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Publié le : 09/11/2016
Depuis 2015, l’Union européenne doit faire face à une crise migratoire mais surtout humanitaire sans précédent. Dans ce contexte, au niveau national comme au niveau européen, une stratégie coordonnée, fondée sur la responsabilité de chacun et la solidarité de tous est nécessaire pour relever le défi migratoire, aujourd’hui et surtout demain.
Dans ce contexte difficile, la Commission européenne a proposé une réforme globale, un Agenda en matière de migration en mai 2016 puis plusieurs révisions des dispositions du Paquet asile en juillet dernier. Elle souhaite notamment remplacer les directives Procédures d’asile et Qualification par deux règlements (d’application directe). Elle apporte également des modifications à la directive Conditions d’accueil et propose de mettre en œuvre un cadre de réinstallation à l’échelle de l’Union Européenne. Le but tel qu’affiché de ces propositions est de faire face aux crises migratoires mais aussi de rendre le système d’asile plus juste et plus efficace au niveau européen, tout en conservant des garanties suffisantes pour les demandeurs d’asile notamment en termes de droits fondamentaux.
Ainsi, les propositions présentent des points positifs, notamment en ce qui concerne l’accès au marché travail plus rapide pour les demandeurs d’asile, plus de garanties en termes de protection des mineurs et des délais de procédure réduits.
Mais, s’il est indéniablement urgent d’harmoniser les systèmes d’asile au sein de l’Union Européenne, et de rendre le système européen commun plus efficace, le risque existe que ces propositions amènent un nivellement par le bas du système global.
Ce qui est d’ailleurs frappant avec ce train de propositions c’est qu’à toute mesure positive -par exemple l’ouverture de voies légales de migrations comme alternative crédible aux passeurs- font face des mesures qui apparaissent comme très restrictives. Bien entendu, tout ceci est à mettre en relation avec les inquiétudes sur l’augmentation du nombre de demandeurs d’asile dans les différents États membres et l’agitation des peurs.
Il y a à peine 3 ans, nous étions nombreux au Parlement Européen à nous battre aux côtés de la Commission pour une réforme ambitieuse et protectrice du Régime d’Asile Européen Commun (RAEC). À l'issue de plusieurs années de débats et de tensions avec le Conseil, nous étions parvenus à créer un régime d'asile européen -certes encore imparfait-, mais harmonisateur et promoteur de droits pour les demandeurs.
Aujourd'hui, c'est son détricotage en bonne et due forme qui nous semble proposé.
Je ne peux pas m’empêcher de noter qu’aucune évaluation des résultats des récentes phases d’harmonisation du système d’asile européen n’a été effectuée. Comment alors améliorer un système dont on n’a pas relevé les points forts et les failles ?
Face à tous ces défis, le Parlement Européen a un rôle particulier qu’il est nécessaire de présenter ensuite je reviendrai sur la désunion qui a caractérisée la politique européenne en matière de migration ces derniers mois et enfin j’aborderai la question de plus en plus prégnante de l’externalisation de notre politique migratoire au niveau européen.
L’approche privilégiée par le PE dans les politiques migratoires
Le Parlement européen a toujours été particulièrement actif en matière de politique migratoire. Cet engagement est d'autant plus fort depuis le traité de Lisbonne qui l’a désigné comme législateur plein et entier, sur un pied d'égalité avec le Conseil.
Lors du précédent mandat, le Parlement européen et le Conseil ont ainsi travaillé sur des paquets législatifs qui touchent à toutes les composantes de la politique migratoire. Cela a concerné par exemple le régime d'asile européen commun, la migration légale, la coopération avec les pays tiers, la gestion intégrée des frontières extérieures ou bien encore les financements européens dans ce domaine.
Le Parlement européen, dans sa majorité, a toujours appelé à une politique migratoire globale, européenne et solidaire. En effet, les constats restent les mêmes : répartition inégale des demandeurs d'asile en Europe ; systèmes nationaux divergents ; manque de voies légales d'accès pour rejoindre l'Union; politiques insuffisamment financées; approche du chacun pour soi. La boîte à outils européenne dans le domaine migratoire est déjà bien pourvue, mais ces instruments sont trop souvent insuffisants et déconnectés entre eux.
La crise des migrants en Méditerranée et dans les Balkans occidentaux a concentré toute l'attention sur les besoins immédiats. Mais elle a aussi mis en évidence les limites structurelles de la politique de l'Union et des instruments dont elle dispose. Hier, comme aujourd'hui, l'UE peine à adopter une politique migratoire globale, à long terme, stratégique et reconnaissons-le, lisible.
C'est d'ailleurs ce constat qui a poussé en décembre 2014 le Parlement européen à prendre l'initiative d'un travail d'enquête et de préconisation exhaustif pour une politique migratoire européenne solidaire, responsable et coordonnée (rapport C. KYENGE et R. METSOLA)… préconisations qu’il faut faire entendre au Conseil et à la Commission, ce qui n’est pas une chose aisée.
Les difficultés du Parlement Européen à se faire entendre face à la Commission et au Conseil
La Commission fait preuve ces derniers mois d’une productivité législative soutenue, en délivrant nombre de propositions sur le thème des migrations, dont certaines se superposent.
Il est évidemment nécessaire que les conditions de procédure, d'accueil et de qualification dans tous les États membres soient harmonisées afin de rendre le RAEC optimal. Toutefois, dans son élan harmonisateur la Commission ne semble cibler que les dispositions les plus restrictives. On parle de sanctions, de suppression des conditions matérielles, de restriction de la liberté de mouvement, de rétention etc… Le Régime européen d'asile semble se transformer en une sorte de régime anti-fraude. Il ne deviendrait que dissuasif : dissuader les arrivées en Europe, dissuader les mouvements intra-européens. Et encore une fois, aucune évaluation précise n’a été menée sur l’application des mesures existantes, alors que la réforme du paquet asile ne date que de 3 ans.
Le risque est qu’on se retrouve avec un renforcement des dispositions restrictives, sans un renforcement des dispositions protectrices.
Certaines modifications sont très inquiétantes comme l’obligation pour les Etats membres d’appliquer les concepts de pays sûrs (POS, PTS, premier asile). Ces concepts peuvent être envisageables, mais seulement dans le cas d’une information précise, impartiale et à jour sur lesdits pays et avec des garanties procédurales effectives.
Dans ce contexte, la voix du Parlement européen devra être forte et les négociations seront longues et difficiles face à une Commission qui ne semble pas vraiment savoir comment réagir et un Conseil dont les Etats membres sont arcboutés sur leurs positions, brandissant l’argument de la souveraineté nationale.
Le manque d’engagement des Etats membres
La stratégie proposée en matière migratoire nécessite un engagement des différentes institutions de l'UE et de tous les États membres. Et c'est bien là que le bât blesse !
Cette crise montre en effet l'image d'une Europe déstabilisée et désunie. Les fractures s'accentuent en Europe, les incompréhensions s'aggravent, les décisions sont de plus en plus unilatérales… même les plus positives ! Certains estiment même que la solidarité en la matière peut être facultative et parlent ainsi de solidarité flexible.
Il est plus que temps de rappeler les engagements pris par les Etats membres en vertu des traités européens mais aussi au regard de la Charte des droits fondamentaux de l’UE.
La relocalisation
À ce titre, l'exemple de la relocalisation est flagrant.
Le Parlement européen a de son côté très rapidement soutenu les propositions de la Commission. A l’inverse, les États membres ont multiplié les réunions pour faire reculer la conclusion d’un accord sur 160 000 demandeurs d'asile à relocaliser depuis la Grèce et l'Italie.
Les décisions ont certes été adoptées, mais leur mise en œuvre est pour le moins laborieuse : un peu plus de 5 600 personnes (5 651 au 28/09/2016) ont été relocalisées dans un État membre depuis l’Italie (1 196 sur les 39 600 prévues) ou la Grèce (4 455 sur les 66 400), soit à peine 3% de l’objectif initial. C’est la France qui enregistre le nombre de transferts depuis l’Italie et la Grèce le plus important : 1 952 personnes (situation au 28/09/2016).
Certaines difficultés pratiques peuvent certainement expliquer la lenteur du processus. Mais si la relocalisation se fait au compte-goutte au niveau européen, c'est surtout parce que seuls quelques États membres et États associés à Schengen y participent de manière effective. L'Autriche -qui bénéficie d'une suspension ponctuelle- la Hongrie et la Slovaquie n'ont toujours pas fourni d'engagements chiffrés concernant ce programme… et ne sont pas prêtes de le faire. La Hongrie et la Slovaquie ont même déposé plainte devant la justice européenne contre les « quotas » de répartition des réfugiés entre Etats membres adoptés par l’UE.
Il apparaît délétère pour les migrants avant tout mais aussi pour l’UE elle-même que le Conseil et la Commission aillent dans le sens de ces Etats membres pour qui la solidarité est facultative. Le Parlement européen s’opposera à toute mesure allant en ce sens.
La désunion semble de plus en plus forte sur ces questions. Mais les solutions proposées -toujours plus d’externalisation de la politique migratoire européenne- sont loin d’emporter mon adhésion.
La modélisation de la Déclaration Union européenne/Turquie
Je crains en effet que la bien connue « déclaration » UE-Turquie ressemble aujourd’hui à un « modèle » pour le nouveau type de partenariat migratoire avec les pays tiers… et ce bien que cette expérience soit très loin d’être satisfaisante.
Je dois préciser que le Parlement européen n’est bien sûr aucunement opposé à travailler avec la Turquie, mais certainement pas sur les bases connues et même si la Commission fait état de progrès (28.09.2016) dans son dernier rapport sur la mise en œuvre de la déclaration UE-Turquie (baisse considérable du nombre d’arrivées (85 personnes /jour en moyenne depuis juin contre plus de 7 000 en octobre 2015, poursuite des opérations de retours (578)).
En effet, cette déclaration s'exerce hors de tout contrôle démocratique et avec la plus grande opacité. C’est d’ailleurs pourquoi la forme de déclaration a été choisie : car elle écarte clairement le Parlement européen qui voit donc son rôle réduit, en la matière, au dossier de la libéralisation des visas.
Sur les engagements de la Turquie vis-à-vis de l'UE en matière de réadmissions et de retours, des décisions de la justice grecque contestent l'application de cet accord dans le cas particulier de demandeurs syriens. Par ailleurs, le mécanisme de renvoi pose un grand nombre de défis logistiques en Grèce pour garantir notamment un examen individuel, une procédure de recours et un accueil digne de ces populations.
Ce cas n’est pas isolé ; c’est pourquoi je souhaiterais attirer l’attention sur un accord entre l’Union et l’Afghanistan en matière de migration.
La feuille de route UE/Afghanistan sur la gestion des flux migratoires
Le Service européen d’Action Extérieure, a annoncé le 4 octobre 2016 être parvenu à un "arrangement" (appelé feuille de route) avec l'Afghanistan sur la gestion des flux migratoires, destiné notamment à faciliter les retours des Afghans déboutés de l'asile dans l'UE. En mars 2016, un document envoyé par la Commission à plusieurs ambassades évoquait déjà le renvoi nécessaire vers leur pays d’origine de 80 000 Afghans en situation irrégulière dans l'Union. Ce qui avait par la suite été démenti.
Là aussi je dois préciser que le Parlement européen n’est pas a priori ou par principe opposé à des accords de partenariat, même s’ils comprennent des retours. Mais comme pour la Déclaration avec la Turquie, d’une part aucune place de décision ne lui a été accordé dans ce cadre, et d’autre part c’est méconnaître la situation en Afghanistan.
Dans le cadre cette feuille de route, l'Afghanistan s'engagerait, pour au moins deux ans, notamment à faciliter le retour de ses ressortissants qui auront été déboutés de leur demande d'asile. Il serait aussi question « de construire à l'aéroport de Kaboul un terminal dédié aux retours » par des vols non réguliers. Des campagnes d’information seraient mise en place en Afghanistan pour sensibiliser la population aux dangers des migrations irrégulières. Un projet de lutte contre les passeurs et la traite des êtres humains est également prévu. Toutes ces mesures seraient assorties d’un volet financier qui ne sera mis en œuvre qu’en cas de participation active des autorités afghanes pour faciliter la réadmission de ses ressortissants.
L’annonce de cet arrangement a eu lieu la veille de la conférence de donateurs pour l’Afghanistan organisée à Bruxelles le 5 octobre 2016. Dès lors, même si le Service européen d’Action Extérieure se défend d'une politique du bâton et de la carotte, le lien entre facilitation des retours et aide financière est évident. Les questions migratoires (contrôle des frontières, retour des migrants) font office de véritable levier dans les négociations.
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Si une révision des outils existants est nécessaire, il semble toutefois qu’ici, le principal : le respect des droits fondamentaux, ait quelque peu été laissé de côté. Notamment en ce qui concerne la réforme du RAEC.
Je ne pense pas que nous puissions en accepter sa réforme au rabais. Et nous ne pouvons pas voir l’harmonisation se faire au détriment des droits humains.
Nous nous battrons par exemple pour le droit au recours suspensif, pour la protection des personnes vulnérables, et notamment des mineurs isolés.
Nous continuerons à expliquer encore et encore qu’un système d’asile protecteur est plus efficace qu’un système répressif.
Il en va de même pour la coopération avec les pays tiers qui est un instrument essentiel d’une politique migratoire européenne globale, mais ne peut pas se traduire par une externalisation.
Il est primordial que l’UE participe à la lutte contre les causes profondes des migrations. Mais ces instruments de coopération doivent également permettre de promouvoir la démocratie et l’état de droit, sans que l’approche européenne soit d’abord sécuritaire et basée sur les retours ou la réadmission comme cela est proposé ou encore conditionne l’aide humanitaire à la protection des frontières.
Je pense que nous avons la responsabilité d’ouvrir des voies sûres de migration régulière via la réinstallation mais aussi les visas humanitaires, en apportant une attention particulière à la protection des personnes vulnérables.
J’estime que c’est ce sur quoi le Parlement européen ne peut pas transiger.
Mais je ne peux en aucun cas vous garantir aujourd’hui le résultat de ce rapport de force….