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Publié le : 05/11/2015
Jean Gaeremynck : Président du conseil d’administration de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA). L’OFPRA est un organisme public (avec la présence d’associations en son sein) en charge de l'application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés. Il est le seul organisme compétent pour instruire les demandes d’asile (i.e. demandes de reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève). En tant que président du conseil d’administration, Jean Gaeremynck n’a pas de rôle opérationnel au sein de l’organisation mais joue un rôle d’orientation et de contrôle de son bon fonctionnement.
Pierre Henry : Directeur général de France terre d’asile. France terre d’asile est une association née en 1971 dont l’objectif est la défense et la promotion du droit d’asile en France. Il donne à ce droit un contenu social prolongeant les aspects juridiques mis en place par l’OFPRA. L’association intervient sur l’ensemble de la métropole et s’occupe des demandes d’asile, de la protection des mineurs isolés étrangers, et de l’intégration. Il s’agit d’un entrepreneur de mise en œuvre des politiques publiques. France terre d’asile est financée par la puissance publique car son objet est régalien : la solidarité.
Selon Jean Gaeremynck, la crise des Balkans de 1992 qui a entraîné la venue de 690 000 réfugiés dans une Europe à 15 est comparable dans son ampleur. Elle n’a cependant pas éprouvé le système de protection sociale européen car l’Allemagne a alors accueilli plus de 400 000 réfugiés. De plus les situations économiques dans l’Union de l’époque étaient radicalement différentes, ce qui rend la comparaison difficile. Aujourd’hui ces arrivées interrogent le pacte social des pays de l’UE.
Le point commun de ces deux crises est cependant la guerre qui est à leur origine (i.e : guerre de Yougoslavie en 1992).
Selon Pierre Henry, on peut également penser à la situation des Boat People à la fin des années 70 (fuyant le Viêt Nam sur des embarcations de fortunes).
Comment caractériser la situation actuelle en Europe ?
Selon Jean Gaeremynck, l’accueil des réfugiés, dans les faits, concerne surtout les pays pauvres car la guerre concerne directement les pays du Sud. Ce sont des pays du Moyen-Orient comme la Jordanie et le Liban qui accueillent les réfugiés sur place (environ 2 millions). À partir de cet état de fait, l’Union Européenne (U.E) a deux moyens d’interventions :
Pour Pierre Henry, il y a surtout une crise des politiques publiques, une absence de vision et d’anticipation de la part de l’UE des 28 très divisée sur le sujet.
Un bref historique permet de s’en apercevoir :
Donc il y a eu un retard dans les prises de décision et les systèmes mis en œuvre ne font pas face aux arrivées nombreuses et reposent sur un principe d’inégalités entre pays (ceux ayant les frontières extérieures devant les surveiller et prendre en charge les arrivées massives ainsi que les demandes d’asile en théorie).
Comment expliquer un tel retard de l’Europe ?
Jean Gaeremynck : l’intervention de l’Europe dans politique internationale est récente et date de 1997 (Traité d’Amsterdam qui a mis la question de l’asile dans les compétences de l’U.E). Avant, l’Europe n’intervenait pas. C’était les États membres qui adhéraient à la Conférence de Genève et qui l’appliquaient chacun pour sa part.
La directive de 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 permet la définition de :
Pour les institutions européennes, " la directive impose des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres " et ceci dans un contexte où " lors du Conseil européen de Tampere de 1999, les États membres ont convenu de travailler à la mise en place d’un régime d’asile européen commun. À court terme, cela impliquait la définition de certaines conditions communes minimales d’accueil pour les demandeurs d’asile (points 13 et 14 des conclusions du Conseil européen de Tampere)."
De même, le règlement de Dublin rentre en application dès 2003 sans besoin de transposition en droit national et prévoit :
Les critères de cette convention ont été remis en cause notamment celui du pays d’entrée (i.e : le pays chargé d’étudier la demande d’asile est le pays d’entrée) qui induisait une charge importante à la Grèce et à l’Italie par exemple. Jean Gaeremynck met tout de même en garde contre remise en cause trop forte de la politique européenne qui semble beaucoup moins sévère que celle de pays comme la Russie, le Canada, ou la Chine.
Toutefois, Angela Merkel a déclaré que « le règlement de Dublin était mort », et remettait en cause l’existence même de Schengen. Cela est-il à même d’entraîner la chute de l’édifice européen sur la politique d’asile ?
Pierre Henry ne pense pas que Schengen soit remis en cause. C’est le règlement de Dublin qui n’a jamais fonctionné, puisque le principe de solidarité entre États a été vicié : la responsabilité de l’accueil a été donnée aux pays aux frontières qui avaient un écart économique fort avec les autres pays de l’UE. Selon Pierre Henry, la position d’Angela Merkel est principalement politique : en dramatisant la situation (pas 800 000 arrivants en Allemagne mais seulement 210 000 au début du mois d’août, le chiffre avancé résultant d’une projection contestable), elle a pris le leadership moral européen ce qui lui a permis d’effacer l’épisode grec au passage.
Quand à la suspension de Dublin, elle est liée au fait que la plupart des mouvements ont lieu de la Turquie vers la Grèce sans perspectives de retour ni d’intégration pour les réfugiés. Cela a entraîné une accélération des flux en Allemagne.
Sur la solidarité européenne, les décisions ont été lentes à être mises en œuvre. Le principe de relocalisation s’est d’abord effectué sur une base de 40 000 personnes en juin 2015 puis 120 000. Mais il s’agit uniquement d’un principe, qui n’est pas en capacité de répondre à la crise migratoire.
La répartition à l’intérieur des pays membres selon des quotas s’est faite sur la base de critères liés au PIB, au nombre de demandeurs d’asiles et à l’expérience d’accueil des pays membres. La France a donc accepté 30 700 personnes en 2 ans, mais en réalité, elle en a accueilli moins de 800.
Jean Gaeremynck : il y a également eu la mise en place d’Eurodac en parallèle avec Dublin (= enregistrement des empreintes digitales). Mais ce dispositif ne marche pas (traitement des requêtes trop lentes, système inefficace), il est aujourd’hui obsolète. Aujourd’hui, les mesures temporaires (relocalisation : personnes qui doivent être relocalisées normalement en Italie ou en Grèce seront transférées dans d’autres pays sur la base des critères précédemment définis). Le système de Dublin est donc dépassé.
Pierre Henry : depuis le 1er janvier 2015 il y a eu 750 000 arrivées sur les côtes européennes, rien qu’en octobre on en compte 218 000. Par conséquent, le plan 120 000 relocations est dépassé. Il y a une nécessité de créer des centres d’accueils, d’enregistrement et de répartition (hot spot) afin d’enregistrer les personnes, celles qui peuvent bénéficier d’une procédure de protection internationale et d’une procédure de retour pour celles qui n’y répondent pas. Ce système est facile à mettre en œuvre en Grèce (car les réfugiés viennent de Syrie) mais plus difficile en Italie (flux mixtes, 80% flux ne répondent pas à cette procédure de protection internationale = Afrique de l’Ouest).
Jean Gaeremynck : ces hots spots pour la prise en compte du nombre d’arrivées sont une solution rationnelle. Mais le problème est que le nombre d’arrivées par jour excède les capacités des centres et rend obsolète le système. Aujourd’hui, les pays européens cherchent des solutions avec les pays de départ : stabiliser sur place.
Pierre Henry : en Grèce, 64% sont Syriens. L’accueil est toujours temporaire, au titre de la protection internationale. L’Europe a adopté une directive de protection temporaire mais elle ne l’a jamais appliquée alors qu’elle rendait possible le fait de donner des titres de séjours de 1 à 3 ans ce qui aurait pu rassurer les pays accueillants.
Jean Gaeremynck rappelle que l’article 55 de la Constitution dispose que les traités européens régulièrement ratifiés ont une valeur supérieure à la loi. Selon l’article 88, la Constitution doit respecter ces directives. On entend dans le débat public que le pays souffre et que sa capacité d’intégration est limitée. Mais nous n’avons pas le choix ! La convention de Genève signée par la France en 1951 doit être respectée obligatoirement.
Comment définit-t-on un demandeur d’asile et un réfugié ?
Pierre Henry : la définition des réfugiés est différente de celle du demandeur d’asile : certains ne sont pas encore réfugiés. Il y a 8 mois, on parlait de clandestin, puis migrant, puis terme générique de réfugiés. On est réfugiés quand les critères le permettent (Syriens, Afghans, Erythréens, Irakiens)
Jean Gaeremynck : juridiquement, les réfugiés sont des personnes qui ont obtenu le statut juridique de réfugiés, qui est un statut très protecteur. Mais aujourd’hui, le terme est utilisé sous l’angle de la notion commune et non juridique.
Quelle est la situation actuelle à Paris ?
Pierre Henry : la situation à Paris depuis 2 juin 2015 est la suivante : 2 000 personnes ont été mises à l’abri dans des dispositifs d’hébergement durable où ils ont 1 mois pour décider s’ils déposent une demande d’asile ou s’ils poursuivent leur voyage. L’opération d’évacuation d’Austerlitz en liaison avec la Mairie de Paris, Emmaüs, OFRPRA, France terre d’asile a été remarquable (pas de violence, avec volonté que chaque personne puisse bénéficier d’un hébergement).
Il y a aura d’autres évacuations, sous le principe selon lequel on accueille que les gens qui sont dans une procédure d’asile (les autres sont peut-être en situation irrégulière, pas d’obligation de prise en charge). Pour l’instant, la posture des pouvoirs publics est inédite : on ne demande pas le statut des personnes. La position française est assez généreuse : 1/3 des personnes hébergées sont en demande d’asile seulement et 2/3 hébergées sont sans statuts ce qui pose d’autres question en matière de politiques migratoires.
Quelle est la situation de l’accueil en France ?
Jean Gaeremynck : la France remplit ses engagements de bonne foi. Depuis 1952, elle fait ce qu’il faut pour protéger les réfugiés mais aussi les demandeurs d’asiles. La paradoxe de la situation est qu’en France, la situation est calme (2013 = 67 000 demandeurs d’asile, 2014 = moins de demandeurs d’asile) alors qu’en Allemagne, ce nombre augmente.
Pierre Henry : l’accueil est mesuré sur le territoire. Le dispositif d’accueil des demandeurs d’asile est en crise : 25 000 places d’accueil sur l’ensemble du territoire mais 60 000 demandeurs d’asile et une durée de procédure de 17 mois. Donc aujourd’hui la difficulté est structurelle : le dispositif national d’accueil est insuffisant et la situation d’accueil est exceptionnelle : 30 000 personnes sur 2 ans. Par ailleurs, le temps administratif n’est pas le même que celui de l’urgence donc cela ralentit le dispositif.
Jean Gaeremynck : la France respecte la Convention de Genève en donnant l’hébergement urgence à tous les demandeurs d’asiles (50 000 places). Il y a une évolution car on prévoit de créer davantage de place d’hébergement d’urgence. On n’a jamais vu un effort budgétaire aussi intense et rapide en France.
Les réfugiés ne veulent plus venir en France car notre pays apparaît moins attractif. Quels sont les efforts pour augmenter notre attractivité ?
Jean Gaeremynck : à Calais, ils ne demandent pas l’asile en France et vont en Angleterre. L’OFPRA doit venir sur place pour leur dire de demander l’asile en France (2015 : 1 500 personnes qui ont demandé l’asile).
Pierre Henry : il faut faire attention au French-bashing. La Grande-Bretagne (GB) n’est pas dans l’espace Schengen mais signe le règlement Dublin : ils prennent le meilleur des deux mondes, ce qui donne des difficultés aux autres États membres. L’accord du Touquet entre la GB et France a déterminé que la frontière britannique est sur le sol français, la France fait donc le travail pour la GB. À Calais, c’est l’impasse : plus de 5 000 réfugiés vivant dans des conditions indignes. Des efforts sont faits pour augmenter l’attractivité.
Plus la GB sécurise la frontière, plus les tentatives se feront dures (intrusions dans le tunnel). Si la GB n’est pas sur la table des négociations pour ouvrir une voie légale, cela continuera à nourrir les passeurs. Calais a toutes les caractéristiques d’un camp de réfugiés, qu’il faut le mettre aux normes internationales (accès à l’eau, repas, etc.)
Qu’en est-t-il de la fermeture du camp de Sangatte ?
Jean Gaeremynck : en 2000 le Ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy a obtenu la relocalisation de tous les migrants de Calais entre la France et la GB. C’est pourquoi on a fermé Sangatte et on a relogé 800 personnes.
Pierre Henry : oui mais la contrepartie a été les accords du Touquet.
Il y a une action de politique publique menée depuis un an par M. Cazeneuve mais avec un peu de retard. Il annonce la construction de 1500 places à l’intérieur du camp de Calais mais cela est difficile vu la situation locale et cela ne sera pas suffisant. Il y a un transfert de charges et une absence de solidarité au sein de l’UE. Cela ne remet pas en cause l’UE en elle-même mais les Etats membres qui le composent (Ex : Espagne, ils n’utilisent pas Eurodac et laissent passer les réfugiés qui se déplaceront dans les autres pays du Nord, aucun ne demande l’asile en Espagne)
La politique des quotas semble être une solution temporaire, comment trouver une solution de long-terme ?
Pierre Henry préfère avoir des solutions politiques aux situations de crise dans les pays d’origine plutôt qu’une solution humanitaire (solutions politiques à la crise syrienne, libyenne). Il y a par ailleurs une action à mener dans les pays de premier accueil (Turquie), pays de transit (Maghreb) et dans les pays africains. Rappel à l’ordre pour l’UE : corpus de valeur à respecter, pas assez ferme à l’égard de la Hongrie, de la Slovénie notamment.
Jean Gaeremynck : on devrait donner une priorité absolue à l’action humanitaire. L’opération Mare Nostrum menée par les italiens a été une opération efficace. Il faut simplement empêcher les gens de mourir.
Y a-t-il une concurrence entre publics (réfugiés et SDF) pour les demandes de logement social d’urgence ?
Jean Gaeremynck : la France est obligée de prendre en charge les demandeurs d’asile mais les SDF aussi. L’effort budgétaire est énorme pour les deux.
Pierre Henry : pas de concurrence de précarité dans les faits mais dans la tête de nos concitoyens, il y a concurrence car chacun a peur. Même aujourd’hui des salariés se comparent aux réfugiés.
« La pauvreté ne se partage pas » (Senghor). Les politiques publiques ont d’autant plus une responsabilité dans les moyens pour lutter contre les politiques qui mènent à une exclusion. Il n’y a pas de priorité donnée aux réfugiés. Il y a une domination des médias dans l’opinion publique : on a l’impression qu’il y a un envahissement et que l’on donne la priorité aux réfugiés.
Dans les faits : les appartements qui sont donnés sont ceux situés en zones non tendues (là où ils sont disponibles et où il n’y a pas d’emploi). D’où question des moyens d’intégration, du vivre-ensemble.
Jean Gaeremynck : les réfugiés sont des gens très reconnaissants envers la France, ont passé des épreuves, ne connaissent pas les « bobos » (manifestation des taxis ou des huissiers) de la société française, autre mentalité, beaucoup plus positive. Ces personnes ont une capacité d’adaptation extraordinaire.
Quid des futurs réfugiés climatiques ?
Jean Gaeremynck : il en existe, mais il n’y a aucun instrument international.
Quel est le rôle de la société civile ?
Pierre Henry : il est important. L’initiative « Duo de demain » permet le parrainage d’une famille de réfugiés, sur une base volontaire.
Conférence du 2 novembre, Terra Nova