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Publié le : 14/06/2016
Les comédiens et les comédiennes, demandeurs d'asile ou résidents en Mayenne, entourent le metteur en scène Jean-Luc Bansard (lunettes sur la tête). | Philippe Chérel
On ne les imagine pas enseignants, poètes ou médecins. Ni comédiens amateurs.
C'est pourtant ce qu'ils sont, à Laval, sur le parquet du Petit théâtre Jean-Macé. Parmi trente comédiens, ils sont seize migrants ou anciens migrants. Résidents en Mayenne ou demandeurs d'asile, ils parlent français ou pas du tout, mais récitent dans leur langue et la nôtre un texte vieux de 2 482 ans, Les Suppliantes d'Eschyle, un poète grec de l'Antiquité.
« C'est l'histoire de cinquante femmes, les Danaïdes, qui refusent d'être épousées contre leur volonté par des Égyptiens et fuient par la mer, accompagnées par leur père Danaos, raconte Jean-Luc Bansard, le directeur du Théâtre du Tiroir. Elles échouent sur les rives de la cité d'Argos et demandent asile au peuple grec qui décide de les accueillir. »
Le metteur en scène lavallois a immédiatement saisi le potentiel de ce texte, réécrit par le dramaturge Olivier Py. « Il me permettait de mettre en scène l'odyssée terrible de ceux qui ont connu l'exil. » Et ce sont des migrants qui donneront corps à cette pièce.
Pour trouver ses comédiens, Jean-Luc Bansard parcourt les cours d'alphabétisation. C'est là qu'il trouve Zérit, un grand jeune homme calme de 26 ans. Il joue le rôle de l'un des Égyptiens. Lui aussi a fait un long voyage. Il a quitté son pays, l'Érythrée, véritable prison à ciel ouvert, une des plus sanglantes dictatures du monde. « Chez nous, le service militaire est obligatoire et peut durer une dizaine d'années. Mais moi, je ne voulais pas mourir, alors je suis parti. » Il a quitté sa femme et son fils pour traverser l'Érythrée et le Soudan à pied.
La vie d'un migrant, c'est courir, se baisser, se taire, se cacher. Et s'entasser. Dans un camion qui traverse la Libye, un petit bateau qui franchit la Méditerranée. « On avait tout le temps la peur au ventre, que l'eau rentre, que le bateau coule, qu'on tombe à l'eau... Savoir nager ne sert à rien. Si tu tombes, tu es mort... »
Il ne mourra pas. Mais abordera l'Italie, traversera la France et se retrouvera dans la jungle de Calais. « C'était très difficile. Je n'avais pas d'argent et j'étais sale. Il n'y a pas de douche, pas d'abri. On ne peut pas vivre comme ça. » À Laval, il est accueilli par France terre d'asile avec vingt et un autres réfugiés.
Zérit n'avait rien d'un pauvre en Érythrée : il était professeur de mathématiques et de physique. « Il faut avoir de l'argent pour payer les passeurs. Moi j'ai versé l'équivalent de 1 500 dollars pour arriver en Libye et la même somme pour traverser la Méditerranée. » Il pourrait se retrouver dans les mots de A. : « Dans mon pays, il ne reste que les pauvres et les vieux. »
Samir joue Danaos, le père des suppliantes. C'est un petit homme rond et jovial qui fait rouler les « r » avec un fort accent. Mais lors des premières répétitions, ce Syrien de 57 ans avait l'humeur sombre. « Des amis m'ont appris que ma maison avait été touchée par des roquettes... J'habite dans un village chrétien qui est bombardé tous les jours par les djihadistes. »
Il tient à dire que le régime de Bachar al-Assad protège les minorités. Mais peut-il parler librement ? Le fils aîné de Samir vit encore à Damas. Et on dit que des agents du gouvernement syrien sont installés en France. Est-ce pour cela qu'il préfère ne pas donner son nom ?
Il faudrait parler des autres comédiens. D'Arianit qui vient aux répétitions pour « oublier, ne pas rester à rien faire ». Cet ancien comptable a quitté son pays, le Kosovo, parce qu'il se sentait menacé par la mafia. « Je n'ai pas accepté le racket. Et l'État ne fait rien pour nous protéger. » En France, il n'a pas trouvé le paradis attendu. « Je n'ai pas le droit de travailler et nous n'avons plus de logement. » En décembre 2015, Arianit vivait dans une voiture avec sa femme et ses quatre enfants.
Il faudrait évoquer aussi Braim qui joue le prince d'Argos. Comédien et écrivain, il a fui la dictature de Ben Ali en 2005. À Laval, il a travaillé en usine et participé au festival du Premier roman... Maintenant, il attend d'obtenir la nationalité française. Et puis ne pas oublier Véra et Pranvéra, des sœurs jumelles albanaises dont les prénoms veulent dire « été » et « printemps ». Sur scène, elles font partie du chœur des Suppliantes. Mais quel est leur avenir en France ? Leur statut de réfugiées a été refusé : l'Albanie n'est pas en guerre. Elles sont sous le coup d'une obligation de quitter le territoire.
Quand Jean-Luc Bansard a rencontré les deux sœurs dans un cours d'alphabétisation, il leur a longuement parlé des Suppliantes. Véra a eu une seule réponse : « On veut défendre cette histoire. C'est la nôtre. »
Représentations réalisées avec le soutien de France terre d'asile : lundi 20 juin, à 20 h 30, au Rex à Château-Gontier. Puis en septembre et en octobre à Jublains, Laval et Allonnes (Sarthe).
Le 13/06/2016, Jean-François VALLÉE, Ouest France