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L'Italie devrait entériner d'ici jeudi un accord avec la Tunisie, donnant un permis de séjour temporaire aux 20.000 clandestins débarqués à Lampedusa. Alors que les autorités françaises craignent un afflux migratoire à ses frontières, les associations et élus regrettent le dialogue de sourds entre partenaires européens.
L'accord signé mercredi entre Rome et Tunis n'a toujours pas été rendu public, mais à peine son annonce faite, il a suscité beaucoup d'espoirs sur la rive sud de la Méditerranée. Le gouvernement de Silvio Berlusconi doit en effet délivrer, d'ici jeudi soir, 22.000 permis de séjour temporaires à des immigrés tunisiens coincés sur l'île italienne de Lampedusa. "Rome offre la France aux immigrés tunisiens", a titréLe Figaro relayant la crainte, voire le "fantasme" selon l'appel d'un collectif d'associations (*), d'un afflux migratoire massif en France. "Il faut savoir que de nombreux Tunisiens rejoignent un membre de leur famille, leur communauté étant très importante dans l'Hexagone", explique toutefois Pierre Henry, directeur général de France Terre d'Asile, interrogé par leJDD.fr.
L'accord Rome-Tunis devrait donc contrarier les plans de Claude Guéant. Depuis son installation place Beauvau, le ministre de l'Intérieur est sur le front (**). Début mars, il a considérablement renforcé les contrôles de police à la frontière franco-italienne au motif d'un "afflux massif" d'immigrants clandestins. Selon la préfecture des Alpes-Maritimes, la police française a arrêté 1.348 Tunisiens –dont 1.081 reconduits dans l'immédiat à la frontière– le mois dernier. Conséquence immédiate: une sorte de "Sangatte" est en train de se créer à Vintimille, première cité italienne après la frontière. Vendredi dernier, la commissaire européenne en charge de l'Immigration, Cecilia Malmström, a dénoncé une automatisation stigmatisante des contrôles effectués par les forces de l'ordre françaises. Et de hausser le ton dans un communiqué: "Les autorités françaises ne peuvent pas renvoyer les migrants en Italie."
"L'Italie et la France pratiquent aujourd'hui le jeu de la patate chaude", décrypte Pierre Henry qui regrette "l'inefficacité de l'Union européenne". "Claude Guéant répète l'attitude qu'avait eu l'Angleterre lors du démantèlement de la 'jungle' de Calais [en septembre 2009, Ndlr]: 'ça ne se passe pas chez nous, donc ce n'est pas à nous de gérer le problème'. Les membres de l'Union refusent de collaborer et de s'entraider dans bien des domaines", explique encore le directeur général de France Terre d'Asile. Exemple de ce dialogue de sourds, une directive qui permet aux réfugiés de guerre une protection temporaire doublée d'un permis de séjour prolongé. Elle doit être mise en œuvre par Cecilia Malmström, à la demande express de Malte, mais devrait être refusée par la majorité des pays membres. "Ils n'ont aucun regard commun sur la gestion des crises migratoires", lâche Pierre Henry. "Les États du Nord sont parfois en contradiction", reconnaît pour sa part, le député UMP Jacques Myard, interrogé par leJDD.fr.
Reste que "l'invasion" supposée se fait toujours attendre en France. Toujours selon les chiffres de la préfecture des Alpes-Maritimes, sur les 15 à 25.000 immigrants qui ont transité à Lampedusa depuis début janvier, seuls 4.000 auraient passé la frontière française. Mais une grande partie des Tunisiens devant être régularisés d'ici jeudi soir devraient quitter l'Italie. La charge de l'immigration clandestine serait ainsi repartie entre les membres de l'UE. "Je soupçonne l'Italie de se décharger lâchement sur la France", réagit Jacques Myard.
Une solution imposée par Rome que Marine Le Pen n'accepte pas. Dans un communiqué, la patronne du FN, également eurodéputée, déplore "la décision de Silvio Berlusconi [qui] constitue un nouvel appel d’air pour des centaines de milliers de candidats à l’exode et démontre la folie des transferts de souveraineté consentis par le gouvernement français". Et de demander la suspension de l'espace Schengen (***). Ce dernier est en effet la grande victime de la crise de Lampedusa. Pour Jacques Myard, le "système Schengen" est le nœud du problème: "Schengen est bon à 90% mais il y a 10% qui foutent tout en l'air. (...) C'est une utopie qui oublie que nos frontières extérieures sont poreuses."
Mais pourquoi la forteresse Schengen serait-elle sur le point de se fissurer aujourd'hui? Pour mémoire, l'Union européenne avait signé le 6 octobre 2010 un accord-cadre avec Mouammar Kadhafi pour que la Libye puisse continuer à garantir l'étanchéité des frontières, moyennant 60 millions d'euros. Mais depuis le début du conflit libyen, toute coopération est devenue caduque.
Régularisation massive à l'italienne ou verrouillage des frontières à la française, les gouvernements semblent balancer entre ces deux solutions fortes. Les associations espèrent, elles, des options plus nuancées. Et en premier lieu, elles demandent l'assouplissement de la politique des visas. "En acceptant la venue de jeunes Tunisiens en France pour une période allongée de six mois, ils ne passeront plus par la voie des mers, débarquant en masse à Lampedusa", explique Pierre Henry. Cela éviterait de nouveaux drames tel celui qui s'est produit mercredi matin: environ 150 réfugiés somaliens ou érythréens sont morts ou portés disparus après le naufrage de leur embarcation en Méditerranée.
Accorder six mois sur le territoire national peut également permettre aux Tunisiens, par exemple, de "comprendre que la vie n'est pas meilleure en France", note encore Pierre Henry. Mais encore faut-il, pour qu'ils veuillent retourner en Tunisie, aider financièrement le pays, en pleine reconstruction. "On doit empêcher les Etats d'origine de pousser leurs citoyens à l'eau, dans notre direction", affirme Jacques Myard qui déplore les drames humains toujours plus nombreux. En ces temps de reprise économique, les gouvernements européens ne semblent pas disposer à financer une sortie de révolution.
Le JDD, le 06/04/2011