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Après cet été chaud marqué par les accostages difficiles de L'Aquarius et du Diciotti , la réforme de l'asile et des migrations revient sur la table des 28 qui se retrouvent, à Salzbourg, pour un sommet informel en grande partie consacré à cette épine douloureuse plantée dans le talon européen. Angela Merkel et Sebastian Kurz, le chancelier autrichien qui assure la présidence tournante de l'UE, ont d'ores et déjà annoncé qu'il ne fallait attendre « aucune décision », mais seulement d'importantes discussions politiques.
L'été a, en effet, démontré que le sommet de juin (voir ici ses conclusions) n'avait absolument pas débloqué la situation. La révision du Règlement de Dublin III qui régit les allées et venues au sein de l'espace Schengen demeure extrêmement controversée, notamment avec l'Italie, l'un des pays les plus exposés aux flux migratoires par la mer. L'agenda politique n'est pas propice à un consensus dans la mesure où l'approche des élections européennes cristallise un débat entre europhiles et eurosceptiques, les seconds n'ayant rien à gagner à ce que l'Europe trouve des solutions. Au contraire ! Matteo Salvini, en particulier, a parfaitement compris qu'en jouant une carte personnelle de défiance envers les règles internationales de l'asile et en exigeant, par oukase, la solidarité des nations les plus proches, il gagnait en popularité et accréditait en même temps l'idée d'une Europe impotente. Double jackpot : non seulement on ne règle pas le problème, mais on l'amplifie, et en plus, on peut en rejeter la faute sur l'Europe et grimper dans les sondages. Alors, pourquoi s'en priver ?
Néanmoins, vendredi, Matteo Salvini et son homologue autrichien, Herbert Kickl (allié d'extrême droite du gouvernement Kurz), qui se retrouvaient à Vienne, ont proposé une solution : organiser le tri des migrants entre les réfugiés légitimes et les migrants économiques (qui n'ont pas vocation à entrer en Europe) sur les embarcations en mer. Donc, sur des bateaux sans que les migrants, candidats à l'asile, puissent mettre un pied sur le continent européen. Interrogée sur cette proposition, la Commission rappelle que l'examen des situations des candidats à l'asile ne s'effectue pas en quelques jours, mais prend généralement six mois et qu'il faudrait donc maintenir en mer ces candidats à l'asile européen dans des conditions que la santé publique ne garantit pas. L'Union européenne n'est de toute façon pas équipée pour maintenir au large des centaines d'individus sur des bateaux... Pas très réaliste.
L'Italie, qui attend de ses voisins une solidarité accrue, ne peut pas compter sur le mécanisme de répartition des demandeurs d'asile par quotas obligatoires. Le rejet de ces quotas obligatoires par les pays du bloc de Visegrad (dont la Hongrie de Viktor Orbán a pris le leadership) a tué cette idée, au demeurant faiblement appliquée par les autres États membres. La question de la solidarité, elle, n'est pas balayée. La Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la République tchèque envisagent d'exprimer leur solidarité envers les pays du Sud (Italie, Espagne, Grèce) sous d'autres formes. Une contribution financière de leur part n'est pas jugée suffisante, car ce serait se débarrasser un peu trop aisément du fardeau de la migration sur les autres États membres. D'où l'idée d'une contribution en moyens, personnels, etc. Cela fait partie des discussions envisagées à Salzbourg.
D'ailleurs, tout n'est pas sujet à polémique entre les 28 États membres. Tous s'accordent sur le renforcement des frontières extérieures de l'Europe. Jean-Claude Juncker a donc proposé, dans son discours de l'État de l'Union, de passer la vitesse supérieure en recrutant 10 000 gardes-côtes supplémentaires d'ici à 2020 (contre 1 500 actuellement). En outre, il s'agirait de leur donner plus de pouvoirs qu'ils n'en ont. Si les États membres consentent à cette proposition de la Commission, les 10 000 membres opérationnels de Frontex pourront, à l'avenir, effectuer des contrôles d'identité, autoriser ou refuser l'entrée aux passages frontaliers, intercepter des personnes qui auront traversé les frontières illégalement et aider les États membres dans les opérations de retour au pays d'origine pour ceux qui font l'objet d'une reconduite forcée (sous escorte, donc coûteuse). Pour l'instant, les gardes-côtes de Frontex ne disposent d'aucun de ces pouvoirs... Une aberration ? En tout cas, une volonté des États membres soucieux de leurs prérogatives nationales. Par ailleurs, Frontex pourrait acquérir son propre équipement (navires, avions, véhicules) à condition que l'enveloppe prévue à cet effet (2,2 milliards d'euros) dans le futur budget de l'UE (2021/2027) soit adoptée.
Au nom de la France, Emmanuel Macron pousse « au financement de formations de gardes-frontières, d'équipement non seulement en Libye, comme on le fait depuis un peu plus d'un an très activement, mais aussi dans d'autres pays, comme le Maroc ou la Tunisie, qui font face aujourd'hui au même défi de départ de migrants », indique-t-on à l'Élysée, en amont du sommet de Salzbourg.
La Commission Juncker a également proposé de renforcer l'Agence européenne de l'asile. Là encore, il ne s'agit pas de se substituer aux agences nationales, mais de les aider à assurer une procédure de l'asile plus rapide, plus efficace et éviter, autant que faire se peut, les « mouvements secondaires » (le cas des demandeurs d'asile qui changent de pays à l'intérieur de l'UE, alors qu'ils n'en ont pas le droit). L'agence européenne interviendrait là où une arrivée massive de migrants exige un renfort, comme ce fut le cas en Grèce au début de la crise irako-syrienne. L'aide de l'agence permettrait une identification plus rapide des migrants, une assistance lors des entretiens, la fourniture d'interprètes, une aide juridique à l'élaboration des décisions administratives...
Troisième aspect qui ne pose pas de problème entre les États membres : le renforcement des retours aux pays d'origine. Sur l'ensemble des 28, seulement 36,6 % des migrants en situation irrégulière sont renvoyés. En 2017, sur les 516 115 personnes ayant reçu l'ordre de quitter l'Union européenne, 188 905 ont été renvoyés, selon les chiffres de la Commission. Le pourcentage des retours était un peu meilleur en 2016 : 226 150 retours effectifs sur 493 785 personnes invitées à repartir chez elles, soit 45,8 %. « Nous devons considérablement intensifier notre effort et notre action en la matière », a déclaré Jean-Claude Juncker dans son discours sur l'état de l'Union. Joignant le geste à la parole, il propose une révision ciblée de la directive « retour » adoptée en 2008 (et inégalement appliquée, du reste). Des incohérences dans les procédures ont grippé la machine...
Parmi les nouveautés, la Commission propose une « procédure accélérée aux frontières ». Il s'agit de procédures simplifiées quand il apparaît « manifeste » qu'une personne ne présente pas les caractéristiques d'un réfugié. Pour éviter que la personne déboutée du droit d'asile ne disparaisse dans la nature, elle serait détenue dans un « centre contrôlé » pour une période maximum de 4 mois. Il s'agit, selon la Commission, du délai incompressible afin de procéder aux démarches administratives nécessaires au retour. En effet, le retour au pays exige que l'État d'origine reconnaisse son ressortissant, qui a souvent égaré ou détruit ses papiers, et que de nouveaux documents soient établis.
Il existe deux possibilités de retour : le « retour volontaire » ou le « retour forcé ». Le second cas exige un encadrement policier coûteux en personnel. L'Union européenne privilégie donc le « retour volontaire ». Dans ce cas, elle accompagne le candidat au retour par un pécule finançant un projet afin d'éviter que celui-ci ne reprenne immédiatement le chemin de l'Europe... En 2017, le nombre de retours volontaires s'est élevé à 54 285 au sein de l'espace Schengen, selon Eurostat (dont 5 935, s'agissant de la France). Dans le meilleur des cas, les nouvelles propositions de la Commission ne seront adoptées que lors du sommet de Sibiu, le 9 mai 2019, après avoir été débattues jeudi à Salzbourg, puis plus formellement lors du Conseil européen d'octobre 2018.
Enfin, le sujet des migrations économiques ne peut-être écarté d'un revers de main. Aussi, comme Angela Merkel le préconise depuis longtemps, la Commission recommande d'instaurer une filière légale de migration (qui n'a donc rien à voir avec le statut de réfugié). La Commission a proposé une « carte bleue » pour attirer les « migrants à hauts potentiels ». Un grand nombre de pays européens seront confrontés dans les décennies à venir à une baisse démographique préoccupante. Le besoin d'une main-d'œuvre se fera sentir...
La Commission tente d'anticiper. Mais le message a bien du mal à passer auprès des décideurs, plus préoccupés par les prochaines élections. Angela Merkel, elle, n'est plus concernée par les échéances électorales...
Le Point, Emmanuel Berretta, le 19 septembre 2018.