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« Vous avez des nouvelles de votre côté ? » Khadija a réussi à se faire prêter un téléphone quelques secondes. Elle est inquiète : « Nous n’avons aucune information. Qu’est-ce qui va se passer ? » Cette femme libyenne fait partie des cinquante-huit personnes secourues par l’Aquarius en Méditerranée centrale et arrivées à Malte dimanche 30 septembre.
L’île a accepté d’accueillir ces migrants, majoritairement originaires de Libye et du Pakistan, dans la mesure où des Etats membres de l’Union européenne (UE) se sont mis d’accord pour se répartir leur prise en charge, à l’image du dispositif plusieurs fois déroulé depuis la fermeture des ports italiens aux navires humanitaires, cet été.
Cette fois, la France, l’Allemagne, le Portugal et l’Espagne ont déclaré vouloir participer de ce partage européen. Les équipes de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) ont entamé, mardi 2 octobre, des entretiens à l’Initial Reception Center (ICR), un centre fermé dans lequel sont maintenues les personnes débarquées de l’Aquarius. Paris s’est engagé à offrir sa protection à dix-huit d’entre elles.
« J’espère que la France nous entendra », répétait la veille Khadija. En arrivant à Malte, cette mère de famille s’étonnait de ne pas pouvoir choisir son pays de destination. Désormais, elle craint de ne pas être choisie et voudrait s’offrir au premier Etat venu. « La police nous a confisqué nos téléphones, poursuit-elle. Ici, c’est comme une prison. »
C’est près de La Valette que les rescapés de la Méditerranée centrale ont été placés, dans une zone portuaire où de vieux bateaux rouillent à quai dans une eau mazoutée. Des grilles signalent le bâtiment principal de l’ICR – dont les autorités maltaises nous ont refusé l’accès – et, penchés aux coursives extérieures, les anciens hôtes de l’Aquarius attendent.
« Les téléphones sont confisqués par la police pour des vérifications de sécurité et nous pressons les autorités de les remettre aux personnes car nous pensons qu’il est important que certains puissent contacter leur famille, confirme Kahin Ismaïl, représentant à Malte du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) des Nations unies. Les conditions d’accueil doivent être améliorées, en particulier concernant les mineurs isolés. »
Depuis que le ministre d’extrême droite italien, Matteo Salvini, a fermé les ports de son pays aux migrants secourus en mer – alors même que les traversées en Méditerranée ont diminué de 80 % cette année –, Malte a déjà accueilli trois débarquements ayant fait l’objet d’une répartition entre Etats membres volontaires.
Trois autres relocalisations ont eu lieu, depuis Valence et Algésiras en Espagne et Pozzallo en Italie, précédées à chaque fois du blocage des bateaux et des personnes en mer et de longues négociations entre Etats. Mais ces solutions « ad hoc » – qui ont concerné autour de 1 700 personnes au total – continuent de prévaloir, en l’absence d’un accord européen pérenne sur l’accueil et la répartition des migrants. « L’asile, c’est devenu la place du marché, commente un observateur avisé. Il n’y a aucun cadre juridique et ça marche un peu selon le principe du premier arrivé, premier servi. »
Les Etats choisissent les personnes qui bénéficieront de leur protection, sans toujours beaucoup de clarté. Certains, comme l’Italie ou la Norvège par exemple, ont, en outre, pris en charge moins de personnes qu’annoncées initialement. « Je ne sais pas quels critères sont mis en œuvre, et c’est aussi pour cela que nous plaidons pour une approche harmonisée, reconnaît Kahin Ismaïl. Il faut quelque chose de plus transparent, pour les réfugiés eux-mêmes et pour que des Etats ne soient pas désavantagés, comme Malte qui se retrouve le dernier à choisir. »
Directrice du service jésuite des réfugiés sur l’île, Katrine Camilleri intervient dans le centre fermé. « La délégation française arrive en premier et on n’a pas le temps d’ouvrir les yeux qu’elle est déjà repartie avec ses réfugiés, plaisante-t-elle. Mais d’autres pays sont beaucoup plus lents. Certaines personnes débarquées du Lifeline en juin ont attendu deux mois dans le centre. D’autres débarquées de l’Aquarius en août sont toujours à l’intérieur. Les gens sont dans l’incertitude. Ils ne savent pas qui va les choisir, combien de temps cela va prendre. Certains sont entendus plusieurs fois par des délégations, d’autres jamais. Dans ce processus de relocalisation, les règles de l’asile sont foulées au pied. »
Promoteur actif d’un système de solidarité européenne, le directeur de l’Ofpra, Pascal Brice, reconnaît le risque d’un « essoufflement ». Les accords entre Etats sont de plus en plus difficiles à sceller. « Le système actuel touche à ses limites, prévient, à son tour, Jamil Addou, directeur du Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO), basé à Malte. Nous avons besoin d’une réponse structurée et respectueuse du droit d’asile. »
Le Monde, Julia Pascual, le 2 octobre 2018.