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Le 14 août 2017
Pour le Parisien de passage, Breil-sur-Roya, enlacé par l'Italie, est un village magnifique au mois d'août, par beau soleil. Son accès se mérite. Un barrage Schengen, poste de police avancé, contrôle son accès et celui de la vallée, enfin... contrôle... marque plutôt une surveillance.
C'est ici, un peu à l'écart de la route départementale, au bout d'un étroit chemin de pierre et d'éboulis de terrasse que se trouve la fermette de Cédric Herrou. Elle se rejoint à pied. Quelques poules, un dindon, un jarre, des chiens fort civilisés constituent le premier comité d'accueil. Un peu plus loin, une vingtaine, peut être, 25 personnes originaires de la Corne de l'Afrique, résidents temporaires s'affairent. Certains préparent le repas de midi. D'autres apprennent visiblement notre langue.
J'ai rendez-vous avec le propriétaire du lieu : Cédric Herrou. Lourdement et inutilement condamné il y a 72 heures pour aide au passage de frontières, au séjour irrégulier... J'ai été prévenu : le rendez-vous doit avoir lieu avant 12h. Cédric doit se rendre à Nice pour vendre des œufs. Le voilà, chevelure tirée à quatre épingles, amical, et rapidement concentré sur son sujet. C'est donc lui, le vendeur d’œufs, qui affole politiques locaux et magistrats, qui mobilise une bonne centaine de policiers et militaires dans ce minuscule coin de France. Ce lieu perquisitionné il y a quelques semaines par une trentaine de CRS est en effet très fortement surveillé.
Un sentiment immédiat envahit l'observateur. Il y a quelque chose qui cloche dans cette affaire... quelque chose de comique. Ou cet homme est un grand stratège, dissimulateur en plus d'être un vrai humaniste, ou les boussoles des responsables politiques locaux ont pris un sérieux coup de chaud... Incontestablement Cédric Herrou n'est pas né militant. Il l'est devenu. Il reconnaît volontiers avoir aidé des migrants à passer la frontière franco-italienne dans sa camionnette. 8 à la fois. Mais tout cela, assure-t-il, est fini depuis septembre dernier.
Aujourd'hui il agit dans la légalité. La preuve. Il remet la liste de ses résidents temporaires au poste de police avancé, photos d'identité à l'appui. À charge pour le ppa, de transmettre la liste à la préfecture des Alpes-Maritimes pour convocation en vue du dépôt d'une demande d'asile... Laquelle convocation n'arrive évidemment jamais. Cela fait partie du dispositif de dissuasion imaginé à Nice. Ne pas recevoir, envoyer ailleurs... En vrai, les migrants n'ont pour la plupart aucune envie de rester dans ce département. Ils ont payé 40 euros pour arriver là, à la Roya, à quelques passeurs de pacotille. Pour Nice le tarif c’est 150 euros.
Mais une idée me traverse l'esprit. Ailleurs, sur la frontière franco-italienne, un peu plus haut, c'est comment ? Herrou sourit et lâche : "assez ouvert". Un peu plus haut c'est à dire sur les 515 km de frontière commune, ça passe évidemment. Un préfet ne me disait-il pas, l'air entendu, il y a quelques semaines, que les chemins de montagne étaient très empruntés et pas seulement par des vacanciers. ...C'est ainsi, tout le monde sait que ces contrôles, ce viril dispositif est contourné, que la réponse se situe ailleurs du côté de Paris, Rome, BRUXELLES. À Menton une centaine de CRS sont affectés au contrôle des trains de 5h du matin à 21h le soir. C'est qu'il faut gagner la bataille des vingt kilomètres de chaque côté de la frontière. Cette zone où la France et l'Italie ont décidés de jouer au ping-pong avec les migrants. Une tâche "absurde" me confirmera un policier, rencontré sur le quai de gare de Menton, un brin fataliste "pendant que nous sommes ici, il en passe 200 là-haut".
Mais revenons à Cédric Herrou, le vendeur d'œufs héritier des "Larzac" de mes jeunes années. Le costume que les médias, le sieur Ciotti, les institutions locales ont taillés a Cédric est trop large, la punition absurde. La Roya n'est pas Calais. C’est tant mieux et ce n'est pas la que se régleront nos problèmes migratoires. Cédric Herrou, le pacifique altermondialiste va continuer son action. Il a pour projet de construire quelques baraquements en bois sur son terrain pour aider des gens venus d'un autre continent à braver l'hiver et parce que maintenant, avec ses amis, il n'a plus le choix ! On ne saurait le punir pour cela. C'est à l'Etat, à l'UE de permettre ici dans la région, comme ailleurs en France, en Italie, la mise en place d'un dispositif digne, qui identifie, oriente, accompagne, accepte ou refuse la protection. Ciotti s'y oppose. L'Etat joue une partie absurde. Herrou n'est pas un problème, il fait partie de la solution, si du moins l'idée est bien d'en trouver une !
Par Pierre Henry, Directeur général de France terre d'asile