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Comment les migrants sont soignés à Angers

Publié le : 14/07/2016

ouest france

Deux médecins angevins, Delphine Douillet et Yves-Marie Vandamme, ont réalisé une étude approfondie sur la prise en charge médicale des migrants. Qui bat en brèche des idées reçues. Et pointe des dysfonctionnements.

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Delphine Douillet et Yves-Marie Vandamme, du CHU d’Angers, qui ont travaillé sur le parcours médical des migrants à Angers.
| AUBINAUD Sébastien


Interview

Dr Delphine Douillet, auteur de la thèse « Le parcours médical des migrants primo-arrivants à Angers » Dr Yves-Marie Vandamme, chef de clinique « Maladies infectieuses et tropicales » au CHU d’Angers, et directeur de thèse de Delphine Douillet

Vous avez réalisé une thèse s’intéressant à la prise en charge médicale des migrants et demandeurs d’asile, à Angers. Pourquoi ?

En s’appuyant sur des intuitions et des observations, cette prise en charge ne nous semblait pas adaptée. Au CHU, nous en voyions un certain nombre dans le flot des urgences. Mais les autres ? Nous avions aussi pu constater que le VIH de certains patients, ici depuis deux ans, n’avait pas été détecté. Or, nous sommes face à des populations fragiles venant de zones touchées par des endémies.

Votre objectif précis ?

Repérer les éventuels dysfonctionnements. Pour trouver des mesures susceptibles d’améliorer cette prise en charge, en lien avec les différents acteurs locaux et régionaux.

Comment avez-vous procédé ?

La plateforme « Espace Accueil », qui aidait les migrants dans leurs démarches administratives (1), nous a fourni les identités des 464 personnes qui se sont présentées dans ses locaux en 2012. Fort de ces données, nous sommes allés dans les centres de premiers secours médicaux angevins, ces lieux où les migrants, n’ayant pas de couverture sociale, peuvent se soigner sans frais. Parmi ces centres, le CHU bien sûr mais aussi Médecins du monde et la Croix Rouge dentaire ou encore le Centre de lutte antituberculose rattaché au Département.Grâce à ce travail, nous avons pu voir si ces 464 migrants avaient consulté de 2012 à 2014.

Alors ?

On a pu s’apercevoir qu’un tiers n’a pas consulté en trois ans. En moyenne, une à cinq consultation en trois ans. Contre sept par an pour les Français.

Ce qui contredit bon nombre d’idées reçues ?

Oui, ils n’abusent pas du système. Ce n’est pas le cas, ce que confirme d’ailleurs un rapport de Médecins du monde d’où ressort que seuls 6 % des motivations d’émigration s’expliquent par l’état de santé. C’est très donc très rare qu’ils viennent pour se soigner.

Que ressort-il de votre étude ?

Ils n’ont pas de grosses pathologies. Présentent au contraire un bon état général. Ce qui n’est finalement pas étonnant car il s’agit majoritairement d’une population jeune, en bonne santé, pour pouvoir arriver jusqu’en France. Par contre, nous sommes frappés par l’importance de syndromes algiques, ces douleurs diffuses non expliquées, bien souvent liées à des souffrances psychiques. Justement, de nombreux patients, et ce n’est pas une surprise, sont touchés par des souffrances psychologiques, des syndromes post-traumatiques. Un exemple ? Cette femme, venue de Libye, qui a vu tuer ses deux enfants et son mari. On a également pu constater que le taux de positivité, notamment pour le VIH, est élevé.

Au bout du compte, la prise en charge de ces patients est bonne, ou non ?

Malgré les moyens alloués et le tissu social très riche à Angers, comme France terre d’asile ou l’Abri de la providence, le réseau souffre de nombreux dysfonctionnements. Entre l’arrivée en France et le premier contact médical, il faut compter en moyenne six mois. Pour un dépistage entre 6 mois à deux ans. Une situation vraisemblablement due à l’éloignement géographique des structures, et plus globalement, à un problème de coordination entre les différents acteurs.

Que préconisez-vous ?

La création d’un lieu unique destiné à cette population, comme il en existe à Poitiers, Nantes ou Rennes. Nous voulons également développer les dépistages, pour chacun des migrants. En les regroupant, là aussi, sur un même site : en Sarthe ou Vendée, par exemple, nul besoin d’aller au CHU pour le VIH et dans un autre centre, pour la tuberculose.Il faut impérativement s’attacher plus encore à la prévention des maladies infectieuses, via la vaccination. C’est essentiel.

(1) La mission incombe désormais à l’association CVH (Centre de valorisation de l’humain)

Ouest France, le 14 juillet 2016