l’État une plus grande contribution dans la prise en charge de ces jeunes, considérant qu’elle relève des politiques d’immigration.
Aujourd’hui, les mineurs isolés étrangers, aussi appelés mineurs non accompagnés relève de la protection de l’enfance puisqu’ils ou elles n’ont pas de représentants légaux et se trouvent dans une situation d’isolement (Voir France terre d’asile – Mineurs isolés étrangers : l’essentiel, 2017)
D’après la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 et le Code de l’action sociale et des familles, les mineurs isolés ont les mêmes droits que les enfants français en danger et doivent donc bénéficier de la protection à l’enfance, être hébergés dans un établissement adapté, être accompagnés et encadrés par des professionnels en fonction de leur besoin, être scolarisés, formés et accompagnés les premières années suivant leur majorité.
Depuis la loi sur la protection à l’enfance de 2007, ces jeunes sont placés sous la protection de l’Aide sociale à l’enfance, une mission dévolue aux départements. Afin d’en bénéficier, les jeunes étrangers doivent dans un premier temps faire l’objet d’une évaluation afin que leur minorité et leur isolement soient établis. Durant la période d’évaluation, les départements sont responsables de la mise à l’abri et de la prise en charge de ces jeunes isolés.
À l’issue de l’évaluation, le département prend la décision de reconnaître, ou non, le jeune comme mineur. En cas de refus, la prise en charge prend fin et le juge des enfants pourra être saisi dans le cadre d’un recours. Dans le cas où le jeune est reconnu mineur, il doit être accompagné dans ses différentes démarches et bénéficier des protections prévues dans le cadre du droit commun de la protection de l’enfance.
Face aux difficultés de l’aide sociale à l’enfance, les demandes d’aide des départements
Depuis plusieurs années, l’Aide sociale à l’enfance est confrontée à de nombreuses difficultés et à des politiques variant d’un département à l’autre. La prise en charge des mineurs isolés cristallise les tensions, dans un contexte de hausse du nombre de jeunes arrivant en France.
Dans ce contexte, les départements demandent un plus grand soutien au niveau national dans la prise en charge des mineurs isolés étrangers, qu’ils présentent comme relevant de la politique migratoire et relevant du mandat de l’État. La résolution adoptée par le Comité exécutif de Départements de France « entre en totale contradiction avec la Convention des Droits de l’Enfant et son interprétation par le Comité des Droits de l’Enfant » a alerté Unicef France dans un communiqué.
Cette question de la répartition des compétences entre État et départements revient régulièrement dans les débats, généralement en lien avec des hausses des arrivées. Aujourd’hui, les départements exigent la prise en charge par l’État de la mise à l’abri des jeunes le temps de l’évaluation de leur minorité, ainsi qu’une compensation à l’euro près des dépenses engagées pour les mineurs reconnus comme tel. Enfin, les départements souhaitent réautoriser l’accueil en hôtels et gîtes pour les mineurs isolés de plus de 16 ans, alors que cette pratique vient d’être interdite par la loi sur la protection de l’enfance de 2022.
Un renversement de la primauté du statut d’enfant sur celui d’étranger
La logique de ces propositions revient à aborder la question de la prise en charge des mineurs isolés étrangers sous le prisme de l’immigration plutôt que de la protection de l’enfance. En ce sens, les départements font primer le statut d’étranger sur celui de l’enfant, allant à l’encontre des droits français et international.
En effet, la prise en charge par l’État des jeunes étrangers le temps de l’évaluation de leur minorité serait discriminatoire par rapport aux autres mineurs en danger, en consacrant un système dérogatoire fondé sur la nationalité. En 2022, la défenseure des droits avait déjà rappelé aux départements que « les jeunes exilés se disant mineurs doivent être considérés comme tel et jouir immédiatement des droits et de la protection s’y attachant » (Défenseure des droits (2022) « Les mineurs non accompagnés au regard du droit »)
Aujourd’hui, l’État fournit déjà une aide financière aux départements dans la prise en charge des mineurs isolés, à la fois pour la phase d’évaluation et pour la phase d’accompagnement et d’accueil pendant leur minorité. L’État pourrait renforcer ce soutien financier mais aussi soutenir une harmonisation des pratiques à travers le territoire, sans qu’un transfert de compétences n’intervienne.
Le nombre de jeunes se présentant comme mineurs a fortement augmenté ces derniers mois, marquant une reprise suite à plusieurs années de baisse liées à la crise sanitaire. En 2022, le ministère de la Justice a recensé près de 15 000 mineurs isolés confiés aux départements, un nombre en hausse mais qui ne représente qu’une très faible part des 370 000 jeunes suivis par l’Aide sociale à l’enfance, selon les chiffres de 2021.