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Une petite fille joue avec un poney rose fluo dans un espace de jeu improvisé dans l'arrière-cour sableuse d'une antenne du Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) à Niamey, au milieu de cubes en bois, de poupées, et d'instruments de musique pour enfants. Plusieurs marques de brûlures circulaires, d'environ un centimètre de diamètre, sont visibles sur ses chevilles dénudées.
Mahjabeen*, petite Somalienne de 3 ans, est l'une des 497 personnes évacuées de la Libye vers le Niger par le HCR depuis novembre 2017. La constellation de cicatrices qui remontent jusqu'à ses genoux provient de brûlures de cigarettes, un sévice particulièrement répandu dans les geôles libyennes, où les trafiquants entassent et rançonnent les migrants africains.
Ce mardi 30 janvier, le destin de Mahjabeen est en train de se jouer à quelques mètres de son terrain de jeu, dans l'un des cinq bureaux préfabriqués où sa mère, Balgis*, est en plein entretien avec l'Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (Ofpra). L'enjeu de l'entretien : un aller simple pour la France avec un statut de réfugié et la possibilité d'un nouveau départ dans de bonnes conditions.
L’officier de protection de l'Ofpra, examine attentivement la fiche en anglais préparée par le HCR. À côté des informations d'état-civil, la mention "woman at risk" ("femme en danger"). Trois mots qui résument un parcours tortueux, une vie ballottée de zone de guerre en zone de guerre.
Née en Somalie, Balgis a vécu au Yémen avant de fuir vers le Soudan puis la Libye. La jeune femme de 28 ans et sa fille Mahjabeen ont été détenues pendant près d'un an et revendues au moins deux fois par des trafiquants du côté de la ville libyenne de Bani Walid. Les traces de brûlure, plus nombreuses sur les jambes de la petite Mahjabeen que sur celles de sa mère, témoignent du sadisme de leurs tortionnaires.
Aidée par une interprète, l'agent de l'Ofpra se lance dans un entretien revenant sur le parcours de la demandeuse d'asile. Le regard et le ton sont bienveillants, tout en n'éludant aucune question. "S'il y a des contradictions dans leur récit, on revient toujours dessus. On le fait doucement mais on les met face à leurs contradictions afin de clarifier les choses", explique l'officier de protection. Tous n'obtiendront pas l'asile en France.
À la fin de l'entretien, l'agent explique que la décision sur l'obtention du statut de réfugié lui parviendra d'ici un ou deux mois. Il passe ensuite en revue les modalités du droit d'asile : prise en charge du voyage vers la France, délivrance d'un permis renouvelable de rester en France pendant 10 ans, passage dans un centre de transit pendant quelques mois avec des cours de langue, et rappel de certaines valeurs fondamentales en France comme la liberté religieuse ou l'égalité hommes / femmes.
Dans des préfabriqués qui leur servent de bureau, des agents de l'Ofpra enchaînent les entretiens toute la journée, examinant ainsi les demandes d'asile de 17 personnes. En quatre jours de présence sur place, ils ont au total rencontré 84 demandeurs d'asile, dont 26 fraîchement évacués de Libye, comme Balgis.
C'est donc dans cette cour poussiéreuse écrasée sous le soleil, dans l'un des pays les plus pauvres du monde que se joue, en partie, le sort de nombreux migrants africains bloqués en Libye.
L'idée, sur le papier, est simple. Le HCR évacue par avion les migrants africains en besoin de protection depuis la Libye vers le Niger - où ils sont hébergés temporairement dans des "cases de passage". Des États sont ensuite supposés prendre le relais en accordant prioritairement l'asile à ces personnes victimes de sévices en Libye. En pratique, les évacuations sont compliquées en raison de l'insécurité qui règne en Libye, et notamment autour de l'aéroport de Tripoli. Et les pays ne se bousculent pas au portillon pour prendre en charge les réfugiés évacués de Libye. Selon le HCR, sur 497 personnes évacuées depuis novembre 2017, seuls 25 réfugiés ont été réinstallés en France, suite à une première visite de l'Ofpra sur place.
"Les évacuations marchent quand la solidarité fonctionne", explique Alessandra Morelli, la représentante du HCR au Niger, lors d'un entretien avec InfoMigrants. "Ceci est juste un début et nous disons merci au leadership de la France sur ce sujet. Il est maintenant important de transmettre le sens de l'urgence aux autres États".
Le HCR a ainsi lancé un appel pour la mise à disposition de 1 300 places de réinstallation d’ici mars 2018. En plus de l'Ofpra, une délégation suisse s'est déjà rendue sur place. La Suède, l'Allemagne, la Finlande se sont également engagées à accueillir certains des réfugiés évacués de Libye. Reste à voir quand ces promesses seront honorées alors que le HCR se prépare à multiplier les évacuations dans les prochaines semaines.
Loin de ces considérations, on retrouve Balgis et sa petite Mahjabeen en train de discuter avec d'autres femmes évacuées de Libye, à l'extérieur de leur dortoir, dans l'une des sept "cases de passage" actuellement gérées par le HCR à Niamey. Le centre d'hébergement dispose d'une petite cuisine, d'un réfectoire, d'une salle de télévision, et d'une grande cour intérieure. C'est ici que la jeune Somalienne, qui ne connait quasiment rien de la France, va attendre la réponse de l'Ofpra.
"Je pense beaucoup à mon futur, je me demande si je reverrais un jour ma famille, si je pourrais un jour vivre en liberté", confie Balgis à InfoMigrants avec une lueur d'espoir dans les yeux. "Ce qui est sûr, c'est que j'ai vraiment envie à 100 % d'aller en France".
*Tous les noms des personnes protégées par le HCR ont été changés dans cet article. La confidentialité des identités est particulièrement importante pour des organismes comme l'Ofpra ou le HCR, dont le travail avec les réfugiés implique que ces derniers puissent parler en détail de leur situation en toute confiance, sans crainte d'être identifiés.
Info Migrants, par Mehdi Chebil, le 05/02/2018.