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Publié le : 05/09/2016
Calais le 2 septembre, photo : Sarah ALCALAY/SIPA
Entre 6 900 et 9 000 exilés occupent la lande de Calais – selon les sources. Les riverains n'en peuvent plus. Les chauffeurs de camion non plus, effrayés par les barrages sauvages que les migrants installent sur l'autoroute, avec des branchages ou de la ferraille, pour ralentir les véhicules et monter à bord.
Lors de sa huitième visite sur place, le 2 septembre, le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve a promis le démantèlement de la partie nord du bidonville (la jungle sud a déjà été évacuée au début de l'année) tout en annonçant la création de 2 000 nouvelles places en CAO (centres d'accueil et d'orientation) et 6 000 en CADA (centre d'accueil pour demandeurs d'asile) avant la fin de l'année. Xavier Bertrand, président (LR) de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, réclame davantage : la dénonciation des accords du Touquet, signés en 2003, en vertu desquels la France assure, à Calais, la protection de la frontière britannique, afin de contraindre les Britanniques à gérer les demandes d'asile qui leur reviennent, et à héberger sur leur sol les migrants concernés. Une telle dénonciation est-elle envisageable ? Le démantèlement a-t-il un sens, alors que le camp se remplit de nouveau à chaque évacuation ? Pierre Henry, directeur général de France terre d'asile, apporte son éclairage.
La rediscussion des accords franco-britanniques est sans aucun doute nécessaire pour que chacun prenne sa part dans l'accueil. Aujourd'hui, la Grande-Bretagne paie, et la France contrôle et héberge. Cette relation est profondément asymétrique. Pourquoi ? Regardez nos relations commerciales : la Grande-Bretagne représente le premier excédent commercial de la France [12 milliards d'euros en 2015, ndlr] ! Les relations économiques sont très fortes. Remettre en cause les accords du Touquet est indispensable, mais cela ne peut se faire que de manière partagée, et non par une dénonciation brutale. Personne ne le fera – quoi qu'en dise M. Sarkozy qui, après avoir signé ces accords en 2003, jure qu'il les dénoncerait dès le lendemain de son élection. Les politiques doivent mettre ce sujet sur la table, mais ils doivent aborder la question avec raison, rigueur et honnêteté, et se montrer responsables. Il serait inadmissible d'utiliser les réfugiés comme une arme de punition. Il faut amener les Anglais à la table des négociations avec diplomatie, pas en menaçant de « lâcher » 10 000 migrants sur le port de Douvres !
On observe en effet cette tendance, depuis mi-juillet. Va-t-elle se confirmer ? Je n'en sais rien. Il faut être prudent et se méfier des photographies instantanées. Certains Erythréens ou Soudanais nous disent qu'ils veulent demander l'asile en France, et on sait que les trois quarts des personnes qui sont parties en CAO [plus de 5 500 depuis un an, ndlr] ont aussi fait part de ce souhait. C'est sans doute lié à une situation à Calais extrêmement tendue compte tenu de l'augmentation de la population du camp, et à la complexité des allers-retours entre Calais et Paris où, pour l'instant, on n'est pas en mesure de les accueillir [le premier centre d'accueil annoncé par la maire, Anne Hidlago, ouvrira ses portes à la fin du mois, ndlr]. C'est aussi peut-être lié à un certain découragement chez les exilés : même si des passages continuent de s'effectuer, la frontière avec l'Angleterre est assez hermétique. On a donc des jeunes qui nous disent vouloir demander l'asile en France, mais la tendance est très récente et il faut moduler l'analyse.
Il faut rendre justice à Bernard Cazeneuve : il a certes annoncé le démantèlement mais il le lie à l'augmentation des capacités d'hébergement et promet des créations de places. À force d'agir dans l'urgence depuis des mois, on est aujourd'hui dans une impasse. Si on ne crée pas des places disponibles partout en France, ces gens reviendront à Calais où ils peuvent au moins poser une tente. De même, le centre d'accueil qu'Anne Hidalgo a décidé d'ouvrir à Paris sera voué à l'échec si de nombreuses places d'hébergement ne sont pas ouvertes très rapidement et si, plus largement, tout un dispositif d'accueil n'est pas mis en place, sur l'ensemble du territoire. Je le dis depuis des mois : chaque grande agglomération du pays doit créer des structures pour l'accueil, l'identification, et la réorientation des primo-arrivants. Aujourd'hui, il n'y a que deux points d'entrée dans le dispositif d'accueil français : la jungle de Calais, et les trottoirs de Paris, et les migrants le savent très bien. Les Régions doivent créer des lieux de transit, sans quoi l'impasse ne fera que se prolonger.
Parce que les politiques sont frileux, et refusent d'affronter les élus de régions ! En période d'austérité, il est difficile d'assumer une politique d'accueil car dans le regard des gens à qui l'on impose l'austérité, l'accueil crée une sorte de concurrence des précarités, et le sentiment qu'on aide des étrangers alors qu'eux-mêmes souffrent. Tout cela demande de la stratégie, de la pédagogie, de l'organisation, de la rigueur. Or, encore une fois, on agit en permanence dans l'urgence, cela donne aux Français le sentiment que rien n'est fait – ce qui est faux. Les images de désordre et d'improvisation ne font qu'alimenter le rejet, c'est une véritable fabrique des votes extrêmes. Et soyons lucides : la période qui s'ouvre en France sera celle des bonimenteurs, à toute tribune de meeting il suffit de prononcer les mots « Brexit » ou « migrants » pour se garantir un succès immédiat. L'immigration est dans tous les discours, les images de désordre instrumentalisées permettent la construction d'un imaginaire du rejet. C'est tragique, parce qu'il est trop tard, dans les mois qui viennent plus personne ne fera rien, alors que si on avait anticipé et organisé avec rigueur nos réponses, on aurait pu faire face.
Le 05/09/2016, par Juliette Bénabent, Télérama