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Publié le : 05/05/2014
Ces temps-ci, de gros grains s’abattent souvent sur le square Edouard-Vaillant. Aux premières gouttes, le groupe de Syriens s’évanouit soudain. Trois gamins se planquent sous un parapluie, des familles fondent sous une bâche détrempée, s’abritent dans des voitures. Et puis tous reviennent, inlassablement, chaque matin, à chaque éclaircie. Ce jardin de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), entre un hôtel Formule 1 et le périphérique, 202 réfugiés syriens en ont fait leur refuge, leur point de chute, malgré les averses et la décision de la mairie (divers droite) de cadenasser la grille il y a dix jours.
Les enfants jouent dans la rue, courent entre les voitures avec de faux pistolets bricolés, des femmes distribuent des assiettes de couscous offert par un couple d’Algériens. L’une, enceinte de huit mois et demi, tente de s’étendre sur le trottoir tandis que son fils Khalid répète des mots entendus en français dans un sourire de dents de lait : «bonjour», «merci». Plus loin sur un parking, les hommes fument et forment un attroupement autour d’une responsable de Revivre, petite association qui aide les réfugiés syriens. Ils l’interrogent sur la demande d’asile, les papiers à fournir, lui demandent pourquoi ça coince pour celui-là qui a déjà effectué cette requête dans un autre pays européen, pourquoi la préfecture prend le passeport syrien. Comment fait-on sans papiers ? Tout est compliqué dans une autre langue, au bout d’un ou deux ans d’exil.
Le dispositif mis en place spécifiquement pour les Syriens de Saint-Ouen est pourtant bien loin des carences du système d’asile français : un guichet unique à la préfecture rassemble les services administratifs intervenant sur un dossier. Chaque matin, une dizaine de ces réfugiés y déposent leur demande en quelques heures, des démarches qui prennent habituellement plusieurs mois.
De retour de la préfecture, Izzedine exhibe fièrement son récépissé de demande d’asile. Le lendemain, ce trentenaire venu de Tartous, port de l’ouest de la Syrie, partira en train, avec sa femme et ses deux fils, pour Chambéry (Savoie) où, contrairement à la région parisienne, les services d’hébergement ont des places disponibles pour les prétendants à l’asile. Une quinzaine de familles y ont déjà été logées, ainsi qu’à Roanne (Loire).
Pour les Syriens recensés dans le square, la phase d’enregistrement des dossiers devrait être bouclée à la fin de la semaine prochaine, avant l’instruction en accéléré de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Une procédure exceptionnelle et inédite, saluée par France Terre d’asile : «La machine s’est mise tardivement en route mais, ensuite, la réponse a été satisfaisante», reconnaît un responsable.
Car le groupe est longtemps resté hors des radars publics et associatifs. France terre d’asile et Revivre n’ont été avertis que mi-avril, par des riverains qui collectent de la nourriture et des vêtements pour ces réfugiés. Certains venaient d’achever leur longue route, d’autres erraient là depuis trois mois, dormant à l’hôtel, dans la rue ou serrés sur les banquettes des voitures. Aucun, à la surprise des associations, n’avait entamé de démarche d’asile. En plein week-end de Pâques, un communiqué d’Europe Ecologie-les Verts donne l’alerte, appelant «l’Etat à prendre ses responsabilités».
Le préfet à l’égalité des chances de Seine-Saint-Denis, Didier Leschi, s’engage à agir vite, sans laisser miroiter de «solution d’hébergement immédiate». Ici, les exilés et leurs «parcours difficiles» butent sur les propres problèmes du département, avec ses centres d’accueil engorgés et ses «8 000 personnes logées à l’hôtel chaque nuit», explique Didier Leschi lors d’une visite au square. Avant de se raviser. Le lendemain, il consent finalement à rembourser les nuitées d’hôtel des Syriens avant leur départ pour la province.
Mohammed dort ainsi au dernier étage d’un hôtel défraîchi, place de Clichy, à Paris. Lorsqu’il se penche par la fenêtre, il aperçoit les lumières de la tour Eiffel. Sur les lits jumeaux rapprochés qu’il partage avec deux amis, cet ancien garagiste a étendu les papiers qu’il conserve soigneusement dans un sac plastique : permis de conduire, passeport, photos de trois de ses enfants qui se trouvent à Alger avec sa femme et qu’il espère faire venir, après cinq mois de séparation. Mais ses économies «ont fondu dans les hôtels, les transports et les bakchichs». Le petit homme de 45 ans a quitté Homs voilà un an, menacé par l’armée qui «voulait [l’]égorger». Il assure que les soldats d’Assad ont trouvé son contact dans le portable d’un ami entré dans la rébellion «qui a été pendu». Il a fui au Liban, traversé l’Algérie, le Maroc, puis a att eint l’enclave de Melilla et l’Espagne. D’autres font le récit de leur périple par la Turquie, la Grèce, puis l’Italie.
Certains disent avoir été emprisonnés en Syrie, racontent avoir vu des massacres. Il y a aussi, dans le groupe, une dizaine de «personnes isolées», surtout des hommes. Mohammed a pris l’un deux sous son aile. Joumal, originaire de Lattaquié, a «18 ans et dix jours». Il a fait le voyage seul, désertant peu avant d’être appelé au service militaire. «Il dit que s’il retourne en Syrie, il est un homme mort.» L’adolescent, en tongs, engoncé dans sa grosse doudoune, bredouille quelques réponses en arabe, que Mohammed traduit : «Il dit que quand il aura l’asile, il n’aura plus peur de Bachar.»
Libération, le 01/05/2014.