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Chen Ji est un artiste peintre chinois qui trouve refuge en France après les événements deTian'anmen.
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Les manifestations de Tian'anmen, largement désignées dans une grande partie du monde par le terme massacre de la place Tian'anmen, se déroulent entre le 15 avril 1989 et le 4 juin 1989 sur la place Tian'anmen à Pékin, la capitale de la République populaire de Chine. Elles prennent la forme d’un mouvement d'étudiants, d'intellectuels et d'ouvriers chinois, qui dénoncent la corruption et demandent des réformes politiques et démocratiques. La contestation s'étend à la plupart des grandes villes, comme Shanghai, et aboutit à Pékin à une série de grandes manifestations et de grèves de la faim organisées sur la place Tian'anmen. Après plusieurs tentatives de négociation, le gouvernement chinois instaure la loi martiale le 20 mai 1989 et fait intervenir l'armée le 4 juin 1989. La répression du mouvement provoque un grand nombre de victimes civiles (de quelques centaines à quelques milliers selon les sources), et de nombreuses arrestations dans les mois qui suivent. Plusieurs dirigeants politiques favorables au mouvement sont limogés et placés en résidence surveillée. Par la suite, un coup d'arrêt durable est porté aux réformes politiques en République populaire de Chine. À l'étranger, la répression provoque une condamnation générale du régime de Pékin (©Wikipédia)
Texte extrait du recueil « J'ai deux amours, portraits d'exil », de Brigitte Martinez, Le cherche midi éditeur, 1998. (Cliquez ici si vous souhaitez lire l'extrait en format pdf)
Sur sa carte de visite on peut lire Chen ji, Artiste-Peinture. En France, Chen Ji s’aventure en langue comme en liberté : avec précaution. « Oui, bien sûr ! Ici, en France vous avez le droit de peindre ce que vous voulez ! » Et Chen Ji, n’osant pas croire ce qu'on lui dit, téléphonera plusieurs fois pour s’en assurer : non, c'est sûr, il ne sera pas inquiété si sur sa nature morte aux faisans, il peint un pistolet.
En Chine, la liberté est passée, rapide, fugace. Un courant d’air de soixante-dix jours. Le temps pour Chen Ji d’en reproduire les formes, sous les traits de la statue. Le temps d’écrire son nom, de banderoles en pancartes, de la chanter en cadence avec ses camarades. La liberté, un cri commun, poussé place Tian’anmen en 1989. Un cri que Chen Ji, comme beaucoup, refoulait depuis l'enfance.
« Quand le bus est venu me chercher un matin à six heures, ma mère a beaucoup pleuré. Je quittais la maison pour la première fois ». Comme sa sœur, comme son frère avant lui, Chen Ji part à quinze ans effectuer son devoir « culturel ». Une culture qui s’impose dans les champs, à la manière des camps où le travail est forcé.
« On travaillait comme en prison. On avait peur. On nous surveillait. Si on désobéissait, on nous menaçait de rester là toute notre vie ou de nous envoyer mourir au cachot ». Tous les jours, pendant trois ans, lever à cinq heures, coucher à la nuit. À la bouillie de riz aux patates douces du petit-déjeuner succède la bouillie de riz aux patates douces à l’heure du déjeuner. Pour le dîner, le festin est identique. « À peu près une fois par semaine, on nous donnait un fruit. Une banane, une orange » et un peu de viande de porc gras. « Bien gras » insiste Chen Ji, « bien gras, pour être plus fort ». Il éclate de rire en gonflant ses biceps à la manière d’un fort de foire. Mais le rire, amer, se fige vite. « Jusqu’à la fin de ma vie, ces années, je ne les oublierais pas. C’était dur, très dur ».
Chen Ji sait, plus qu’un autre étudiant, que se joindre au printemps de Tian’anmen, lui est interdit. Chen Ji est un artiste, mais c'est aussi un officier. Il est capitaine d’artillerie. Son talent, reconnu par le parti, l’autorise à perfectionner son art à l’école des beaux-arts militaires. Avec l’obligation d’en faire don à la patrie. « Dans mon pays, parler, chanter, écrire, peindre, ça sert à expliquer le communisme ». Les enfants chantent ainsi la gloire des dirigeants, et les peintres peignent les grands hommes et les grandes heures du régime comme il se doit en Chine : sous contrôle.
Sous contrôle, jusqu’à ce jour de mai où, sous le pinceau du capitaine Chen Ji, naissent, sans autorisation, des petites statues de la liberté. Sans autorisation, il fréquente des civils et manifeste avec eux. Sans autorisation et pourtant sans crainte. Il est sûr de gagner. Les revendications de changement, de démocratie sont tellement légitimes ! Et portées par un tel élan populaire qu’ils n’oseront pas ! « Il y avait beaucoup de gens, beaucoup. Toujours, toujours plus de monde ». Des ouvriers, des petits commerçants et des familles se joignent à leur mouvement, soutiennent les conjurés en leur offrant « des petits pains, des fruits, de l’eau ». Alors Chen Ji est confiant.
En France, sur les murs de la chambre de Chen Ji passe la muraille de Chine. Le soleil s’y couche, couleur sang. Plus loin, les vagues sont normandes et violentes. Sur le chevalet, la nature est aussi morte que les poissons représentés. Ils ont l’œil glauque et l’écaille rouge. « Sur la place il y avait aussi des photographes. C’était des policiers en civils »
Chen Ji se soucie peu des habitudes culinaires du Vietnam, de la Thaïlande, du Cambodge. Il sait seulement que son errance de quatre ans dans le sud-est Asiatique, de passeurs en intermédiaires, de frontières minées en Mékong surveillé, de policiers curieux en amis bienveillants, lui a laissé un mauvais goût en bouche. Au propre comme au figuré : la cuisine vapeur de Saïgon « pas assez grasse » et ses légumes trop crus n’ont pas, comme les plats « très piquants, trop piquants » de Phnom Penh, adouci sa fuite. Chen Ji ne pense alors qu'à travailler, muet, tête baissée. Il ne connaît que sa langue, et il l’entend parfois. La police chinoise est sur sa piste. Alors de docks en arrière-cour de restaurant, son périple continue. Quelquefois son art le rattrape et il peint « pour les Blancs » des toiles pour subsister.
« J’ai quitté Pékin quand l’armée à commencer à tirer ». Son premier refuge, c’est le nord du pays. Un mois plus tard, sûr de passer entre les mailles du filet répressif, Chen Ji rejoint son université. Le calme y est apparent. Bientôt, sa chambre est fouillée, vidée de son contenu et fermée. « À cause de mon grade, je risquais 15 ans de prison ». Une peine à laquelle n’échapperont pas une dizaine de ses compagnons militaires. Quinze ans de chaînes pour avoir osé crier « vive la liberté, vive la démocratie ».
En Thaïlande, au Vietnam, au Cambodge et en Chine, Chen Ji s’assure bon nombre de relais pour échanger sans risque des nouvelles avec sa famille. Ses parents sont épiés, questionnés sans relâche à son sujet. Son père n’y survivra pas.
Chen Ji ne sait pas si sa mère prépare encore - et pour qui ? - les plats de son enfance. Du « poisson trempé dans l’huile bouillante, avec du gingembre » et du poulet, sorti de l’eau avant cuisson complète. « C’est cantonais. Il faut que le poulet saigne encore un peu quand on le mange. »
En France, Chen Ji s’est habitué aux couteaux et aux fourchettes. Au café aussi. Il a presque abandonné le thé.
En Chine, le coca-cola continue de couler à flots. À Pékin, à quelques mètres de la place Tian’anmen, Mac Donald vend l’Amérique sous forme de hamburgers. Rêver de liberté, en Chine, c’est permis. Vouloir passer du rêve à la réalité, en Chine, c’est interdit.