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Publié le : 22/10/2018
Le lundi 22 octobre 2018
Par une décision n° 114/2015 rendue publique le 15 juin 2018, le Comité européen des droits sociaux –l’équivalent de la Cour européenne des droits de l’homme pour vérifier l’application de la charte sociale européenne révisée du 3 mai 1996 – vient de condamner, sur réclamation d’EUROCEF, la France pour violation de cette charte.
France terre d'asile étant engagée de longue date dans la défense des droits des mineurs isolés étrangers (MIE), cette décision de condamnation est évidemment importante pour elle, l’association n’ayant jamais cessé, malgré les efforts des pouvoirs publics, de dénoncer les inégalités de traitement selon les départements, l’insuffisance des dispositifs d’accueil et d’accompagnement, le caractère insuffisant des tests osseux pour déterminer l’âge des intéressés.... Elle ne surprendra pas non plus dans la mesure où la CNCDH en 2014 et 2017 et le Défenseur des droits, dont les observations ont été sollicitées par le président du CEDS, largement cités dans la décision, ont déjà pointé à plusieurs reprises les nombreuses lacunes du dispositif d’accueil et d’hébergement des MIE.
La lecture de la décision est recommandée car elle comporte une description très complète des règles de droit nationales et européennes applicables (y compris des circulaires) et des pratiques recommandées et mises en œuvre au cours des années 2015 et 2016, un énoncé précis des griefs retenus dans chaque cas par le CEDS et l’argumentation en défense du Gouvernement.
1-À titre liminaire (§ 51 à 56), la CEDS a écarté la défense du gouvernement selon laquelle la charte ne s’appliquait, à la lueur du § 1 de l’annexe à la Charte, qu’aux MIE séjournant légalement en France, à l’exclusion des étrangers majeurs séjournant irrégulièrement sur le territoire. Pour ce faire, il s’est référé à la nature et au but de la charte, qui est la préservation des droits fondamentaux, y compris pour les mineurs en situation irrégulière.
Si le CEDS rappelle que le nombre de MIE a augmenté de 215 % entre 2013 et 2016 (§ 47), ce qui contribue à expliquer les difficultés rencontrées par les autorités, il a rappelé sa jurisprudence constante selon laquelle le but de la charte consiste à protéger des droits effectifs si bien que la législation ne suffit pas et qu’il faut examiner la manière dont elle est effectivement appliquée et si cette application est rigoureusement contrôlée (§ 76). Les moyens de mise en œuvre concernent aussi bien les ressources budgétaires que les procédures (§ 77). Et un État signataire ne peut pas arguer des responsabilités des collectivités territoriales pour échapper à la sienne, qui d’assumer correctement les obligations internationales qu’il a souscrites (§ 78). Les mineurs faisant partie des groupes dont la vulnérabilité est la plus grande (§ 79), les États doivent être particulièrement attentifs à l’impact de leurs choix sur ces groupes.
Pour être précis, le CEDS a retenu contre la France une violation :
.d’une part de l’article 17 § 1 de la charte (droit des enfants et des adolescents à une protection sociale, juridique et économique appropriée), au titre des carences relevées dans le dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation (§ 84 à 94), au titre des retards dans la nomination d’un administrateur ad hoc et de la détention de MIE dans les zones d’attente de Roissy et d’Orly et les hôtels (§ 95 à 101), au titre du caractère inadapté et inefficace de l’utilisation des tests osseux pour déterminer l’âge des mineurs (§ 102 à 113), au titre des difficultés rencontrées par les mineurs pour accéder à des recours effectifs (§ 114 à 117), d’autre part de l’article 17 § 2 au titre du droit à l’éducation (§ 118 à 125) ;
.de l’article 7 § 10 de la charte (droit des enfants et des adolescents à la protection) en raison de l’hébergement inapproprié des mineurs dans les zones d’attente et les hôtels, du surpeuplement des centres d’accueil ou de leur exposition à la vie dans la rue (§ 135 à 139) ;
. de l’article 11 de la charte (droit à la protection de la santé) du fait que l’Etat n’a pas adopté la mesure minimale indispensable qui consiste à assurer des logements et des foyers d’accueil aux MIE (§ 152) et que certains MIE vivent dans la rue ou que les MIE reconnus majeurs et ne respectant pas la condition de résidence de trois mois n’ont accès ni à la protection universelle maladie ni à l’AME (§ 154) ;
.de l’article 13 § 1 de la charte (droit à l’assistance sociale et médicale) à l’égard des MIE vivant dans la rue (§ 163), pour les conditions très variables de dispensation des soins et la formation insuffisante des travailleurs sociaux (§ 164) et pour les retards dans l’évaluation sociale des MIE (§ 165) ;
.de l’article 31 § 2 de la charte (droit au logement) au motif que l’obligation de fournir un abri adapté aux MIE n’est pas respectée (§ 174 et 175) et que l’État ne montre pas comment et à quelle échéance il compte garantir le droit à l’abri des mineurs (§ 176).
En revanche, le CEDS a écarté la violation de l’article 30 de la charte (droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale) au motif que le gouvernement, dans le cadre du plan pauvreté, avait pris des mesures en faveur de la prévention de la pauvreté et de l’accompagnement des personnes dans cette situation, tout en s’engageant à compléter ce plan (§ 185).
Cette décision confirme que la France ne respecte pas les standards européens en ce qui concerne les MIE, ce qui est un élément de débat important au moment où beaucoup s’interrogent sur la portée et les futurs effets de la nouvelle loi sur l’immigration en cours d’adoption par le Parlement.
2-Si elle est accablante pour le gouvernement, le Parlement et les collectivités territoriales, qui n’ont pas pris au cours des dernières années les mesures appropriées dans de nombreux domaines pour faire respecter les droits fondamentaux des MIE, cette décision devrait aider France terre d'asile et les autres associations actives sur ce champ à reformuler leurs priorités et leurs propositions en direction des pouvoirs publics. Car la situation actuelle n’est pas tenable. Et comme le CEDS sera probablement à nouveau saisi au sujet du respect des engagements pris par le Gouvernement à son égard, il y a sans doute un espace de discussion possible avec les pouvoirs publics pour l’améliorer.
3-Ceux-ci ont néanmoins commencé à combler le déficit de mesures accumulé depuis 2015. Ce comblement passe par une aide financière exceptionnelle de l’État aux départements. En 2018, le gouvernement s’est engagé à allouer un budget supplémentaire de 96 M€ aux départements afin de les soutenir dans l’accompagnement du public MIE.
D’autres points d’amélioration peuvent aussi être notés, notamment une augmentation constante des appels à projets dédiés aux MIE, avec une offre de places importante. En 2018 et 2019, les départements du Nord et de Paris, par exemple, projettent d’ouvrir de 600 à 800 places d’accompagnement vers l’autonomie.
Le cadre législatif a également évolué positivement, au travers de l’adoption ou de la précision de différentes mesures. Le MIE pris en charge par l’aide sociale à l’enfance peut dorénavant obtenir une autorisation provisoire de travail de plein droit.
S’agissant de l’enfermement des MIE, si la loi asile et immigration prévoit dorénavant que l’étranger de moins de 18 ans ne peut plus faire l’objet d’un placement en rétention, cette mesure ne s’applique toutefois pas aux mineurs accompagnant leur famille.
Enfin, la Stratégie de lutte et de prévention contre la pauvreté, lancée en mars 2018, manifeste la volonté du gouvernement de renforcer l’accompagnement des jeunes majeurs vulnérables sortant de l’ASE, notamment en matière d’accès au logement et à la formation.
Bref, si des améliorations sont en cours, il convient de rester vigilants sur leur mise en œuvre et de ne pas relâcher les efforts en faveur de cette catégorie vulnérable.