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Publié le : 23/01/2017
Il y eut d’abord les réticences, le « froid » de la population voisine, se rappelle Frédéric Mercenne, responsable pour l’association Adoma du centre d’accueil et d’orientation (CAO) de Serquigny, près de Bernay dans l’Eure. Il y eut même les manifestations, pro et anti-accueil des migrants, se partageant le territoire de la petite commune de 2 000 habitants... C’était le 5 novembre dernier, deux semaines après le début du démantèlement de la « jungle » de Calais.
775 personnes ont été « mises à l’abri » en Normandie dans la foulée de la destruction de l’immense bidonville (lire par ailleurs), réparties à travers les différents CAO existant ou créés pour l’occasion.
Voilà comment une trentaine d’entre eux - essentiellement des Afghans - ont soudainement posé leurs valises dans une petite cité HLM de Serquigny, bien obligée de faire avec. « Nous n’avons pas la main sur ce dossier, c’est l’État », rappelle le maire PS Lionel Prévost, qui n’omet pas les réticences qui l’ont envahi lui aussi à l’époque. « Les gens ne comprenaient pas pourquoi il y en avait autant chez eux et pas ailleurs », appuie Frédéric Mercenne. À elle seule, la bourgade a absorbé un tiers du contingent de migrants abrités dans l’Eure, malgré ses caractéristiques rurales peu adaptées. « A Calais, malgré tout, ils avaient beaucoup de choses à proximité, concède le responsable d’Adoma. Ici, ils sont plus isolés, cela nécessite beaucoup de déplacements à Rouen ou à Évreux, pour des rendez-vous médicaux ou en préfecture. » Malgré ces difficultés, seulement trois départs volontaires ont été enregistrés à Serquigny. D’une part parce qu’une majorité - 18 - est engagée dans un processus de demande d’asile. « On s’est aperçu qu’en réalité, beaucoup de migrants avaient déjà engagé des procédures administratives à Calais, ce qui prouve que nous n’avions pas forcément une bonne vision de la situation là-bas », note Frédéric Mercenne. C’est le cas de Salim, 23 ans, qui, après avoir fui « le danger » et « les talibans » en Afghanistan, a passé six mois dans la « jungle » avant de débarquer dans l’Eure.
Et puis il semble que la solidarité, loin de la méfiance d’abord exprimée, ait fini par s’imposer à Serquigny. À tel point qu’il fallut en plus gérer les appels quotidiens et les sollicitations parfois impatientes de bénévoles, sourit Frédéric Mercenne. « Il y a eu beaucoup de dons : nous les avons organisés avec la mairie pour ne pas que la population s’imagine qu’on leur offre tout. » Passées ces considérations et les nécessaires mises au point - non, leurs appartements n’ont pas été refaits à neufs et l’allocation des demandeurs d’asile se chiffre à 204 € mensuels -, « les rapports sont bons avec la population et les commerçants », assure Clara Figueiredo, travailleuse sociale embauchée par Adoma pour accompagner au quotidien les migrants de Serquigny. Son contrat court pour l’instant jusqu’à fin mars, à l’image du caractère en théorie temporaire des CAO mis sur pied un peu partout en France.
S’il considère ainsi que sa commune a accompli « son devoir humanitaire et citoyen », Lionel Prévost n’en estime pas moins qu’« il doit y avoir un début et une fin ». « Le CAO de Serquigny a vocation à disparaître », confirme Frédéric Mercenne, même si ce dernier parie sur un prolongement des délais au regard de la tâche administrative qui reste encore à réaliser. « Il faudrait ouvrir des places en Cada [Centre d’accueil de demandeurs d’asile, N.D.L.R.] pour accentuer la fluidité », ajoute-t-il.
A Rouen, justement, France terre d’asile vient de remporter un appel à projets pour l’ouverture prochaine de 70 places « pour familles et personnes isolées »*, annonce Sophie Toupin, directrice pour le département la Seine-Maritime. L’association promeut par ailleurs depuis peu le programme « Un métier pour demain », qui s’adresse aux jeunes réfugiés statutaires de moins de 30 ans. Ce dispositif, qui vise à les intégrer au plus vite sur le marché de l’emploi au moyen de formations intensives, pourrait intéresser Salim : le jeune Afghan espère travailler le plus vite possible en France. Lui était plombier et peintre dans son pays.
« Depuis le démantèlement de Calais du 24 octobre 2016, ce sont au total 775 personnes qui ont été mises à l’abri en Normandie », rappelle la préfecture de Région:
La disparition de la « jungle » s’est d’abord traduite, dans l’immédiat, par l’arrivée de 624 migrants répartis sur les cinq départements : 273 en Seine-Maritime (dont 114 mineurs isolés), 90 dans l’Eure, 113 dans le Calvados, 95 dans la Manche et 53 dans l’Orne.
Se sont ajoutés par la suite, entre fin octobre et mi-novembre 2016, 126 migrants issus du campement parisien de Stalingrad, répartis de la façon suivante : 40 en Seine-Maritime, 29 dans l’Eure, 51 dans l’Orne et 6 dans le Calvados.
Enfin, 25 migrants supplémentaires ont été accueillis en Normandie le 22 décembre dernier (14 dans l’Orne, 11 dans le Calvados), alors que le traitement de certaines situations administratives a permis de libérer des places dans les différents CAO.
Mais l’accueil des migrants dans la région n’a pas attendu le démantèlement de la « jungle » de Calais. Celui-ci s’organise depuis le 5 novembre 2015, soulignent les services de l’État. En réalité, 1 104 personnes ont été mises à l’abri dans la région depuis cette dernière date.
Une fois de plus, depuis son bureau rouennais, Nicole Klein pourfend « les fantasmes de certains » sur la manière dont sont hébergés les migrants de Calais.
« Quand on voit les conditions spartiates des mineurs accueillis au Hameau des Brouettes à Rouen [lire par ailleurs, N.D.L.R.], cela remet les choses en perspective », souligne la préfète de la région Normandie. Même conclusion lorsqu’il s’agit d’évoquer les chiffres, réactualisés pour l’occasion : au total, à peine plus d’un millier de migrants ont été « mis à l’abri » dans la région depuis novembre 2015. Près de 800 ces trois derniers mois, dans le cadre du démantèlement de la « jungle » de Calais.
À sa connaissance, « aucun trouble à l’ordre public » n’a été signalé dans les CAO qui ont été ouverts pour l’occasion, « malgré les craintes ». De même, « il n’y a jamais eu de flou », assure la préfète, en écho au titre de Paris-Normandie, édition du 14 octobre dernier (« Migrants : le grand flou »).
À l’époque, différents acteurs impliqués dans l’accueil des migrants témoignaient en effet de l’incertitude totale dans laquelle ils se trouvaient, à la veille du démantèlement calaisien. « Les maires ont toujours été informés : ils savaient par exemple qu’ils n’auraient pas d’enfants à prendre en charge, avec les éventuels problèmes de scolarisation que cela pouvait poser », insiste Nicole Klein.
Tout juste cette dernière admet-elle un peu de précipitation dans « l’affaire » de Perriers-la-Campagne, cette commune de l’Eure où une ancienne plate-forme logistique fut aménagée en CAO... avant de fermer au bout de quelques jours, en raison des conditions d’accueil insatisfaisantes. « Perriers reste une exception, martèle la préfète de Normandie. Nous n’avons constaté aucun problème majeur dans les autres CAO normands. »
Public objet des attentions les plus vives : les mineurs isolés issus de la « jungle » de Calais. Évalués à près de 1 300 au moment du démantèlement du bidonville, 114 d’entre eux ont été recueillis en Normandie : uniquement sur le département de Seine-Maritime, dans les grands centres urbains de Rouen et du Havre. Il n’en reste aujourd’hui plus que 43, selon les derniers chiffres préfectoraux. Beaucoup se sont « évanouis » dans la nature... À Paris ? De nouveau à Calais dans l’espoir, toujours, de franchir la Manche ?
Difficile de le savoir précisément. D’autres ont eu la chance de rejoindre la Grande-Bretagne, selon l’accord franco-anglais spécifiquement établi au sujet des mineurs isolés : le Royaume-Uni s’est engagé à recevoir tous ceux étant en mesure de prouver des liens familiaux outre-Manche. « Des officiels anglais sont venus en Seine-Maritime: une quinzaine de mineurs hébergés au Havre ont été acceptés, détaille la préfète de région Nicole Klein. On s’aperçoit surtout que les Britanniques ont repris les plus jeunes. Des discussions sont en cours pour que les critères de sélection soient les plus objectifs possible. »
À Rouen, aucun des mineurs de Calais n’a obtenu l’autorisation de rejoindre l’Angleterre après examen de leurs situations. « Ce fut assez violent, il a fallu temporiser, leur expliquer que des recours étaient possibles », témoigne Éric Bouflet, directeur de l’Œuvre normande des mères (ONM). L’association gère la structure rouennaise dans laquelle vivent toujours 26 adolescents venus de Calais, sur la cinquantaine arrivée au tout départ. Essentiellement de jeunes Soudanais, Afghans, Érythréens, Libyens...
« À la veille de l’appel de l’État, nous avions déjà sollicité notre conseil d’administration en vue de nous impliquer dans l’accueil des migrants », raconte Éric Bouflet, justifiant de fait la réactivité des salariés de l’ONM, qui ont aménagé « en seulement quelques jours » une cinquantaine d’appartements dans une ancienne maison de retraite mise à disposition par la Ville de Rouen.
Là, les jeunes garçons y bénéficient de bilans de santé, de cours de français (« même si au départ peu d’entre eux souhaitaient s’y inscrire : leur but restait l’Angleterre », note le directeur de l’ONM), de sport, etc. « Certains d’entre eux ont rencontré pour la première fois un travailleur social, ils n’avaient vu absolument personne à Calais ! », s’étonne encore Éric Bouflet.
Une fois toutes les situations examinées en détail, les adolescents voués à rester dans le département « devront être pis en charge par l’ASE [Aide sociale à l’enfance, N.D.L.R.] », poursuit le responsable de l’Œuvre normande des mères. Or, l’ASE relève des missions du conseil départemental, collectivité aux moyens déjà contraints. « L’État a signé un protocole avec les Départements » afin de les aider à supporter cette charge financière, rappelle de son côté la préfète Nicole Klein.
Éric Bouflet, lui, dit avoir obtenu de cette dernière l’assurance « que l’on sera dans la bientraitance vis-à-vis de ces jeunes : il faudra notamment éviter de les isoler encore, ils ne le supporteraient pas ».
Thomas DUBOIS, Paris Normandie, 19/01/2017
* Il s'agit d'un Centre Provisoire d'Hébergement (CPH), accueillant les familles ou les personnes qui ont obtenu le statut de réfugié délivré par l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) ou la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA).