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Publié le : 21/06/2016
Tout est dit dans cette phrase étonnante.
L'Europe a sous-traité ses obligations conventionnelles d'accueil et de protection des réfugiés à un pays tiers. Extravagant dans son principe, cet acte devient inquiétant quand le sous-traitant est la Turquie, où le respect des droits fondamentaux est loin d'être exemplaire.
L'accord du 18 mars 2016 entre les 28 états de l'Union et la Turquie est l'aboutissement d'une crise migratoire en Europe sans précédent depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.
Après 4 ans à attendre en vain une issue aux conflits du Moyen Orient, Il fallait évidemment s'attendre à voir les réfugiés syriens chercher un pays d'accueil qui leur permette d'assurer un avenir pour eux et leur famille. Ils ont commencé à quitter les pays de premier accueil et à se déplacer en masse sur la route des Balkans alors que l'Union européenne n'avait rien anticipé.
Et pourtant, s'agissant d'un exode, il existe une disposition européenne parfaitement adaptée à la situation. Il s'agit d'une protection temporaire mise en œuvre dans tous les états de l'Union lorsque le Conseil constate un afflux massif de ressortissants étrangers qui ne peuvent rentrer dans leur pays, notamment en raison d'une guerre, de violences ou de violations des droits de l'homme.
La Directive 2001/55/CE ne sera pas appliquée et c'est dans le plus grand désordre que près d'un million de personnes sont entrées dans l'espace européen durant l'année 2015, encouragées un temps par le message volontariste et généreux de la chancelière allemande: ''wir schaffen das'' (''nous le ferons'').
Mais le message n'est pas entendu. Au contraire sur la route des Balkans, c'est le chaos. Dans le désordre, des filtrages aux frontières s'organisent et des barrières se mettent en place. Le groupe de Visegrad fait, sur le sujet, sécession, en dehors de toutes les règles européennes.
Début 2016, Angela Merkel entreprend un mouvement de retournement spectaculaire et prépare avec le premier ministre turc et le président néerlandais du Conseil européen un projet de blocage du mouvement migratoire qui sera finalement adopté par les 28 états de l'Union le 18 mars 2016.
La déclaration UE-Turquie du 18 mars 2016 précise: ''Afin de démanteler le modèle économique des passeurs et d'offrir aux migrants une perspective autre que celle de risquer leur vie, l'UE et la Turquie ont décidé ce jour de mettre fin à la migration irrégulière de la Turquie vers l'UE.''
Ce serait donc pour des motifs humanitaires que les 28 pays de l'Union ont signé cet accord avec la Turquie. A qui fera-t-on croire cela? Depuis quand les noyés de la Méditerranée font-ils évoluer la politique migratoire de l'Europe? Tout le monde sait que les migrants chercheront d'autres voies de passage peut-être plus dangereuses.
La vérité c'est qu'il fallait à tout prix stopper le mouvement migratoire qui menaçait de déstabiliser l'Union. Il faut alors appeler les choses par leur nom: les 28 états de l'Union ont décidé de fermer la frontière maritime entre la Turquie et la Grèce aux migrants et ont décidé de sous-traiter à la Turquie nos obligations conventionnelles et constitutionnelles d'accueil et de protection des réfugiés.
Pour donner au mécanisme un vernis humanitaire, l'accord prévoit une voie de migration légale (la réinstallation) dont le flux sera régulé par l'intensité des passages irréguliers de Syriens des côtes turques vers les îles grecques.''
''Pour chaque Syrien renvoyé en Turquie au départ des îles grecques, un autre Syrien sera réinstallé de la Turquie vers l'UE en tenant compte des critères de vulnérabilité des Nations unies''.
Le contingent de réinstallés est plafonné au chiffre de 72.000. Il faudra donc que de nombreux Syriens prennent le risque des passages clandestins pour activer le plan de réinstallation. Au passage, les rédacteurs semblent avoir oublié qu'en hiérarchisant les bénéficiaires, ils enfreignaient la règle d'universalité du droit d'asile.
Et que dire du plafonnement du programme de réinstallation sinon qu'il est insignifiant au regard des 3.000.000 de migrants sur le sol turc, au regard des 5.000.000 de Syriens qui ont dû fuir leur territoire et qui survivent dans les pays de premier accueil.
Il est temps de rappeler l'Union européenne à ses obligations internationales. Il faut repenser cet accord et l'amender en conséquence.
Le concept de pays tiers sûr ne peut en aucune façon remettre en question le droit d'asile sur le sol européen. Quand un exode de cette dimension provoque une telle concentration de population sur des territoires fragilisés, il ne peut être question de leur laisser la charge intégrale de la sauvegarde d'une population épuisée par 5 années d'exil.
L'accord du 18 mars recèle en son sein la solution qui permettrait de revaloriser son contenu. Le paragraphe 4 de l'accord prévoit un complément et une suite au programme de réinstallation:
''Une fois que les franchissements irréguliers entre la Turquie et l'UE prendront fin ou tout au moins que leur nombre aura été substantiellement et durablement réduit, un programme d'admission humanitaire volontaire sera activé. Les Etats membres de l'Union y contribueront sur une base volontaire.''
Pourquoi ne pas simplement amender l'accord d'une part, en supprimant le troc honteux du un pour un (un Syrien réinstallé pour un Syrien réadmis), d'autre part, en mettant en œuvre immédiatement un programme de réinstallation simplifié, sans condition ni contrepartie, dont l'amplitude prendra en compte les préconisations du HCR.
Tous les pays européens ont l'obligation morale d'accueillir sur leur sol les demandeurs d'asile. Certains l'ont déjà fait d'une façon exemplaire. Il faut dorénavant établir une juste répartition sur les critères déjà établis pour le programme de relocalisation.
La solution du volontariat est la solution de facilité qui évite de mettre les états devant leur responsabilité, de plus cette solution est injuste et probablement insuffisante. Il faut réveiller l'Europe et imposer des mesures contraignantes et pénalisantes pour les pays qui maintiendront leur refus de solidarité. Les pays de premier accueil sont déjà largement sollicités sans qu'on envisage d'y externaliser nos propres obligations. Il faut au contraire soulager leur charge et mettre en place un partenariat de façon à se répartir au mieux l'assistance aux migrants.
L'exode des Syriens a pour origine un conflit dont les racines remontent à la déstabilisation du Moyen-Orient et aux guerres successives qui s'y sont déroulées. De nombreux états ont été engagés dans ces conflits. Il serait souhaitable qu'ils prennent leur part dans la résolution des conflits et du désordre qui en résultent.
La communauté internationale sera au rendez-vous pour la reconstruction du pays. Elle serait bien avisée d'anticiper son intervention par un soutien aux populations qui tôt ou tard réintégreront leur pays.
Le 20/06/2016, par Alain Le Cléac'h, Le HuffingtonPost