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Publié le : 21/06/2018
Quatre lits en fer rouge, cloués au sol. Au mur, une peinture bleue pas de première fraîcheur. Et aux fenêtres, des barreaux. Sur les deux lits occupés de la chambre, deux femmes attendent. Elles ne parlent pas français et saluent d’un timide signe de tête leur visiteur. Didier Marie, sénateur PS de Seine-Maritime, s’est rendu au Centre de rétention administrative (CRA) de Oissel, vendredi 15 juin. C’est là que sont retenues des personnes étrangères qui font l’objet d’une mesure d’éloignement. Alors que le débat au Sénat sur la loi Asile et immigration débute aujourd’hui mardi (lire par ailleurs) « pour au moins quatre jours », l’homme politique a voulu s’« imprégner des réalités et avoir des exemples concrets à apporter lors des débats ». Mais Didier Marie ne découvre pas le sujet, il a d’ailleurs, avec le groupe socialiste et républicain, déposé de nombreux amendements.
Au centre de rétention, dans la zone famille/femmes, seulement deux personnes sont accueillies ce jour-là. « Qu’en est-il des enfants ?, s’enquiert le sénateur. Il n’ont rien à faire là. Il y a quand même un côté carcéral. » « On a tendance à ne plus en accueillir », affirme le major Éric Keller, adjoint au chef de centre. Jeudi 14 juin, dans un avis publié au Journal officiel, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté juge « très alarmante » la hausse continue, depuis 2013, de l’enfermement des mineurs étrangers.
Dans la zone réservée aux hommes, le centre fait le plein : « On peut accueillir maximum 72 personnes, dont 53 hommes. Et côté hommes, le taux d’occupation atteint souvent entre 95 et 100 % », indique le major de la police aux frontières. Quatre-vingt-trois fonctionnaires travaillent au centre, qui accueille entre 1 100 et 1 200 personnes par an.
Du côté des hommes, un groupe s’est réuni dans le couloir, et dans la salle de télévision, un homme fixe une chaîne d’information en continue : « Je suis là depuis le 6 juin. J’attends la réponse du tribunal administratif pour pouvoir rester en France car je suis malade. » Cet Algérien d’origine est en France depuis treize ans. Il était venu avec un visa étudiant et a ensuite pu avoir des visas spécifiques du fait de sa maladie. Mais là, il n’a plus de papier.
Dans le couloir, non loin d’une pièce où des hommes se font raser la barbe, un des migrants interpelle le sénateur pour lui parler de son cas. Qui a l’air plutôt complexe. « Il faut vous faire aider par les associations », lui conseille Didier Marie. Tous les matins, l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) et France terre d’asile assurent des permanences. Cette dernière accompagne ceux souhaitant faire une demande d’asile - ils ont cinq jours à leur arrivée.
L’Ofii est là « essentiellement pour préparer le retour. On fait ce que les personnes retenues ne peuvent pas faire », explique Olivier Roquet de l’Ofii. Comme récupérer des bagages, clôturer des comptes bancaires...
Dans la salle de vidéosurveillance, un tableau recense les personnes présentes et leurs nationalités. Diverses. « La nationalité la plus représentée en ce moment ce sont les Albanais que l’on retrouve souvent sur le port de Dieppe. C’est le passage en Angleterre qui les motive », affirme Éric Keller. Mais les personnes retenues à Oissel n’ont pas forcément été appréhendées en Normandie, elles peuvent venir de toute la France. Elles sont dispatchées entre les 20 CRA nationaux, en fonction des disponibilités.
À Oissel, la durée de rétention moyenne est de 12,5 jours. Les étrangers peuvent y rester maximum 45 jours, selon le temps nécessaire pour organiser leur éloignement. La loi prévoit d’allonger ce délai à 90 jours. Ce à quoi est opposé le sénateur socialiste : « Si on n’a pas trouvé de solution pour la personne au bout de 45 jours, il y a peu de chance qu’on en trouve une au bout de 90 ». La commission du Sénat souhaite elle aussi maintenir le délai à 45 jours, au bout duquel la personne est remise en liberté. Si un éloignement forcé n’a pas été possible, il sera en pratique quasiment impossible, faute notamment de reconnaissance de leur ressortissant par le pays d’origine, explique en substance le vice-président de la commission Affaires européennes au Sénat.
« Il faut bien les occuper, 45 jours c’est long », lâche un agent de police alors que l’ancien maire d’Elbeuf pénètre dans la cour extérieure où sont installés des équipements sportifs. Presque une chance, car la zone des femmes et familles ne dispose que d’un patio avec, pour ciel, un grillage. Côté loisirs, les deux zones bénéficient d’une salle de télévision, avec des bancs en métal, recouverts par une fine couverture. Dans le couloir, où est affiché le règlement intérieur des lieux dans les six langues officielles de l’ONU, ainsi que les règles de vie du lieu - uniquement en français - trône une table de ping-pong et un baby-foot.
Les chambres disposent de leurs sanitaires, élémentaires : un lavabo et une douche en inox et des toilettes turques. Pour les repas, ils sont servis dans une salle, aux fenêtres grillagées. Le lieu n’est certes pas une prison, mais il y fait fortement penser.
La loi Asile et immigration a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale. Le gouvernement vise à réduire à six mois, recours compris, contre onze aujourd’hui, l’instruction de la demande d’asile. Objectif affiché : faciliter à la fois l’expulsion des déboutés et l’accueil des acceptés. Figure aussi dans le texte le doublement du délai maximum de rétention des étrangers en attente d’expulsion (y compris mineurs), l’assouplissement du délit de solidarité...
Le texte va maintenant être discuté au Sénat, dès mardi 19 juin. En commission, les sénateurs ont amendé le texte. La majorité sénatoriale LR-UDI l’a durci, notamment en élargissant les cas de placement en rétention, en renforçant les conditions du regroupement familial ou encore en supprimant l’assouplissement du délit d’entrave.
« Ce texte est partiel, juge Didier Marie. Le problème est international. Et les premières réponses à apporter sont européennes. » Selon le sénateur, le texte est aussi « d’affichage. Il a deux objectifs : être dissuasif, afin que les migrants n’aient pas envie de choisir la France comme pays d’accueil, et remettre en cause les droits d’accès à l’asile et le droit de se défendre en cas de refus ». « Certains de nos amendements [du groupe socialiste et républicain, Ndlr] ont été adoptés », souligne Didier Marie. Ainsi la définition des pays sûrs (où l’on considère qu’un étranger peut être renvoyé sans danger) est complétée pour garantir qu’un pays où les personnes transgenres sont persécutées ne soit pas considéré comme tel.
Le texte sera ensuite, en deuxième lecture, à nouveau débattu à l’Assemblée nationale puis au Sénat.
En 2017, France terre d’asile a enregistré 2 280 primo arrivants en Seine-Maritime et 276 dans l’Eure. Cette année-là, entre mai et juillet, la plateforme d’accueil des demandeurs d’asile à Rouen, gérée par France terre d’asile, a connu un pic d’arrivées avec une augmentation de 83 %. La préfecture de Seine-Maritime, qui a normalement dix jours pour enregistrer et ouvrir un dossier, n’avait alors pas pu tenir tous les délais. « La situation est revenue à la normale depuis janvier », informe Caroline Sarrazin, chef de service plateforme d’accueil des demandeurs d’asile.
Didier Marie, après avoir visité le centre d’accueil des demandeurs d’asile, à Rouen, a participé à une table ronde réunissant des associations (France terre d’asile, Réseau éducation sans frontière, Médecins du monde, la Cimade, la Ligue des droits de l’Homme) et une représentante de l’ordre des avocats de Rouen. Tous souhaitent que « Dublin III », le règlement européen qui délègue la responsabilité de l’examen de la demande d’asile d’un réfugié au premier pays qui l’a accueilli, soit modifié.
Le projet de loi asile-immigration, qui a suscité des critiques, y compris au sein de la majorité à l’Assemblée, arrive aujourd’hui au Sénat, avec en toile de fond la crise du navire Aquarius et ses 630 migrants.
Le projet de loi avait été adopté en première lecture fin avril à l’Assemblée après des débats très enflammés. Les Républicains et toute la gauche avaient voté contre. Au Sénat, il fera l’objet d’un vote solennel le 26 juin. Il sera ensuite examiné par une commission mixte paritaire chargée de trouver une version commune aux deux chambres. « Nous considérons que face à la nécessité d’une prise de conscience de la gravité de la situation, ce texte n’est certainement pas à la hauteur des enjeux », déplore le sénateur normand, président de la commission des lois, Philippe Bas (LR). « Ce texte est inutile », affirme pour sa part le sénateur PS, Jean-Yves Leconte.
« Le texte ne comprend aucune mesure significative ni sur l’éloignement des immigrants irréguliers, ni sur l’intégration de l’immigration régulière, ni sur la lutte contre le communautarisme, accuse Philippe Bas, relevant que les demandes d’asile ont augmenté de 20,8 % l’an dernier. Il passe volontairement sous silence les difficultés majeures de notre pays comme l’obtention des laissez-passer consulaires pour éloigner les personnes en situation irrégulière, la gestion des mineurs isolés, la maîtrise de l’immigration familiale... »
« La commission des lois a donc élaboré un contre-projet plus cohérent, plus ferme et plus réaliste et propose des alternatives crédibles aux fausses solutions du gouvernement », selon le rapporteur François-Noël Buffet (LR). Elle a supprimé plusieurs mesures votées par les députés, comme l’assouplissement du délit de solidarité ou l’extension du regroupement familial aux frères et sœurs mineurs. Elle s’est en revanche opposée à l’une des mesures phares du gouvernement, la réduction de 30 jours à 15 du délai de recours devant la Cour nationale du droit d’asile en cas de rejet d’une demande d’asile, la considérant « attentatoire aux droits des demandeurs d’asile et inefficace pour lutter contre l’immigration irrégulière ». Elle a prévu toutefois que la décision de rejet définitif d’une demande d’asile vaille obligation à quitter le territoire français. Par ailleurs, les étrangers en situation irrégulière qui commettent un crime ou un délit passible de cinq ans d’emprisonnement seraient contraints de quitter la France.
La commission a aussi interdit le placement en rétention des mineurs isolés et encadré celui des mineurs accompagnant leur famille. Elle a proposé de renforcer l’intégration des étrangers en situation régulière et souhaité ramener dans le jeu les collectivités locales. Pour Jean-Yves Leconte, la stratégie du ministre de l’Intérieur Gérard Collomb face à l’immigration, « c’est de montrer aux migrants qu’il ne faut pas demander l’asile en France ».
Paris Normandie, Violaine Gargala, le 19/06/2018