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Publié le : 21/02/2018
Un projet de loi « déséquilibré », dont «le centre de gravité penche résolument vers une logique de contrôle, de tri et d’expulsion»… Du directeur général de France terre d’asile, Pierre Henry, au secrétaire général de la Cimade, Jean-Claude Mas, les mots ne sont pas assez durs pour qualifier le projet du gouvernement. Trois dispositions en particulier inquiètent les acteurs associatifs : le doublement, voire le triplement, de la durée maximale de rétention pour les étrangers, dont les autorités craignent qu’ils ne quittent pas d’eux-mêmes le territoire ; des mesures techniques destinées à raccourcir le traitement des demandes d’asile, au premier rang desquelles la réduction de moitié du délai de recours contre la décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) ; la levée du caractère suspensif de certains recours.
Elle passerait de 45 à 90 jours, voire dans certains cas à 135. Le gouvernement veut éloigner davantage de personnes n’ayant « pas vocation à rester sur le territoire ». Gérard Collomb se réjouissait d’ailleurs fin 2017 de l’augmentation de 14 % des reconduites forcées. Mais un État ne peut pas renvoyer quelqu’un dans son pays d’origine - ou vers un autre pays européen - de sa seule initiative : il doit se faire délivrer par l’autre État un laissez-passer consulaire. Ce que certains tardent à fournir. Avec cet allongement, le gouvernement estime qu’il aura davantage de temps pour éloigner les personnes concernées. Balivernes, répondent en substance les associations. « On va nous expliquer que la France est l’un des pays européens où la durée de rétention est la moins longue, ce qui est vrai. Mais la vraie question reste celle de l’utilité de l’enfermement quand 90 % des gens qui sont éloignés du territoire à partir d’un centre de rétention le sont au bout de douze jours. Il s’agit d’une mesure symbolique, d’affichage, où on s’adresse à l’opinion publique mais qui s’avère parfaitement inefficace », juge Pierre Henry. Même réaction à la Cimade : «La rétention est un lieu d’enfermement qui produit des effets traumatiques importants», souligne Jean-Claude Mas, qui craint que ce doublement ne «casse» psychologiquement les personnes retenues, sans améliorer le taux d’éloignement. On notera aussi que, sur le plan des libertés, le passage de 16 à 24 heures de la durée d’une rétention administrative d’un étranger pour vérification de sa situation préoccupe les associations, qui y voient une « garde à vue » injustifiée.
Le gouvernement se fixe pour objectif d’arriver à traiter les demandes d’asile en six mois, contre onze actuellement en moyenne. La plus emblématique des mesures est de réduire de moitié le délai des recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) après qu’une demande a été rejetée. Les déboutés n’auraient plus que 15 jours au lieu de 30 pour produire de nouveaux éléments indispensables à la formation de leur recours, pour les faire traduire en français le cas échéant, le tout dans un système administratif qu’ils connaissent par définition mal. « Le droit des étrangers est déjà dérogatoire au droit commun : en droit administratif, le délai de recours, c’est deux mois », souligne la responsable de la CGT à l’Ofpra, Sylvie Charvin.
Si la réduction du délai de recours est la plus médiatisée, les associations formulent les mêmes objections contre une série de mesures techniques destinées à activer l’étude des dossiers. Par exemple, le traitement de la demande d’asile en procédure accélérée sera automatique à partir de 90 jours de présence sur le territoire et non plus 120. Or cette procédure garantit moins de droits aux demandeurs. Un seul juge statue sur le cas, contre trois plus un rapporteur lors d’une audience normale. A grappiller 15 jours ici ou 30 par là, le risque majeur est de mal traiter des dossiers, souvent complexes. D’autant que la facilitation du recours à la visio-audience inquiète aussi.
À moins de saisir le tribunal administratif, déposer un recours devant la CNDA ne permettra plus de suspendre une décision d’éloignement, en particulier lorsque les personnes sont originaires de pays « sûrs » (par exemple l’Albanie, le Bénin ou le Ghana). On pourrait donc expulser des gens… avant de leur accorder l’asile. Pour l’ex-juge de l’asile Christian Reboul, désormais responsable des études et plaidoyers à Médecins du monde, « c’est la garantie d’un rejet automatique [du recours]. Et si on accorde finalement l’asile, on va faire quoi ? Aller chercher la personne dans son pays ? On est en absurdie ».
Libération, par Kim Hullot-Guiot, le 20/02/2018.