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Publié le : 19/10/2016
« Ses yeux. J'ai reconnu ses yeux... » L'étreinte n'aura duré qu'une poignée de secondes, vite brisée par un policier. Jan Ghazi devra attendre une nuit de plus pour profiter enfin de son neveu, Haris, 16 ans. Hier, en toute fin d'après-midi, l'adolescent a été conduit à l'hôtel pour une dernière nuit loin des siens. Un hôtel anglais. Il devrait être remis aujourd'hui à ses proches, comme onze autres migrants mineurs qui ont rallié le Royaume-Uni, laissant au rang de souvenir ces mois passés dans la « jungle » de Calais.
Haris, cela fait sept ans que Jan Ghazi ne l'avait pas serré dans ses bras. « A part sa mère, toujours vivante, tous ses proches ont péri sous les bombes en Afghanistan, raconte son oncle. Il a fui le pays avec son frère, lequel a été tué lorsqu'ils ont traversé l'Iran. Il a réussi à m'appeler pour me l'annoncer, et c'est la dernière fois que j'ai entendu sa voix. En vrai, aujourd'hui, il n'a plus que moi. »
Après des mois d'errance, et sous la pression de la France à la veille du démantèlement de la « jungle », un premier groupe de migrants mineurs isolés a donc franchi, hier, le tunnel sous la Manche. En toute légalité. « Les camions, les trains, j'ai tout essayé pendant deux mois, souffle Najee, 16 ans lui aussi, arrivé à Calais en janvier. J'y arrivais pas. J'ai laissé tomber. » Ses journées, il les a ensuite passées dans ce bidonville « effrayant », où « les gens se battent pour tout, tout le temps ». Ses appels à Mazar-e-Charif, d'où il est originaire, résonnaient dans le vide. « Tous, je ne sais pas où ils sont. Je tente de les joindre, sans cesse. Mais il n'y a plus rien... » Il ne reste à Najee que sa tante, installée à Londres. « Elle est comme ma mère », explique l'adolescent.
Cette fois, en vertu du règlement européen Dublin III, qui autorise le regroupement familial des mineurs isolés, il ne la quittera plus. A sa suite, une centaine d'autres rejoindront cette semaine la Grande-Bretagne. Par l'amendement Dubs, la loi anglaise permet aussi, en théorie, à ceux des mineurs en danger qui n'ont pas de proches dans le pays de tout de même s'y installer. C'est ce que souhaite le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve, qui a encore échangé hier soir sur le sujet avec son homologue britannique. « Les procédures se sont accélérées, se félicite Vincent Berton, sous-préfet de Saint-Omer. Là où il fallait au moins deux semaines pour qu'un cas soit examiné, grâce à la présence d'agents anglais à Calais, cela ne prend plus que quelques jours. »
Dans le foyer de Saint-Omer où les ados ont été réunis dimanche sous l'égide de France terre d'asile (FTDA), on les trouve peu après 7 heures, les yeux bouffis de sommeil. Cela n'empêche pas ceux d'Hadi de pétiller, lui qui espère retrouver sa sœur à Londres et découvrir enfin ses quatre neveux. Dans une seule petite sacoche, il trimballe toute sa vie : un jean et trois cahiers, « pour les études ». « Jusqu'à maintenant, ils étaient tous dans la survie, accaparés par les besoins primaires : manger, dormir et se laver, résume Jean-François Roger, de FTDA. Maintenant, ils vont avoir une période de relâchement, puis ils découvriront vraiment leur nouvelle vie. »
Avant de pouvoir y prétendre, il faut d'abord prendre un minibus et rouler de Saint-Omer jusqu'au terminal Eurotunnel. Sous forte escorte policière, les adolescents sont remis aux autorités anglaises. Le vent froid et les longs manteaux noirs des « boarder forces », la douane anglaise, font penser à une scène du « Pont des espions », où s'échangeaient à Berlin les prisonniers durant la guerre froide. Une dernière fouille de leurs bagages, et ces 12 ados sont désormais des hommes presque libres.
« Pour lui, j'ai des rêves plein la tête, s'enthousiasme Jan Ghazi en énumérant tout ce qu'il souhaite pour son neveu. On sacrifiera tout ce qu'il faut pour ça. Je remercie la France d'avoir négocié avec l'Angleterre. » Quelques formalités et, pour Haris, le premier jour du reste de sa vie va pouvoir commencer.
Le Parisien, 18/10/2016