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Publié le : 30/01/2014
Vincent Dusseaux Directeur d’Études Ipsos Public Affairs France |
Matthieu Tardis Responsable Secrétariat administratif général France Terre d’Asile |
Antoine Jardin Doctorant au Centre d'études européennes chez Sciences Po |
Mi-janvier, Ipsos a rendu public les résultats de la vague 2 de l’enquête Nouvelles Fractures, réalisée en partenariat avec Steria pour Le Monde, France Inter, le Cevipof et la Fondation Jean-Jaurès. Cette enquête confirme la très forte défiance des Français à l’égard du monde extérieur et d’autrui. Elle montre même une progression par rapport à l’année dernière de la défiance à l’égard du fonctionnement de la vie politique en France.
VINCENT DUSSEAUX : Le profond repli de l’opinion publique française mis en évidence par l’enquête Fractures Françaises se manifeste de plusieurs manières : un mécontentement à l’égard du système démocratique tel qu’il fonctionne actuellement, une défiance à l’égard des élites politiques et des médias, le sentiment qu’il y a « trop d’étrangers en France », « qu’on ne se sent plus chez soi comme avant » et une forte crispation autour de l’Islam. Avec cette enquête, nous avions mesuré un niveau de défiance totalement inédit. Aujourd’hui, le clivage « ouvert/fermé », dont la meilleure illustration est sans doute l’attitude à l’égard de l’immigration, est le premier point clivant de la société française. Il l’est davantage que d’autres thèmes plus traditionnels comme la politique économique par exemple.
Pour schématiser, nous avons d’un côté ceux qui voient dans l’immigration une opportunité pour la France et une source d’enrichissement culturel. De l’autre, ceux qui la considèrent comme une menace pour la société française. De façon concomitante, on observe dans nos enquêtes une forte demande d’autorité face à ce que beaucoup perçoivent comme un déclin de la société française, un déclin qui est tout à la fois économique, culturel et identitaire.
ANTOINE JARDIN : La défiance des français est profonde. Elle se décline dans de multiples dimensions. Elle est particulièrement forte à l'égard de la mondialisation perçue comme une menace, notamment dans ses effets économiques et vis-à-vis des migrants qui l'incarnent partiellement. Le rapport à l'immigration est marqué par la convergence de deux dynamiques. L’une relevant de l'hostilité aux individus sur la base de leur nationalité étrangère, de leur trajectoire migratoire, de leur couleur de peau ou de la langue qu'ils parlent.
Il existe d’autre part un effet dérivé, associé aux difficultés économiques, qui contribue au renforcement d'un nationalisme économique, particulièrement en matière de protection sociale. La confluence de la xénophobie, de l'ethnocentrisme et du « welfare chauvinism » donne une tonalité particulière à l'évolution des attitudes qui s'expriment toujours par un rejet.
MATTHIEU TARDIS : Association de défense des réfugiés, France Terre d’Asile observe une détérioration de l’image du réfugié en France d’autant plus inquiétante que notre pays possède une longue tradition d’accueil des populations persécutées. Sans idéaliser le passé, dans la mesure où la méfiance, voire l’hostilité, à l’égard des étrangers est un phénomène récurrent de l’histoire, on peut s’étonner de constater l’absence de lien qui est effectué entre la situation sécuritaire dans le monde, telle que nous la voyons tous les jours à la télévision, et les personnes qui cherchent refuge dans notre pays.
La question des réfugiés Syriens, plus grande catastrophe humanitaire depuis le Rwanda selon le Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), illustre bien ce phénomène. En effet, la volonté de la France d’accueillir 500 réfugiés syriens est-elle à la mesure de l’enjeu des 2 millions de personnes qui ont fui la Syrie depuis le début du conflit ? Il convient par ailleurs de s’interroger sur l’existence de fractures au sein de la société française sur les questions migratoires, entre, d’un côté, une partie de la population qui vit dans les grandes villes mondialisée et qui profite de manière croissante de la mobilité internationale et, d’un autre côté, ceux qui sont laissés à l’écart de ces mouvements. Ces fractures semblent plus profondes que les frontières qui nous séparent du reste du monde.
V. D. : Il est difficile de répondre à cette question tant la notion de racisme est polysémique. Lorsqu’on pose très directement la question à un échantillon de Français, un peu moins de trois personnes sur dix nous disent être « plutôt » ou « un peu racistes ». C’est beaucoup certes, mais c’est moins qu’il y a une dizaine d’années. En 2000, ce niveau atteignait plus de 40% dans le baromètre annuel de la CNCDH.
La question qui se pose aujourd’hui est d’évaluer l’impact sur l’opinion publique de notre pays des insultes proférées récemment à l’encontre de la Ministre de la Justice. Les risques sont multiples : banalisation des propos racistes, renforcement des clivages, etc. A cet égard, la prochaine vague de l’enquête Nouvelles Fractures devrait apporter des éléments de réponse.
M. T. : Il est difficile de l’affirmer à partir du poste d’observation occupé par France terre d’asile. Les scores du Front national aux élections municipales et européennes seront un indicateur de cette montée du racisme et de l’intolérance de l’opinion française.
V. D. : Les Français s’interrogent surtout sur la capacité de la société française à accueillir ces populations. Ils sont sans doute davantage favorables à une politique d’assimilation, c'est-à-dire par la pleine adhésion des immigrés aux normes de la société d’accueil. De ce point de vue, la question de l’Islam est particulièrement révélatrice. Même si il est en baisse dans la deuxième vague de l’enquête Fractures Françaises, le sentiment que l’Islam n’est pas compatible avec les valeurs de la société française est toujours majoritaire (à 63%, -11).
A. J. : De nombreux migrants arrivent en France en quête d'une vie meilleure pour eux même et pour leurs enfants. Ils témoignent d'une forte volonté de participer à la vie sociale ordinaire. Pouvoir se sentir « installé » est l'une des demandes les plus importantes. Cette volonté se traduit notamment par le désir de participation politique, la confiance en l'apport des institutions telles que l'école, et la croyance en la portée de la promesse républicaine. En outre, dans la population française, le poids démographique des descendants est plus important que celui des migrants eux-mêmes. C'est un cas particulier en Europe, qui influence les perceptions et traduit l'histoire coloniale et migratoire du pays. On observe, depuis longtemps, une défiance importante à l'égard de l'immigration. Si malgré tout cet enjeu est loin d'être une priorité des Français, il s'agit de l'une des thématiques les plus polarisantes politiquement. Il faut donc être prudent et distinguer les attitudes en fonction des proximités politiques. La volonté d'intégration des migrants peut aussi être perçue comme une menace par ceux qui dans la société française ne souhaitent pas que l'on évolue vers davantage d'égalité en matière de protection sociale, d'accès à l'emploi ou de droits civiques. C'est d'ailleurs le projet fondamental du Front National que d'établir la préférence nationale, c'est à dire l'inégalité des droits sur la base de la nationalité des individus.
M. T. : La grande majorité des migrants en France poursuivent les mêmes objectifs que n’importe qui : améliorer leur condition de vie et vivre en bonne entente avec leur environnement. S’il y a un paradoxe, il réside avant tout entre cette volonté d’intégration et l’inflation législative dans le domaine de l’immigration depuis 10 ans qui a multiplié les obstacles et les contraintes administratives à toutes les étapes du parcours des primo-arrivants en France. Ils adressent un signal fort de dissuasion. Ils créent surtout un sentiment d’arbitraire parfaitement illustré dans l’enquête sur les citoyens immigrés publiée en 2012. À cet égard, le très sérieux rapport du député Matthias Fekl relatifs au traitement des demandes de titre de séjour souligne les besoins de transparence, d’uniformité et de modernisation du traitement des étrangers en préfectures. Les propositions de ce rapport permettraient d’améliorer de manière concrète la vie des étrangers et de renforcer leur sentiment d’appartenance à la France.
Quant à la méfiance des Français, il est toujours intéressant d’observer sa relativité lorsqu’ils sont confrontés à l’étranger dans leur vie quotidienne. La frénésie autour de l’affaire Léonarda en octobre 2013 est un exemple des malentendus, des approximations et des fantasmes véhiculés par les questions migratoires en France. Dans ce contexte, la question de la responsabilité du personnel politique et des médias dans l’instrumentalisation des questions migratoires en France, et donc dans la croissance du sentiment de méfiance envers les migrants, est à soulever de toute urgence.
V. D. : L’immigration n’est pas une préoccupation majeure dans les pays européens. C’est surtout les thèmes économiques (chômage, pouvoir d’achat…) qui inquiètent aujourd’hui sur le Vieux Continent. Toutefois, certains pays se démarquent. A commencer par la Grande-Bretagne. Comme le montrent les résultats d’un sondage que nous avons mené en octobre dans plus de 20 pays. Près d’un britannique sur trois se déclare préoccupé par l’immigration, contre 17% en moyenne dans les pays européens interrogés dans l’enquête. En France, 30% des personnes interrogées indiquent que l’immigration fait partie de leurs craintes pour l’avenir. C’est un niveau élevé mais qui doit être relativisé dans la mesure où cette crainte a été très fortement réactivée par l’affaire Léonarda qui précédait le terrain de cette enquête. Sur le long terme, la préoccupation pour l’immigration en France se place plutôt dans la moyenne européenne.
A. J. : En Europe, les configurations varient selon l'histoire nationale spécifique des pays, notamment en matière de passé colonial. On observe ainsi des formes d'hostilité spécifiques, selon les contextes nationaux. Les antagonismes, discriminations et représentations péjoratives ciblent particulièrement les descendants de cette histoire. Ainsi, selon les pays, ce sont des groupes différents qui font l'objet de tensions spécifiques. Ce n'est qu'à un certain niveau de généralité que l'on trouve les trames globales à l'œuvre derrière les spécificités nationales. Ainsi, malgré les particularités des configurations spécifiques à chaque pays, l'Europe partage les mêmes défis issus de son histoire, de la désindustrialisation, de la fragilisation de ses régimes de protection sociale, et d'une mise à l'épreuve de ses valeurs d'égalités et de démocratie sous l'effet d'une poussée transnationale des partis d'extrême droite.
M. T. : Les contextes migratoires européens sont extrêmement variés. Les liens historiques et coloniaux, l’ancienneté et l’origine des flux migratoires sont autant de facteurs qui distinguent les pays européens les uns des autres. Les situations économiques et démographies sont également à prendre en considération. Enfin, chaque Etat est traversé par des questions identitaires différentes avec notamment des tentations autonomistes chez plusieurs de nos voisins. Il en résulte que la perception de l’étranger et de l’immigration diverge. Toutefois, les partenaires associatifs européens de France Terre d’Asile sont unanimes : il est aujourd’hui de plus en plus difficile de défendre les droits des étrangers en Europe.
27 janv. 2014 -
Crédit photo : Austinevan
Vincent Dusseaux
Directeur d’Etudes Ipsos Public Affairs