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C'est une initiative un peu particulière sur l'immigration qui a été lancée, mardi 4 mai, à l'Assemblée nationale, à Paris. Un collectif de militants intitulé "Cette France-là" et associé à une vingtaine de députés et sénateurs - dont huit socialistes et deux UMP - a décidé de tenir une première réunion de travail pour mettre sur pied un "audit" de la politique migratoire du gouvernement.
Pour ce faire, il a annoncé sa méthodologie, un calendrier de réunions et une liste de personnes à auditionner : des responsables associatifs, des élus, des experts, des personnalités, tel l'ancien premier ministre Dominique de Villepin. Il souhaiterait aussi entendre le ministre de l'immigration, Eric Besson.
Officiellement, la démarche se dit "transpartisane", et prête à interroger tous les "dogmes", y compris celui de l'impact de l'immigration sur le vieillissement de la population. Dans les faits, et comme l'admettent la plupart des participants interrogés, il s'agit surtout de démontrer que la rétention et l'expulsion des sans-papiers sont "contre-productives".
Face à une démarche qu'il juge être une manipulation politique, M. Besson a déjà fait savoir qu'il ne répondrait pas à l'invitation. L'initiative se faisant en outre en dehors d'une mission parlementaire officielle, elle n'a donc "aucune valeur juridique" aux yeux de son cabinet. L'audit suscite aussi une certaine prudence du milieu associatif - France terre d'asile, Forum réfugiés, la Cimade notamment. Ces organisations craignent qu'il peine à faire émerger des solutions et se replie sur des débats "glissants" autour du coût de la politique d'éloignement. Un chiffrage déjà effectué plusieurs fois ces dernières années par la Cour des comptes et des parlementaires - ainsi, le député UMP Pierre-Bernard Reymond évalue à 20 970 euros le coût par étranger reconduit. La bataille des chiffres a déjà commencé.
En 2008, "Cette France-là" s'était fait connaître en évaluant à 2 milliards d'euros annuels la politique d'éloignement.
Des chiffres contestés par M. Besson - il évalue celle-ci à 232 millions d'euros, en s'appuyant sur un rapport de l'inspection générale de l'administration de septembre 2009. Début avril, il a aussi riposté en annonçant lancer son propre audit, celui-ci sur l'immigration "irrégulière". Enfin, à l'UMP, un groupe de travail vient d'être missionné par Jean-François Copé pour travailler sur "les chiffres de l'immigration".
Le collectif "Cette France-là" affirme vouloir éviter de s'enfermer dans ces querelles. Ainsi, la députée PS Sandrine Mazetier, secrétaire nationale chargée de l'immigration, souhaite notamment débattre de l'étude de "l'impact économique" de l'immigration. Le sujet, selon elle, "ne doit être ni un tabou ni un totem".
L'exercice sur ce point risque cependant d'être délicat, tant les travaux dits "économétriques" sont rares en France et tant leurs conclusions nuancent à la fois les discours prônant la libre circulation des personnes et ceux partisans d'une plus grande fermeture des frontières. Leur rareté est une particularité hexagonale. Il existe toute une littérature influente à l'étranger - anglophone le plus souvent.
Ces études, comme celles des Norvégiens Jonathon W. Moses et Bjorn Letnes ou celles de l'Américain George J. Borjas, n'hésitent pas à calculer des ratios coûts-bénéfices par immigré ("per-migrant gain"). Elles s'accordent généralement sur le fait que plus l'ouverture des frontières est importante, plus il y a création de richesses.
D'autres chercheurs étrangers ont aussi élaboré des calculs du "poids" des immigrés sur les dépenses publiques. La plupart concluent à une difficile cohabitation entre ouverture des frontières et maintien d'un bon niveau de protection sociale.
Des d'études s'emploient également à évaluer l'impact de la main-d'oeuvre immigrée sur le marché du travail. Elles concluent souvent à un effet négatif - bien que faible - sur le salaire et l'emploi des travailleurs "substituables" aux immigrés. Et à un effet positif sur les salaires des travailleurs plus qualifiés.
En France, les avis sont tranchés sur ces travaux, qui supportent, il est vrai, mal l'extrapolation. L'historien Patrick Weil considère ainsi qu'elles "n'apportent pas grand- chose à l'élaboration d'une politique publique". Leur rareté s'explique en partie, selon lui, par la "restriction" de l'accès aux données sur les étrangers depuis la centralisation des statistiques au ministère de l'immigration, lors de sa création, en 2007. Il regrette ce manque pour calculer, par exemple, les transferts d'argent entre les immigrés et leur pays d'origine.
Patrick Simon, socio-démographe à l'Institut national d'études démographiques (INED), estime, lui, qu'une partie des "gains" liés à l'immigration échappe à l'économétrie, celle-ci prenant en compte plus difficilement "ce qui est immatériel ou se montre positif sur le long terme".
La pauvreté des travaux hexagonaux en la matière serait en partie, selon lui, liée à la peur des chercheurs de récupération de leurs conclusions par l'extrême droite : "La société française craint toujours de remettre en cause le pacte à l'origine de la nation."
Par Elise VINCENT
Le Monde, le 04/05/2010