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Publié le : 13/11/2013
Portraits de familles des Syriens qui étaient sur le bateau. Rip (copyright : L’Espresso)
Il y a eu « trois appels d’urgence via téléphone satellite qui ont été ignorés. » Plusieurs heures perdues en mer à attendre des secours alors « que l’Italie n’a mobilisé aucun avion, aucun navire de la Marine ou de la Garde côtière » pour finir par renvoyer la balle sur Malte ! Celui qui a passé l’appel a été retrouvé par notre confrère italien, c’est un médecin, le Dr Jammo, âgé de 40 ans, responsable à Alep, qui travaillait dans la principale unité de soins intensifs et anesthésie de l’Hôpital Ibn Roshd, un hôpital public, et était le directeur de la clinique franco-syrienne « Claude Bernard ». Il survécu ainsi que son épouse (professeur d’université de l’ingénierie mécanique), et leur fille de 5 ans. Mais il a perdu ses fils Mohamad (6 ans) et Nahel (9 mois), dont les corps n’ont pas été retrouvés.
Dr. Jammo détaille la longue succession d’appels.
11h « J’ai appelé le numéro italien avant 11 heures du matin. Une femme m’a répondu. Elle m’a demandé de donner l’emplacement exact. J’ai donné les coordonnées géographiques. Et j’ai ajouté : «S’il vous plaît, nous sommes sur un bateau au milieu de la mer, nous sommes tous les Syriens, beaucoup d’entre nous sont des médecins, nous sommes en danger de la vie, le bateau coule. (…) «Nous allons mourir, nous avons plus d’une centaine d’enfants avec nous. S’il vous plaît, s’il vous plaît, aidez-nous, s’il vous plaît. » »
12h30 « J’ai rappelé vers 12h30. Je répète qui je suis. C’est la même personne. Elle répond: « ok, ok, ok » et la conversation se coupe. Mais rien ne se passe. Personne ne nous appelle. »
13h « Je rappelle, après une demi-heure. Il est maintenant environ une heure de l’après-midi. Elle me met en attente et après un certain temps, un homme répond. Il dit: «Écoutez, vous êtes dans une zone placée sous la responsabilité de Malte. Vous devez appeler la marine maltaise ». J’ai prié : « S’il vous plaît, nous allons mourir. » Il m’a répété : « S’il vous plaît, appelez la police maltaise … ». Sur la carte, nous avons vu que Lampedusa était à seulement de 100- 110 kilomètres. Alors que Malte était à au moins 230 km. C’est pour cela que nous avions appelé les Italiens » …
15h « Nous avons alors appelé les Maltais A trois heures de l’après-midi, on m’a assuré qu’ils allaient arriver en 45 minutes. »
16h « A quatre heures, ils m’ont dit: « Bon, nous sommes sûrs de votre position, mais nous avons encore besoin d’une heure et dix minutes pour vous atteindre. »
17h10 « A cinq heures dix, tous nos enfants se sont noyés et personne n’est venu. »
Commentaire : une plainte a été déposée. Si toutes ces informations se trouvent confirmées, les faits devraient être qualifiés de non-assistance à personne en danger. Au-delà, c’est un véritable dysfonctionnement de la chaîne de secours italienne et maltaise qui est en cause, notamment l’absence de liaison rapide et de coordination entre les deux pays. C’est la qualité du système de secours en mer en Méditerranée qui se trouve posée et son organisation européenne. Incriminer une personne, celle qui était de « garde » ce jour-là à la permanence de secours, ou même un seul pays, serait trop facile. Face à l’importance du phénomène, la fonction du secours des migrants en mer ne peut être placée sous la seule responsabilité (et à la charge) d’un seul pays. C’est une responsabilité générale. L’Europe ne peut plus fermer les yeux…
D’autant que les personnes qui franchissent la Méditerranée ne le font pas pour faire une ballade en mer ou trouver un meilleur job. Ce ne sont pas seulement des migrants « économiques » désespérés mais aussi des demandeurs d’asile potentiels fuyant leur pays qui n’ont plus d’autre choix. Ceux qui soulignent le contraire ne sont pas dignes d’exercer des fonctions publiques. Il s’agit donc aujourd’hui d’agir vite, non pas dans un mois ou dans quelques années, mais dans les heures et jours suivants.
Les ministres des Affaires étrangères et de la Défense qui se réunissent les 18 et 19 novembre prochains devront non pas entamer un processus mais prendre une décision ferme, énergique, applicable immédiatement. Le temps de la tergiversation est terminé. Certes il y a de nombreuses questions juridiques, opérationnelles ou politiques à résoudre. B2 s’en est fait l’écho. Et ce n’est pas évident (La PSDC pour lutter contre l’immigration ? Quelques questions). Mais aujourd’hui il ne s’agit plus de s’enfermer dans un cadre réglementaire ou procédural pour refuser une assistance. On doit considérer l’objectif de l’Union européenne et de la PSDC : à quoi sert-elle, à quoi servent-elles ? Et, ensuite, dérouler les instruments et les procédures. Et non le contraire.
C’est une question de valeurs. Et celles-ci doivent être placées au-dessus de tout. Si l’Europe n’est plus capable aujourd’hui de mettre au-dessus de tout, ses valeurs de justice et d’humanité, de sauvegarde de la vie humaine et de solidarité, pour lesquelles elle a été créée, alors, oui, ceux qui militent pour son effacement et sa suppression auront gagné !
Bruxelles2, le 10/11/2013