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Publié le : 03/06/2016
Au mois d’octobre dernier, le Conseil d’administration de France terre d’asile a adopté une déclaration concernant la situation des réfugiés aux portes de l’Europe. Cette déclaration détaillait les quatre axes autour desquels devraient s’articuler les réponses à apporter :
- Le devoir d’accueil de l’Europe
- La nature temporaire de cet accueil
- La nécessité de renforcer les capacités d’accueil sociales et juridiques des pays de transit
- La prévention de la migration économique
Depuis cette date, la situation a évolué et pour mettre fin à la migration irrégulière de la Turquie vers l’UE, l’Union européenne a adopté une déclaration conjointe avec la Turquie le 18 mars 2016. Le conseil d’administration de France terre d’asile qui s’est réuni samedi 28 mai 2016, a renouvelé par la voix de son Président, Alain Le Cléac’h, son opposition fondamentale à cet accord.
La mise en œuvre de cet accord, aux fondements juridiques plus qu’incertains, montre ses limites, et il devient de plus en plus apparent qu’il risque de faire long feu. France terre d’asile appelle aujourd’hui les États européens à arrêter leurs politiques de court terme, à prendre leurs responsabilités et à engager une réflexion approfondie pour répondre convenablement à l’accueil et à l’intégration des réfugiés.
Le préambule de la déclaration du 18 mars 2016 tente d’avancer des raisons humanitaires à la conclusion d’un tel accord, telles que la nécessité du démantèlement des réseaux de passeurs ou la prévention des morts lors des traversées sur des embarcations de fortune. Mais les mauvaises actions se cachent toujours sous de faux prétextes.
En réalité, les États européens, paniqués par le nombre d’arrivées en 2015 et quelques bruyants extrêmes, tentent de renforcer la forteresse Europe et laissent leurs voisins porter seuls la responsabilité de l’accueil des réfugiés.
Cet accord remet en cause le principe même de droit d’asile en souhaitant généraliser l’application du concept de « pays tiers sûr ». Ce dernier permet aux États européens de ne pas examiner le fond d’une demande d’asile sous prétexte que les réfugiés ont transité par un pays pouvant leur offrir une protection. Et cela, même si le contenu de cette protection est très limité, comme c’est le cas actuellement en Turquie.
Pour donner à cette opération un vernis humanitaire les États de l’Union ont mis en avant un plan de réinstallation ouvrant une voie de migration légale mais cette voie est limitée et l’accueil par les États membres n’est envisagé que sur la base du volontariat.
A ce jour, moins de 200 Syriens ont été réinstallés depuis la Turquie. Ce chiffre est indécent au regard des 3 millions de Syriens déjà présents en Turquie et des 5 millions qui ont dû fuir leur pays. Notons au passage cette infraction supplémentaire qui consiste à hiérarchiser les bénéficiaires du droit d’asile sur la base de leur nationalité. Pourquoi les 300 000 Irakiens, Afghans ou autres personnes en besoin de protection ne bénéficieraient-ils pas comme les Syriens de l’opportunité de la réinstallation ? Le traitement marchand de cet accord (1 réinstallé pour 1 refoulé) fait oublier qu’il s’agit d’êtres humains.
L’histoire retiendra que les Européens ont refusé, par une banale déclaration commune, d’accueillir des réfugiés vulnérables.
L’histoire retiendra que faute d’avoir pu mobiliser la solidarité des 28 États membres, l’Union européenne a fermé sa frontière maritime avec la Turquie et a sous-traité à ce pays, prétendument sûr, ses obligations d’accueil et de prise en charge des réfugiés.
Au-delà des questions sur la légalité même de cette déclaration, sa mise en œuvre chaotique et son avenir sont menacés autant par les déclarations et décisions turques que par le rejet des instances d’appel grecques qui ne considèrent pas la Turquie comme pays tiers sûr. Si cette tendance continue, c’est l’ensemble de l’architecture de l’accord qui s’écroulera, le rendant caduc.
Les arrivées dans l’espace européen en provenance de Grèce ont chuté (principalement suite à la fermeture par la Macédoine de sa frontière), mais elles augmentent en Italie, notamment du fait de l’instabilité croissante en Libye. Or cette route est extrêmement dangereuse : plus de 2000 personnes ont péri depuis le début de l’année. On entend déjà des voix évoquer la mise en place d’un dispositif de fermeture des frontières identique à celui de l’accord UE-Turquie ou l’idée de mettre en place des hotspots flottants. Ce serait ainsi la répétition de l’accord Italie-Lybie de 2008, ou si l’on préfère, de l’accord Berlusconi-Kadhafi.
Nous devons clairement dire à nos dirigeants que cet accord est indigne de nos nations, indigne du parcours de progrès et d’intelligence dont nous sommes les héritiers. Cet accord remet en cause les fondements mêmes du projet européen comme la solidarité et la dignité. Il est de notre obligation morale d’accueillir les réfugiés.
Nous devons convaincre les États européens d’aménager de réelles voies légales de migration et d’asile. Il faut un programme significatif de réinstallation, sans condition ni contrepartie. Son ampleur doit être à la mesure des besoins d’urgence définis par le HCR. Il doit concerner l’ensemble des pays de premier accueil et prendre en considération tous les réfugiés, sans discrimination. Ce programme doit être couplé à la relance du programme de relocalisation avec comme toute première priorité l’accueil par les États européens volontaires, des 50 000 migrants actuellement bloqués en Grèce.
Nous devons aussi renforcer le dialogue avec les pays de premier accueil, non pas dans un objectif d’externalisation, mais de renforcement de leurs capacités et de coopération. Que ces pays soient sur le territoire européen ou en dehors. Aucun accord n’empêchera des hommes et des femmes mus par le désespoir et la peur de rechercher d’autres voies, toujours plus risquées, dans l’espoir de trouver sécurité et protection.
L’Europe forteresse n’est pas la solution, pas plus que l’accueil inconsidéré. Nous devons apprendre à vivre et à nous organiser avec le phénomène migratoire qui est une donnée de notre avenir. France terre d’asile se donne pour mission de réveiller les consciences et de convaincre les instances européennes de se préparer à ce nouveau défi et de réfléchir aux causes des déplacements. France terre d’asile le fera en s’associant avec toutes les autres associations et organismes qui partagent son analyse.
Alain Le Cléac’h, Président de France terre d’asile
Pierre Henry, Directeur général de France terre d’asile
Le 03 Juin 2016