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L’effroi, tel est le sentiment premier de tout acteur intervenant aux frontières de l'Europe, à quelques encablures de la Turquie. Peu importe la place occupée : institutionnelle ou bénévole, policière ou de protection. L'effroi devant l’exode, les regards fatigués, le destin incertain de vieillards ou d'enfants nouveaux nés. L'effroi devant le nombre, l'effroi devant l'impuissance des vieux pays de l'Union à organiser l'accueil.
La Grèce se prépare à accueillir 1 million de réfugiés en 2016 - après en avoir vu passer quelques 856 000 l'année précédente. Pour la seule journée du 17 février, 4 200 personnes se sont échoués sur les rivages grecs. À Munich, le premier ministre français a proposé une réponse à l'effroi : que l'Europe stoppe tout, cesse d'accueillir les réfugiés et le dise haut et fort.
Ce discours, un affront à l'allié allemand et un signe d'abandon moral, ne résoudra rien du désastre qui s’annonce. Sa violence sous-jacente rend seulement l'Europe un peu plus dépendante de la réponse Turque : comment en effet atteindre cet objectif sinon en stoppant brutalement la marche des vulnérables ? Femmes et enfants. A moins de vouloir confier ce travail à d'autres, encore plus en amont.
Comment faire pour stopper ce sombre commerce d'êtres humains organisé depuis les rives du Bosphore ? Comment maîtriser, accueillir en responsabilité et en sécurité les personnes en besoin de protection ? Comment éviter la dislocation de l'Union ? Monsieur Erdogan, qui connaît une partie de la réponse, peut desserrer le nœud de la corde avec lequel il enserre l'Europe quand il le souhaitera : tout dépendra de ce que l'UE mettra dans la corbeille.
Trois milliards d'euros lui ont été offerts, mais ce n'est pas assez. Car il le sait bien, lui, que ce n'est pas le concept de « hot spot » mis sur le marché de la communication par les eurocrates il y a quelques mois, qui va résoudre la crise. Et faudrait-il encore qu'ils fonctionnent dans toutes leurs dimensions !
Dans la course à la si mal nommée « relocalisation » des migrants, les réseaux mafieux ont une réponse bien plus concurrentielle et rapide que celles des fonctionnaires européens préposés à la répartition. Certes, elle est dangereuse et onéreuse, mais en 7 jours maximum le migrant parvient à bon port, en Allemagne ou en Suède. L'avantage comparatif avec l’Union, qui propose un mécanisme de relocalisation et d’identification, est évident. Sur les 1 000 réfugiés ayant fait connaître leur souhait d'en bénéficier, seuls 300 ont été transférés dans les pays de l’UE. Dans le même temps, 856 000 personnes transitaient par la Grèce.
Le hot spot est pour l'heure une usine photographique et à empreinte digitale. Mais cette base de données n'aura aucun sens si elle n'est pas bientôt connectée dans toute l'Europe avec celle de la Turquie et bientôt celle du Liban et de la Jordanie, tous fichiers pertinents confondus, Eurodac, Europol et consorts. C'est la prochaine étape indispensable pour faire de la Turquie un pays tiers sûr où les réfugiés seront retenus, pensent les stratèges de l’Union.
Devant l'impératif sécuritaire, le droit d’asile, le principe de non refoulement et la solidarité ne pèsent pas lourd. Que va-t-il se passer dans les mois qui viennent ? La situation est amenée à se durcir encore : l'armée grecque prendra le contrôle des hot spots sous quelques semaines. Ironie de l'histoire, la plupart des acteurs en Grèce en accepte la perspective, même les anarchistes. Cette armée sera autorisée à retenir les personnes pour une période de 3 à 25 jours, mais cela n’a pas d’importance puisque, compte tenu du nombre d’arrivées, la mesure apparait déjà comme inapplicable. Quant à la Turquie, elle tente de monnayer la tranquillité de l'Europe contre des visas et un soutien indéfectible des pays de l'Otan dans son combat contre les Kurdes.
La solution à cet exode régional réside évidemment dans la conclusion d'un accord politique en Syrie par compromis ou par puissance. Dans cette attente très incertaine, il nous reste à plaider pour l'ouverture de voies de migrations légales en Europe au titre de la relocalisation, des voies sécurisées, rapides, solidaires, notamment à partir de la Grèce. Cette Grèce qu’il ne faut pas exclure mais aider. Monsieur Valls, la seule réponse à l'effroi est l'organisation de la solidarité européenne et non son abandon. C’est une réponse qui demande un plan C, celui du courage, celui de se tenir debout, solide sur les valeurs fondatrices de l’Union. Il en va tout simplement de notre avenir commun de paix et de démocratie.
Par Pierre Henry, Directeur général de France terre d’asile