- Accueil
- France terre d'asile
- Histoire
- 1971-1980
- 1980-1998
- 1998-2006
- 2006 à nos jours
- Organisation
- Notre gouvernance
- Nos établissements
- Notre organisation
- Nos actions
- Notre expertise
- Infos migrants
- Faire un don
- Rejoignez-nous
Publié le : 24/10/2018
Roger Martelli, historien directeur de la publication de Regards :
La frontière n’a rien de naturel. C’est une construction historique récente, mais c’est une réalité. La question immédiate n’est pas de l’abolir, mais de la relativiser, tout au moins en matière de migrations. La raison en est simple : le seul cadre vraiment pertinent pour la régulation des migrations est le monde. Quant à l’opérateur légitime, ce devrait être l’ONU. L’initiative onusienne d’un "Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières" est une ainsi piste intéressante. L’extrême droite européenne n’en veut pas, Orban, Salvini et Trump font tout pour la saborder. Il n’y a rien de plus urgent que de ne pas les laisser faire. Quant à la frontière, on peut continuer à y voir un bornage territorial nécessaire de la souveraineté. En revanche, en faire une clôture et de plus en plus souvent un mur est une absurdité, tout autant qu’un déni d’humanité. Toute frontière ne produit pas de la violence, mais elle y conduit quand elle se fait mur. Cette translation vers le mur est hélas un paradigme de notre temps.
Quant à la différenciation de l’asile et de l’immigration, elle continue de recouper la distinction entre le déplacement sous contrainte extrême et le déplacement plus ou moins volontaire. Entre les deux notions, il y a moins une rupture de nature qu’un écart dans la mesure de l’urgence. Pour les réfugiés, le devoir d’installation devrait être tenu pour un principe de base. Pour les autres migrants, la question est moins celle du droit d’installation que celle de la banalisation du principe d’accueil, assorti de l’exigence universelle d’égalité des droits à la dignité et à la protection pour tous, migrants ou « autochtones ».
Thierry Le Roy, Président de France terre d'asile :
Comme vous le dites, la question de la frontière en matière de migrations n'est pas celle de son existence, mais de son rôle et de son fonctionnement pour "assurer des migrations sûres, ordonnées et régulières".
Objectif perdu de vue, frontières dévoyées, lorsque l'asile ne peut plus, en fait, être demandé à la frontière de certains pays européens, "emmurés"; ou reste trop parcimonieusement accessible par des visas consulaires ad hoc; ou encore renvoyé, au-delà des frontières, à des pays tiers. Perdu de vue, dès le départ, pourrait-on dire, par l'Europe de Schengen, qui a conçu sa frontière, non en fonction d'une régulation ordonnée, voulue, convenue, des migrations avec le reste du monde, mais pour le seul objectif de libre circulation en Europe de ses ressortissants. Perdu de vue, aujourd'hui, même dans le traitement international des secours en mer...
À l'opposé de cet impensé des frontières, nous sommes attachés à la définition de voies de migration légales, dont l'asile fait partie, et qui supposent des frontières, mais des frontières soumises à l'état de droit.
Relativiser la frontière ? Plutôt, dans cette mesure, la prendre au sérieux. La frontière est un passage, non un mur. Elle est le signe d’une souveraineté politique. Elle est une protection, elle trace les limites d’un intérieur et de l’extérieur qu’il ne faut pas opposer mais plutôt faire converger dans le respect des traités internationaux qui lient la communauté internationale.
Roger Martelli, historien directeur de la publication de Regards :
Les sociétés d’accueil comme les nôtres sont confrontées à du mal-vivre et à des carences de sens partagé. Or ces significations communes constituent les bases qui permettent de vivre ensemble. Quand les causes du mal-être ne sont pas clairement identifiables, la tentation classique est de se tourner vers les boucs émissaires, presque toujours parés des attributs de l’altérité et de l’étrangeté. Face au bouc émissaire, la colère se transforme aisément en ressentiment et celui-ci, historiquement, a toujours porté vers les solutions brutales d’exclusion, dont le fascisme historique a été l’expression et dont l’extrême droite européenne reprend le flambeau.
Lutter contre cette tentation relève du combat civique et politique. Elle implique de démonter l’argumentation fausse du « coût » de l’immigration, régulièrement démentie par les études appuyées sur les faits. Au-delà, elle exige que l’on oppose, aux logiques dominantes de la dérégulation et du « conflit des civilisations », le projet nécessaire et possible d’une société de la solidarité, du partage et des communs. L’exclusion est une manière illusoire de remplir le vide des constructions partagées. Critiquer l’illusion est un point de départ nécessaire ; combler le vide des projections collectives est la seule manière pour aller plus loin et de façon plus durable. Fonder la nécessité de l’accueil, c’est se projeter dans l’horizon d’une société où l’accueil n’est plus une charge ou une source de menace, mais une condition du développement de tous et de chacun. Affaire politique, disais-je : voilà qui ne se réduit certainement pas à un combat partisan.
Thierry Le Roy, Président de France terre d'asile :
Les sociétés d'accueil peuvent être tentées par l'exclusion des étrangers. L'histoire le montre. L'actualité aussi.
Nous rejoignons volontiers votre propos, qui ne s'arrête pas à la condamnation de m'expression politique de cette exclusion, ni à la dénonciation des argumentations fausses, si fréquentes aujourd'hui comme hier, à propos des migrations et des migrants. Vous parlez des vides des projections collectives, mais sans dire comment les combler.
Nos associations parlent souvent, légitimement, des droits des migrants, mais sans prétendre que cela peut suffire à convaincre une société que l'accueil n'est plus une charge ou une source de menace. Nous rencontrons, chez nombre de nos compatriotes, dans le travail qu'on dit d'intégration, la question identitaire, qui n'est pas seulement une matière à polémiques, ni nécessairement la tentation d'un repli.
Nous pensons qu’il est nécessaire d’inscrire le devoir d’hospitalité dans un pacte citoyen dont un certain nombre d’éléments ne sont pas négociables : l’égalité hommes femmes, le respect de la laïcité. Mais aussi que l’intégration ne peut se réduire à une injonction des pouvoirs publics, qu’elle doit se décliner en termes concrets sur le terrain et avec les moyens budgétaires adaptés. C’est un débat que nous devons mener.
Entretien réalisé le 22 octobre 2018