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Publié le : 15/12/2010
Pierre Henry est directeur général de l’Association France terre d’asile depuis 1997. C’est à ce titre que, le 8 novembre dernier, il a prononcé sur France info le communiqué suivant:
« L’accueil lundi soir par la France de plusieurs dizaines de chrétiens d’Irak durement touchés par le fanatisme d’Al-Qaïda est une nécessité et une évidence.
En liaison avec les autorités françaises, les équipes de France terre d’asile prendront en charge ces personnes persécutées et leur apporteront compréhension, aide, soutien social, juridique et moral.
Cet accueil s’inscrit pleinement dans le strict respect de la Convention de Genève.
Au-delà de cette opération évidemment consensuelle, il incombe à la France comme aux États européens de mettre en œuvre une véritable protection temporaire pour ceux – Irakiens, Afghans, Érythréens, Soudanais – qui fuient les zones de guerre, quittent leur pays par leurs propres moyens et sont souvent confrontés à un accueil très aléatoire sur le territoire européen et national. »
En mars 2008 déjà, il affirmait que le gouvernement s’était lancé dans une « opération de communication » lorsque Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères, avait annoncé l’accueil de 500 chrétiens d’Irak. Ce dernier avait ajouté: « Nous ne refuserons pas d’accueillir des musulmans » mais « le problème, c’est que personne n’accueillait les chrétiens. »
Pierre Henry avait sur ce point un avis divergent qu’il résumait ainsi: « Il est clair que cette minorité chrétienne court des risques, mais au même titre que beaucoup d’autres Irakiens. »
En attendant le communiqué de novembre dernier, il m’est venu qu’il contenait plusieurs idées qui valaient d’être développées et reprises, au-delà de leur actualité immédiate et des polémiques qu’elles avaient suscitées.
Olivier Favier: J’aimerais que vous reveniez sur l’histoire de l’opération Irak 500, destinée dans un premier temps à accueillir les chrétiens d’Irak.
Pierre Henry: En 2008, le gouvernement français décide de se lancer dans des opérations de réinstallation. Il s’agit d’aller chercher dans des pays soumis à de fortes pressions des personnes qui sont déjà reconnues réfugiées par le Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR). Donc au départ, la France décide conjointement avec le HCR et dans le cadre d’un programme mondial, mais plutôt porté par les États-Unis jusqu’ici, de réinstaller des réfugiés irakiens. Puis les choses deviennent plus confuses, quand Bernard Kouchner souligne la nécessité d’accueillir la population chrétienne. À cette époque, je fais remarquer qu’on n’accueille pas sur des bases confessionnelles. Certes, la convention de Genève prévoie bien d’accueillir pour des raisons de persécution religieuse et ce n’est pas discutable, mais il est étrange que la France, pays laïc, fasse de l’appartenance religieuse un critère d’accueil. Cette position a fait naître un certain nombre de critiques. Je l’ai maintenue. Le gouvernement français a évolué, du moins dans la présentation. Par la suite les premiers Irakiens arrivent et très rapidement on oublie à la fois le HCR et les critères avancés.
Nous avons publié une étude assez complète sur les conditions d’accueil et d’intégration, en montrant évidemment les difficultés rencontrées qui sont celles de toutes les populations qui prennent le chemin de l’exil.
À la fin octobre 2010, il y a un attentat à la cathédrale de Bagdad et l’accueil des personnes blessées et de leurs familles. Nous nous sommes mobilisés pour cet accueil. Cette fois, ma position n’a pas changé, simplement je l’explique de manière différente: il est normal au titre de la convention de Genève de recevoir des gens qui sont persécutés. Mais cet exemple démontre aussi une chose: quand il y a une volonté politique, l’accueil peut être remarquable et rapide. Aussi serait-il souhaitable que cet accueil soit le même pour tout le monde, et par exemple en Irak pour tous les persécutés, Kurdes, chiites, sunnites.
Olivier Favier – Ce que vous avez dénoncé à ces deux reprises, c’est une primauté du « compassionnel sur le droit » -je reprends cette formule de votre livre paru en 2008, Lettre ouverte aux humanistes en général et aux socialistes en particulier. Pourriez-vous nous dire ce qui se cache d’un point de vue réel puis d’un point de vue médiatique derrière les mots « Chrétiens d’Irak »? Quelle est en d’autres termes, la spécificité de cette communauté dans le contexte général d’un pays en guerre, et celle qu’elle peut évoquer aux oreilles d’un lecteur, d’un auditeur, d’un téléspectateur européen?
Pierre Henry – Il y a deux aspects. Il y a incontestablement un ciblage des chrétiens par Al Quaida en Irak. Cette communauté chrétienne a subi de dures attaques dans les dix dernières années. D’ailleurs le nombre de personnes se réclamant de cette confession a chuté de manière importante. On est passé de plus d’un million cinq-cent mille dans les années 1990 à cinq-cent mille aujourd’hui. Que le gouvernement réagisse à l’attentat de la cathédrale de Bagdad, et qu’il y ait une véritable émotion dans la communauté catholique, ne me paraît pas contestable. Maintenant il est difficile de ne pas voir dans l’opération d’accueil une dimension de communication. Bien sûr je ne veux pas voir du cynisme là où il n’y en a pas. Je veux bien imaginer que seules la bonté et la générosité des concepteurs de cet accueil l’emportent, mais je vois bien aussi qu’il y a là une nécessaire opération de reconquête d’un électorat de la droite catholique et sociale fortement malmenée par un épisode précédent autour de l’éviction des roms
(...)