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Publié le : 31/07/2017
Par Lucile DUQUESNE & Tanguy GARREL-JAFFRELOT
Taizé, terminus : tout le monde descend. C’est en plein milieu de la nuit que Nemat débarque dans ce village au nord de Lyon, qui compte moins de 200 habitants. C’est la fin d’un périple de trois mois pour le jeune afghan de 26 ans, qui a fui les talibans en 2015 en traversant la Méditerranée.
Nemat, comme nombre de réfugiés s’était d’abord rendu à Calais sur conseil d’autres migrants, mais sans réelle volonté de se rendre en Angleterre. Perdu dans la Jungle, il saute sur l’occasion lorsque des policiers lui proposent de quitter le bidonville. Direction le bus, pour une destination inconnue : « personne ne m’a dit où j’allais être emmené ».
« Ils sont arrivés en plein milieu de la nuit. Personne ne voulait descendre du bus car ils étaient apeurés »
Dans le bus, Nemat voyage avec une dizaine de Soudanais ayant fui le régime ultra-violent d’Omar Bachir. Parmi eux, Ibrahim, 28 ans. À Calais, le jeune homme ne connaissait qu’un seul mot de français : « Dégage ! ». C’est ce que lui disaient tous ceux qu’il croisait dans les camps ou à la gare. Il avait fini par croire que cela voulait dire « Bonjour ! ». Le jour où il salue un policier d’un « Dégage ! », il comprend son erreur.
Le groupe arrive à la communauté monastique de Taizé. Là-bas, les frères qui les reçoivent n’en sont pas à leur coup d’essai : ils ont pour tradition de recevoir des réfugiés. Taizé a accueilli des juifs durant la Seconde Guerre mondiale et des Bosniaques à l’époque du siège de Sarajevo. Lorsque la préfecture les a contactés pour accueillir des jeunes de la jungle de Calais, les frères n’ont pas hésité.
Nemat, réfugié afghan de 28 ans
Frère David se souvient de la première rencontre avec le groupe : « Ils sont arrivés en plein milieu de la nuit. Personne ne voulait descendre du bus car ils étaient apeurés. » Des pancartes écrites en arabe, du thé et quelques viennoiseries offertes par les habitants finissent par rassurer les réfugiés. « À Taizé, on est habitués à voir des vacanciers arriver avec d'énormes valises pour une semaine. Je me souviens avoir été choqué de les voir arriver avec de maigres sacs plastiques », raconte Ferenc Hardi, un habitant témoin de la scène.
Une maison appartenant aux frères est réquisitionnée pour y loger les migrants. Une salle de prière est aménagée à la hâte dans l’une des pièces du bâtiment qui fait face à l’église du village. Un Coran bilingue français-arabe est déposé sur la cheminée, à côté d’un tableau représentant les Apôtres.
« L’objectif n’était certainement pas de les convertir au christianisme ; nous voulions simplement qu’ils se sentent comme chez eux. Nous ne voulions pas qu’ils renient leurs origines, mais qu’ils constatent qu’ils pouvaient conserver leur foi et leur spiritualité », commente frère David. « Nous leur avons dit de ne pas s’étonner lorsqu’ils entendaient les cloches trois fois par jour pour l’appel à la prière, et ils nous ont répondu de ne pas nous inquiéter, car eux aussi priaient, cinq fois par jour. »
Des cours de français donnés par des villageois volontaires sont rapidement mis en place. « Quand ils sont arrivés à Taizé, ils étaient très heureux d’avoir un lieu pour se reposer, mais ils ont vite demandé de l’aide pour le français pour s’intégrer, trouver un travail et se faire des amis », raconte frère David. Afin de faciliter l’apprentissage du français, certains frères se sont même mis à étudier l’arabe.
Les réfugiés sont intégrés aux équipes de bénévoles pour donner un coup de main en cuisine et assurer le nettoyage des parties communes. Cela leur permet de retrouver une certaine hygiène de vie après le désordre calaisien. Mais les débuts n'ont pas été si simples. « Ils avaient une relation différente au temps. Il a fallu leur expliquer qu'un rendez-vous est un rendez-vous et que les horaires comptent », se souvient Georges Bouillin, le maire PS de la commune.
Quelques mois plus tard, cet ancien agriculteur contacte des amis viticulteurs et parvient à faire embaucher le groupe de réfugiés pour la récolte des vendanges. « Dès 7h du matin, ils étaient toujours partants, quel que soit le temps. La pluie et le froid ne les arrêtaient pas ». Le maire du village en est convaincu : « Ce ne seront jamais des assistés car ces gars ont vraiment envie de travailler ». Pour frère Maxime, « c’est aussi dans l’intérêt du monde rural de se repeupler et d’éviter la fermeture des petites classes à l’école. Démographiquement, nos sociétés ont besoin d’eux. Ils ont peut-être besoin de nous, mais nous avons aussi besoin d’eux. »
Frère David et Frère Maxime
Joël Darnand, l’hôtelier du village, participe à sa façon en mettant à disposition des réfugiés des vélos et en leur faisant visiter la région : « J’ai organisé des ateliers pour réparer des vélos, et puis j’ai appris à certains d’entre eux à en faire. Je voulais qu’ils soient plus autonomes pour se déplacer. »
La commune ne s’est pas contentée d’accueillir des jeunes de la jungle de Calais. Trois familles ont également trouvé refuge dans le village : une famille syrienne musulmane, une famille irakienne catholique et une famille irako-égyptienne orthodoxe.
La famille Al Mansour est la dernière arrivée. Le couple et leurs quatre enfants vivaient dans la banlieue de Homs lorsque la guerre civile a éclaté.
Le père, artiste calligraphe, est blessé lorsqu’une bombe détruit leur maison. Il passe plus d’un an ballotté d’hôpital en hôpital. Les Al Mansour atterrissent dans un camp de réfugiés au Liban, où ils restent quatre ans. Arrivés en France grâce à l’intervention de la communauté de Taizé, ils habitent dans le village bourguignon depuis maintenant douze mois.
La cohabitation avec les frères de Taizé ne dérange pas la famille qui est habituée au dialogue inter-religieux. « En Syrie, chrétiens et musulmans cohabitaient pacifiquement. Cela n’a rien de nouveau pour nous », précise Abdul Sattar. Après avoir travaillé plusieurs mois dans les vignes, le père de famille, qui apprend le français tous les jours avec sa femme, cherche maintenant à trouver un emploi plus stable.
Les enfants, eux, étaient sur les bancs de l’école du village trois jours après leur arrivée en France. « Lorsque des avions passaient un peu bas, ils avaient peur. Je pense que ça leur rappelait des événements douloureux de leur vie », raconter Céline Racine, l’institutrice du village. Mais leurs progrès sont rapides : en quelques mois, Omeir, 9 ans, et Soundous, 8 ans, s’expriment dans un français presque courant.
Afin d’éviter des réactions de rejet, le maire a informé les habitants du village de l’arrivée imminente des réfugiés. « Au départ, certains avaient un peu peur, il faut le dire : c’était une situation inconnue. Mais cette peur a été dépassée par le contact quotidien avec les migrants », se souvient frère David.
Un système de parrainage voit même le jour : des familles référentes assistent les réfugiés dans leurs démarches administratives auprès de l’OFPRA (l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides), de la préfecture et de Pôle Emploi. L'objectif est que les jeunes aient un parrain vers qui se tourner en cas de besoin.
L’aide des villageois a été la bienvenue au vu de la complexité de la procédure et des nombreux documents en français à remplir pour chaque demande d’asile. Frère David rappelle d’ailleurs que « les délais de réponses aux demandes d’asiles sont très divers. Certains jeunes attendent parfois un an ou plus. Certains vivent de véritables dépressions. »
« Les jeunes ont peut-être quitté la jungle de Calais, mais ils en ont rejoint une autre : la jungle de l'administration française », explique Ferenc Hardi. Le bénévole a accompagné chacun des réfugiés lors de leurs entretiens avec les agents de l'OFPRA, qui avaient lieu à Paris. S’il n'avait pas le droit d'intervenir, sa présence rassurait les jeunes qui se sentaient plus sereins. Grâce à son soutien, tous ceux qu’il a accompagnés ont aujourd’hui obtenu leur titre de séjour, de quoi valoir à Ferenc le surnom d' « oncle Baraka », béni en arabe.
Ferenc et Orsi Hard, villageois bénévoles
Sur l’ensemble des migrants de Taizé, l’un d’eux s’est retrouvé débouté du droit d’asile. « Il s’est senti découragé de voir que la France ne voulait pas de lui », explique frère Benoît. « A son retour, il a été traqué par les services de police soudanais. Pourquoi n’avons-nous pas su, en tant que communauté nationale, l’accueillir alors que son histoire n’est pas plus à négliger que celle des autres ? »
Pour ceux qui ont pu rester, les premiers mois ont réservé leur lot de décalages culturels. Quelques discussions sur les valeurs républicaines, la laïcité et la religion ont été nécessaires.
Les jeunes Soudanais, musulmans pratiquants, ont été surpris de découvrir une société sans Dieu. Ils ont été étonnés de voir une femme conduire un bus lorsqu’ils se sont rendus pour la première fois à la mosquée de Chalon : « il s’agit d’un poste réservé aux hommes dans leur pays d’origine », explique Nemat. Dans un premier temps, ils ont été réticents à se faire examiner par une femme lors de visites médicales.
L’ainé de la famille syrienne, Omeir, voulait quant à lui faire ses prières quotidiennes en classe. Il a fallu faire intervenir l’imam de Châlon-sur-Saône pour que la situation se décante : « L’imam a expliqué au jeune garçon le principe de la laïcité. Il lui a dit qu’il ne devait pas faire ses prières sur le temps scolaire, mais qu’il pouvait les rattraper le soir à la maison », raconte Céline Racine, leur institutrice.
Pour Fatima, la mère d’Omeir, faire la bise et serrer la main aux frères et à d’autres hommes a été une étape difficile. « Lorsque je les ai invités à manger, rien que le fait d’être assis à la table avec des hommes a été quelque chose de très fort pour elle », se souvient l’institutrice. « Il a fallu trouver un juste milieu pour qu’ils puissent acquérir les codes de nos sociétés ».
La pratique de l’islam par les réfugiés a par ailleurs été encouragée par les frères de Taizé. « Je crois que c’est assez naturel que, dans la migration, il y ait une sorte de reprise en main de son identité religieuse », explique frère Maxime, qui considère toutefois qu’il est nécessaire de s’adapter aux pratiques de la nation d’accueil. L’imam de Chalon, à ce titre, a effectué un travail important : « il nous a bien aidé en venant ici et en expliquant que les lois de la République ne sont pas incompatibles avec l’islam ».
Chaque mercredi, des cours coraniques sont ainsi organisés à Taizé. Frère Maxime y voit là une dimension essentielle pour éviter qu’un vide ne se crée chez les jeunes qui puisse ensuite être récupéré par des groupes radicaux sur Internet.
Grâce aux habitants et à l'accompagnement des frères, les réfugiés tentent de renouer avec la normalité. « Aujourd’hui, nous ne les voyons plus comme des réfugiés. Ce sont devenus des amis, des voisins, des membres de notre famille », explique Orsi Hardi, installée à Taizé depuis une vingtaine d’années.
Maçonnerie et électricité pour les uns, mécanique et agriculture pour les autres : à Taizé, tous les réfugiés qui étaient passés par Calais sont maintenant en voie d’insertion professionnelle. Certains ont emménagé dans leurs propres appartements et parlent un français plus que correct.
Ibrahim, le soudanais de 28 ans, est parvenu à obtenir un apprentissage au lycée viticole de la région. Lui qui a connu son pays en guerre depuis qu’il est né ne se fait guère d’illusions lorsqu’on lui demande s’il aspire à retourner au Darfour : « Bien sûr. Mais je ne crois pas que la paix soit un jour possible dans mon pays. »
Nemat, quant à lui, vit dans un appartement social au-dessus de l’hôtel de ville. Les frères de Taizé lui ont trouvé une alternance en maçonnerie. Sur les chantiers, il aide à la restauration des châteaux de la région. Mais même s'il se sent intégré, le jeune afghan entretient toujours l’espoir de retourner un jour chez lui. Il n'a pas eu de nouvelles des membres de sa famille depuis un an et ne sait pas s'ils sont encore vivants. « Un jour, j'aimerais retourner dans mon pays pour retrouver ma famille et travailler là-bas », confie-t-il, mélancolique. ■
Dans le cadre de notre projet collectif à Sciences Po, nous avons choisi de découvrir les conditions dans lesquelles les réfugiés sont accueillis en France. C’est dans le contexte des élections présidentielles, dont les débats autour de la vague de migration en Europe ont fait ressurgir des discours de rejet de l’étranger, que nous sommes partis à Taizé. Nous avons réalisé que la peur de l’inconnu, aussi naturelle soit-elle, est liée à la méconnaissance de l’Autre et peut justement être surmontée à son contact. Des solutions d’accueil et d’intégration existent. Elles sont là, au sein-même des petites communes rurales, fortes de leurs réseaux de proximité. Nous avons besoin de ce partage pour nous rappeler de ne pas enfermer l’Autre dans des catégories fabriquées par des discours politiques. Ce qui fait la France, et tout particulièrement dans le contexte actuel, c’est aussi sa capacité à résister aux idées nationalistes et le potentiel de mobilisation que sa population recèle.
Lu sur le site de France Fraternités