Edito
Vertu, dites-vous ?
Dire que les travailleurs sociaux sont dans une situation d’incompréhension sur le véritable objet de la réforme du versement de la prestation ADA est un euphémisme.
Cette réforme supprime la capacité de retrait liquide pour les demandeurs d’asile par l‘intermédiaire de la carte ADA. Le ministère de l’Intérieur, pour justifier de cette décision, affirme avoir voulu mettre un terme à l’envoi d’argent vers le pays d’origine, laissant ensuite les demandeurs d’asile démunis et dans des situations difficiles. L’allocation, dit le ministère, doit servir à ce pourquoi elle a été instituée. Le second motif avancé serait de lutter contre les marchands de sommeil. Mais à dire vrai, aucun spécialiste de ces sujets ne peut être convaincu par de tels arguments. Ce que chacun constate au contraire, c’est que tout devient plus difficile au quotidien pour les personnes concernées.
De l’achat de tickets de transport à l’accès à la laverie, à l’épicerie sociale, aux micro-crèches, au paiement de la cantine, à la participation aux frais d’hébergement, tous ces actes qui requièrent le plus souvent le paiement en espèces deviennent une véritable galère pour les usagers. De plus, comme souvent autour de la précarité, des gens peu scrupuleux prolifèrent et proposent, le plus souvent dans des commerces communautaires, de rendre service, de fournir du « liquide » contre une rémunération exorbitante. En matière de lutte contre la fraude, on a déjà vu meilleure mesure et sa vertu supposée échappe au bon sens. Alors, bien sûr, du côté des pouvoirs publics, on parle d’adaptation, d’expérimentation, de laisser du temps au temps pour évaluer le dispositif. Nous connaissons tous ces arguments. Et nul ne s’étonnera du sentiment croissant de fossé grandissant entre décideurs et opérateurs convaincus qu’il ne s’agit là que d’un dispositif de dissuasion supplémentaire et de rien d’autre.
Pierre HENRY, Directeur général de France terre d'asile
|