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Publié le : 04/06/2016
Le 31 mai 2016, le camp de réfugiés installé en bordure des jardins d'Eole dans le XIXe arrondissement de Paris ©PHOTOPQR/LE PARISIEN/Jean-Baptiste QUENTIN
Un « devoir d'humanisme ». C'est ainsi qu'Anne Hidalgo a justifié l'annonce, mardi 31 mai, de la création prochaine d'un camp de réfugiés sur le territoire parisien. Inspiré par l'expérience de Grande-Synthe, dont la mairie a ouvert le 7 mars le premier camp de réfugiés en France, avec MSF, le projet parisien sera précisé dans les prochains jours. Son ou ses emplacements, sur des terrains appartenant à la Ville, peut-être dans le Nord et dans le Sud de la capitale, devraient alors être connus, et son ouverture devrait intervenir d'ici à un mois et demi. « Ce délai est très ambitieux, admet Bruno Julliard, premier adjoint d'Anne Hidalgo, mais nous ferons tout pour le tenir. »
Pierre Henry, directeur de France terre d'asile, associée par la maire à son projet, se réjouit de la nouvelle, tout en restant prudent : « Chaque jour, des centaines de personnes arrivent dans la capitale, trois à quatre cents personnes font la queue devant nos services et nous ne pouvons en recevoir que cinquante à quatre-vingts. Nous réclamons depuis des mois à l'État un renforcement de nos moyens. Qu'Anne Hidalgo secoue le cocotier est très bien. Son interpellation est la bienvenue, mais l'État doit prendre ses responsabilités et organiser l'ensemble du dispositif, qui ne peut être que national. Quoi qu'il en soit, son initiative fera nécessairement bouger les lignes au sommet de l'État. »
L'annonce d'Anne Hidalgo, qui a pris tout le monde de court, sonne comme un défi au gouvernement. Lors de sa conférence de presse, la maire de Paris a appelé l'État à l'accompagner dans ce projet, soulignant que l'accueil des demandeurs d'asile relève de sa responsabilité et de sa compétence. A Grande-Synthe, le gouvernement n'avait pas souhaité soutenir le projet du maire, Damien Carême, et de MSF, mais a fini par s'y associer, mis devant le fait accompli : lundi 30 mai, Bernard Cazeneuve et Emmanuelle Cosse (ministres de l'Intérieur et du Logement) ont signé sur place une convention prenant acte de la gestion du camp par une association mandatée par eux. « Si l'État s'engage aujourd'hui à Grande-Synthe, Paris est fondé à demander la même chose !, estime Pierre Henry. Or, je sens bien qu'il y a une hésitation sur ce qu'il convient de faire pour les réfugiés, tant dans la population qu'au gouvernement. Le pouvoir semble dramatiquement tétanisé. »
C'est donc des élus locaux que viennent la solidarité, l'action et l'engagement sur cette question des réfugiés qui secoue la France – et toute l'Europe – depuis des mois. « Depuis un an, nous sommes en désaccord avec l'État sur les solutions à apporter », confirme Bruno Julliard. « Nous nous sommes décidés cette semaine, devant l'incapacité de la préfecture à fournir un calendrier décent d'évacuation humanitaire des jardins d'Eole (parc des 18e et 19e arrondissements), où près de mille personnes sont aujourd'hui présentes. Il n'est pas acceptable qu'avant d'obtenir une place d'hébergement, les primo-arrivants doivent passer des semaines dans la rue dans des conditions insupportables. C'est inhumain pour eux, et incompréhensible pour les riverains parisiens. »
Sans attendre « un hypothétique accord de l'État », la mairie de Paris a donc dépêché deux adjointes à Grande-Synthe, vendredi 27 mai, pour s'informer sur les modalités de construction et de fonctionnement du camp de la Linière, qui accueille aujourd'hui quelques sept cent cinquante personnes, après en avoir abrité jusqu'à mille trois cents. Selon nos informations, MSF, qui a construit le camp de la Linière, n'a pas été approché pour le projet parisien. Les associations présentes lors de l'annonce de Mme Hidalgo (France terre d'asile, Emmaüs Solidarité et Aurore), « prévenues un peu à la dernière minute », se réjouissent du projet mais indiquent qu'elles n'ont pas la compétence pour bâtir un tel camp.
Selon Bruno Julliard, il est encore trop tôt pour connaître l'opérateur qui sera chargé de la construction du ou des camps. Ils ont vocation à être des « sas », des lieux de transit avant une réorientation vers un hébergement plus durable ou des Cada (Centres d'accueil de demandeurs d'asile). « Il faut créer un écosystème vertueux solidaire, chaque capitale régionale doit disposer de lieux de transit pour accueillir les gens dignement et selon des normes internationales, avant de pouvoir les rediriger vers des Cada, dont les capacités doivent évidemment, et très vite, être augmentées », insiste Pierre Henry, de France terre d'asile.
Tout cela relève de l'État, bousculé par ces initiatives de terrain, et qui aurait très mal pris l'annonce de Mme Hidalgo. Bruno Julliard confirme que « la première réaction du gouvernement a été une très froide prise d'acte de notre initiative. Mais depuis jeudi 2 juin, le dialogue semble s'engager, notamment avec Emmanuelle Cosse, et nous sommes assez confiants. Depuis plus d'un an, l'Etat témoigne une grande réticence à construire des lieux d'accueil qui permettent aussi l'hébergement, mettant en avant le fameux ''risque d'appel d'air'', auquel nous ne croyons pas du tout. La Ville a déjà investi quatorze millions d'euros au-delà de ses compétences, dans des subventions aux associations, l'investissement dans des lieux d'accueil – sans toucher à ses autres dépenses sociales. »
Le budget du ou des nouveaux camps est encore inconnu, il dépendra notamment de la participation de l'Etat. A Grande-Synthe, MSF a dépensé près de trois millions d'euros pour assainir le terrain et le doter d'abris chauffés en bois, de douches et de toilettes. Le gouvernement, lui, dépensera environ quatre millions annuels pour le faire fonctionner. Tout est affaire de volonté politique, souligne Bruno Julliard : « Nous savons que, si nous sommes mobilisés, il est possible d'accueillir quelques milliers de personnes. Je regrette que sur le plan politique, l'aide aux réfugiés ne soit pas davantage assumée, que l'on agisse dans une forme de solidarité honteuse, comme si l'on ne voulait pas montrer la volonté d'un accueil digne, par peur de braquer une partie de la population. Assumer un discours volontariste et des réponses pragmatiques, c'est l'honneur de la gauche et de notre pays. »
Dans Libération ce vendredi 4 juin, Emmanuelle Cosse, dont l'arrivée au gouvernement semble marquer une inflexion de la ligne « dure » jusqu'ici portée par le ministère de l'Intérieur, annonce travailler avec Bernard Cazeneuve à « l'élaboration d'un nouveau plan migrants » et affirme que « le meilleur moyen de converger et d'être efficace, c'est la solidarité nationale ». C'est bien ce que les associations, des élus locaux et aussi de nombreux citoyens, demandent depuis des mois à l'État français.
Le 04/06/2016, par Juliette Bénabent, Télérama