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C’est un coup de massue pour Athènes. A partir de mi-mars, les pays de l’Union européenne, dont la France, seront autorisés à renvoyer vers la Grèce tous les demandeurs d’asile ayant pénétré sur le sol européen via ce pays. Cette proposition, présentée jeudi 8 décembre par la Commission européenne, permettrait de rétablir « un fonctionnement normal » du système dit de Dublin, qui détermine les règles de répartition des candidats à l’asile dans l’UE.
Depuis 2011, la Grèce était exclue du sytème de renvoi, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ayant jugé à plusieurs reprises que le pays ne remplissait pas des conditions dignes d’accueil de réfugiés. En décembre 2014, la CEDH a ainsi donné gain de cause à deux d’entre eux qui se plaignaient des conditions de leur détention dans des centres de rétention. Elle avait alors condamné Athènes à payer 6 500 euros pour préjudice moral à un Iranien et 8 500 euros à un Irakien, estimant que le pays avait violé l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, relatif à « l’interdiction de traitement inhumain et dégradant ».
Des accusations venant conforter les conclusions du rapport annuel 2015-2016 d’Amnesty International, qui dénonce « tortures » et « recours excessifs à la force ». Cette année, l’organisation Human Rights Watch a elle aussi dénoncé dans un rapport de 27 pages, les « conditions de détention arbitraire et prolongée d’enfants “non accompagnés” en violation du droit international et des lois grecques ».
Malgré cette jurisprudence européenne continue, « la Commission estime que la Grèce a fait des progrès significatifs dans la mise en place des structures institutionnelles et juridiques essentielles pour un fonctionnement en bonne et due forme du système d’asile ». Sur le plan de la procédure d’asile, les choses se sont en effet améliorées en Grèce ces trois dernières années, mais l’état sanitaire des 48 camps d’accueil répartis à travers le pays reste souvent catastrophique. Une grande partie des 60 000 réfugiés et migrants bloqués sur le sol grec depuis la fermeture des frontières des pays du Nord en février passe l’hiver sous de simples tentes, sans électricité ni chauffage. Avec des sanitaires réduits au strict minimum.
« Les conditions de nos camps ne sont pas bonnes parce que l’Europe ne nous donne pas ni l’argent ni le renfort en personnel promis au moment de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie signé le 18 mars », précise Georges Kiritsis, responsable de l’organe grec de coordination de la crise migratoire. « Cette décision de rétablir Dublin pour la Grèce est incompréhensible. Nous avons déjà du mal à gérer 60 000 personnes et on veut désormais nous renvoyer celles qui sont entrées via nos îles ? Nous pénaliser parce que nous sommes tout comme l’Italie, une porte d’entrée vers l’Europe ? », ajoute-t-il.
Le ministre chargé de la politique migratoire, Yiannis Mouzalas, a prévu de se déplacer à Bruxelles dans les tout prochains jours pour tenter de négocier une prolongation de l’exclusion de la Grèce du régime de Dublin. « Si les pays du Nord nous renvoient plusieurs milliers de personnes et que la Turquie décide de rouvrir les vannes et de laisser de nouveaux réfugiés arriver sur nos îles alors nous ne pourrons pas faire face, se désolait jeudi une source grecque proche du dossier. La volonté politique européenne de faire de la Grèce ou de l’Italie des zones tampons devient de plus en plus claire. Nous ne pouvons pas accepter cette hypocrisie, cet égoïsme, ce manque d’unité européenne qui nourrit les discours populistes et nationalistes. »
Pour Amnesty International, la décision de Bruxelles est « hypocrite » alors qu’une grande partie des états membres refuse encore de participer au mécanisme de relocalisation dans l’ensemble de l’UE de près de 160 000 réfugiés d’ici à fin 2017. Un objectif fixé en septembre 2015 par la Commission et très loin d’être atteint : 8.162 personnes ont jusqu’ici été relocalisées, dont 6 212 de Grèce. « Nous avons besoin de plus de solidarité européenne pas de devenir un camp géant à ciel ouvert », affirme Georges Kiritsis.
Le commissaire (grec) aux affaires intérieures, Dimitris Avramopoulos, a tenu à nuancer la portée de la décision de Bruxelles : les renvois des personnes vers la Grèce ne seront possibles que pour celles qui seront arrivées dans ce pays après le 15 mars 2017. Les mineurs et les personnes vulnérables ne seront « pour le moment » pas concernés. Et la mesure ne sera pas rétroactive. Elle ne pourra donc s’appliquer aux étrangers qui sont actuellement dans un autre Etat membre de l’Union après avoir d’abord accosté en Grèce.
Bruxelles voulait, en fait, adopter une décision très symbolique avant le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement, qui aura lieu les 15 et 16 décembre et doit notamment aborder la question de la migration. Il s’agissait, pour la Commission, de démontrer que le système de Dublin (le premier pays d’accueil d’un migrant est chargé d’enregistrer sa demande) est encore viable et que l’on peut en revenir au fonctionnement normal de l’espace Schengen, dont les règles ont été singulièrement mises à mal par la crise des réfugiés.
Le Monde, le 09.12.2016