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Publié le : 25/07/2016
L'éclairage public s'éteint, et soudain des centaines d'ombres se détachent dans l'aube, arrivant de part et d'autre par centaines. Il est 6 heures du matin. Sous le métro aérien, boulevard de la Villette, au carrefour des Xe et XIXe arrondissements de Paris, des centaines de migrants se massent ici, dans l'attente des bus. Comme souvent, le bruit s'est propagé tard la veille: le camp va être évacué dans une vaste opération de mise à l'abri. La 26e à Paris depuis le 2 juin 2015, menée par les services de la préfecture régionale d'Île-de-France. Les centaines de tentes qui jonchent la chaussée depuis des semaines, au milieu des détritus, de l'urine et d'un fatras de vieux matelas, sont laissées là, dans ce quartier où les riverains étaient à cran, affolés par l'insalubrité et les rixes violentes qui y éclataient encore le week-end dernier.
Il y a des hommes surtout, mais aussi des femmes et des enfants. Des dizaines de camions de police se tiennent tout à côté, le dispositif «en bulle» constitue le périmètre d'intervention. Face à la foule impressionnante, les forces de l'ordre sont tendues. Les migrants, craignant de ne pas pouvoir monter dans les 36 bus présents, jouent des coudes derrière les boucliers du cordon de CRS et de gendarmes mobiles. «Les bleus, ici!» crie un homme. C'est la couleur de chasuble qui sert à identifier les personnels de préfecture, aux côtés des «rouges», pour les agents de l'Office français de l'immigration et l'intégration (OFII) et diverses autres couleurs pour les bénévoles des associations, comme Emmaüs Solidarité et France terre d'asile. Les autorités sont là, des représentants de la mairie de Paris aussi, le directeur de l'OFII, Didier Leschi. La préfecture, elle, semble s'être tout entière déplacée, du préfet au directeur de cabinet en passant par la responsable de la Direction régionale et interdépartementale d'hébergement et du logement (DRIHL), le secrétaire général aux affaires régionales (SGAR), «en soutien à toutes ces équipes mobilisées en permanence depuis un an», explique-t-il. Et tout ce monde de relever ses manches, rodé par l'année passée, le préfet Jean-François Carenco en premier lieu, aux côtés de Sophie Brocas, secrétaire générale de la préfecture d'Île-de-France, «à la manœuvre» elle aussi, s'amuse une bénévole. Le haut fonctionnaire déambule en tous sens, passe des coups de fil, harangue les uns, donne des ordres aux autres, se mêle aux cordons de sécurité des CRS pour calmer les tensions qui montent. «Allez, allez!» crie-t-il. Les choses ne vont «pas assez vite» à son goût, les bus numérotés arrivent au compte-gouttes, «gênés par la circulation», ce qui tend la population des migrants. D'autant que les bénévoles réduisent le flux des montées dans les bus, en édifiant eux-mêmes des cordons de sécurité pour acheminer les gens petit à petit. «On est obligé de procéder avec méthode, explique Christine Gauthier, directrice de la DRIHL, car on doit distinguer les mineurs des majeurs, pour les prendre spécifiquement en charge.» Les premiers bus à partir leur sont réservés, ainsi qu'aux autres «populations vulnérables».
Dans ce campement, ce sont «majoritairement des Afghans, des Soudanais et des Érythréens, dont la moyenne d'âge est de 25 ans, explique le directeur général de l'OFII. Parmi eux, il y a même des gens qui ont un statut de réfugié, 10 % environ, mais qui, sans moyens financiers pour trouver un logement, reviennent vivre sur le trottoir».
Mais bientôt, la confusion s'installe, et des échauffements, des cris et des mouvements de foule surviennent. Les gaz lacrymogènes et les coups de matraque volent. Les représentants de la mairie de Paris, à l'instar du directeur général de France terre d'asile, Pierre Henry, se scandalisent, menacent de «se désengager du dispositif», de «quitter les lieux». La répression policière mais aussi «la désorganisation de la préfecture, ragent-ils, c'est n'importe quoi!». Une altercation entre le directeur de France terre d'asile et un commandant de police survient. Alors qu'il pense pouvoir «apaiser la tension des migrants en s'introduisant dans leur flux», le policier oppose un refus ferme en rappelant que c'est lui qui commande.
Malgré tout, à 13 h 30, 1 511 migrants étaient partis par les bus sans incident. Près de 2 500, en fin d'opération. Soit la plus importante à ce jour. En juin dernier, aux jardins d'Éole, dans le XVIIIe arrondissement, 1 855 migrants avaient été «mis à l'abri».
Tous ont été envoyés vers des hébergements d'urgence en Île-de-France. Mille cinq cents places avaient été réservées la veille par la préfecture, dont 800 réquisitionnées dans des gymnases. Ce qui a engendré «la grogne des maires», confie une fonctionnaire qui, au cours de son «démarchage» téléphonique, s'est fait «insulter» par un élu. Pour la première fois, certains ont directement été envoyés dans des centres d'accueil et d'orientation (CAO), notamment à Nancy. Après ces placements provisoires, les services préfectoraux étudieront « la situation administrative de chacun pour les dispatcher un peu partout en France», dans les 102 CAO existants.
Deux départs sont organisés par semaine, le mardi et le jeudi. Mais, pour le directeur général de France terre d'asile, ces solutions ne sont que des pis-aller. «Il faut une solidarité à l'échelle nationale avec un système préventif: des centres de transit pour 5 à 10 jours, de grande capacité (500 places) dans chaque capitale régionale, dit Pierre Henry. Car les CAO sont trop petits et trop éclatés sur le territoire. Il n'y aurait ainsi aucune raison pour les migrants de s'amasser à Paris sur un bout de trottoir à vivre dans des conditions indignes. Aujourd'hui, le transit, c'est le trottoir, et ce spectacle produit de la désorganisation et de l'intolérance.»
Par Delphine de Mallevoüe, le 22 juillet 2016, Le Figaro