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Publié le : 21/06/2018
L'errance de l'Aquarius pendant 9 jours a révélé, si besoin était, la profondeur de la crise morale et politique que traverse l'Union européenne autour de la question migratoire. Et avec le Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, nous disons "c'est honteux" pour l'Europe, pour la mise en cause des valeurs qui nous fondent, pour l'image d'indécision que nous renvoyons au monde.
Cette crise est profonde, par la vision de l'asile, plus généralement de l'accueil de l'étranger, que révèlent les discours et les actes de nombre de gouvernants européens. On n'est plus là en présence de positionnements purement tactiques, en vue du compromis qui serait à négocier lors du prochain Conseil européen, fin juin. Une coalition de leaders politiques prônant la renationalisation des politiques d'asile, refusant toute solidarité entre ses membres semble avoir pris le leadership en Europe. La prochaine présidence autrichienne du Conseil de l'UE ne manque d'inquiéter au vu des déclarations du chancelier Kurz qui souhaite clairement externaliser la demande d'asile en dehors des frontières européennes et les traiter depuis des camps de rétention.
1. Nous devons rester attentifs aux causes précises des déplacements de personnes, comme aux variations du nombre des personnes déplacées, et rappeler que la réalité des flux de réfugiés vers l'Europe, en 2018, ne ressemble en aucune façon aux trois années précédentes. Pour exemple, là ou l'Italie accueillait 80.000 personnes entre janvier et juin 2017, elle en accueille aujourd'hui moins de 30.000 sur la même période. Le discours populiste aujourd'hui omniprésent en Europe n'a plus rien à voir avec la réalité des flux mais tout avec une idéologie extrémiste faite de nationalisme et d'ethnisme.
2. Ne créons pas de nouveaux "boat people", ces réfugiés vietnamiens privés de secours en mer dans les années 70, dont France terre d'asile a des raisons de se souvenir. Le droit maritime international impose de porter secours aux personnes en détresse et de les mener jusqu'à un port sûr. C'est d'ailleurs ce qu'avait parfaitement compris l'Italie en 2013, à la suite du naufrage ayant occasionné la mort de 366 personnes, décrétant un deuil national, et surtout en lançant l'opération Mare Nostrum, qui a permis pendant un peu plus d'un an de sauver des milliers de vies.
Nous pensons qu'il est indispensable de renforcer les opérations de recherche et de sauvetage en mer, en soulignant leur nature humanitaire, en respectant le principe de non-refoulement.
Mais il faut aussi lors d'un prochain sommet euro-méditerranéen impliquer tous les États de la zone afin d'identifier des lieux de débarquement sûrs pour les réfugiés et migrants secourus. Aux côtés du HCR, nous pensons qu'il est important de développer des mécanismes efficaces et prévisibles afin d'identifier sans délai les lieux sûrs sur le pourtour méditerranéen pour le débarquement rapide des réfugiés et migrants secourus et, particulièrement, pour ceux secourus dans les eaux internationales. Cette clarification des règles de débarquement suppose, pour les personnes ayant besoin d'une protection internationale, des accords de coopération entre les États du nord et du sud de la Méditerranée, afin d'assurer un accueil et une prise en charge qui tiennent dûment compte des besoins individuels et des vulnérabilités. Pour ceux débarqués dans un pays tiers de l'UE, un mécanisme de réinstallation rapide devrait être garanti par les États membres impliquant la solidarité de tous.
3. L'asile est, par nature, un acte de solidarité, celui d'un État à l'égard de personnes ou groupes de personnes ayant besoin d'une protection internationale. Cette solidarité peut être mise en échec si elle reste le fait d'un État isolé, que cet État soit volontaire comme l'était, en Europe, l'Allemagne d'Angela Merkel en 2015, ou contraint, comme le sont, depuis de nombreuses années, les États du sud de l'Europe (contraints par les effets conjugués de la géographie et du Règlement Dublin III). Cet échec, on le voit aux résultats des dernières élections allemande et italienne, notamment ; plus modestement, on le voit en France à l'incapacité des pouvoirs publics à faire face à la question des "dublinés", et par suite à organiser convenablement l'accueil des demandeurs d'asile.
Car il ne suffit pas de dire que Dublin ne fonctionne pas. Il faut dès lors en tirer les conséquences pour le statut des personnes placées aujourd'hui sous ce règlement qui se trouvent en errance sur le territoire de l'Union et proposer un mécanisme de solidarité acceptable par tous les États parties prenantes en remplacement du règlement Dublin, défaillant.
Nous en déduisons que la crise de l'accueil, qui s'étend aujourd'hui peu à peu à toute l'Europe, tient à ces pannes de la solidarité entre États, dont la conscience a fini par s'inscrire dans les opinions. Cette crise n'aura d'issue pour le droit d'asile que si les États européens les plus concernés et les plus motivés s'entendent pour garantir entre eux le minimum de solidarité nécessaire dans l'accueil des demandeurs d'asile.
4. Qu'est-ce que l'Europe peut demander aux pays tiers ? Le droit d'asile fait partie, depuis l'origine, des valeurs par lesquelles l'Europe est identifiée, par elle-même comme par le reste du monde. Nous ne pensons pas que les discours extrémistes du moment puissent remettre en cause ces fondements.
C'est pourtant ce que certains proposent, avec le renvoi à l'extérieur des frontières européennes du traitement de toutes les demandes d'asile ; avec l'organisation de camps d'accueil dans des pays tiers, proches ou non, pour ce traitement ; avec la priorité de l'accueil des réfugiés dans les pays tiers "sûrs" ; et, pour garantir tout cela, la priorité donnée, dans la politique et le budget européen de l'asile, au renforcement policier des contrôles aux frontières extérieures.
Nous pensons qu'il faut, pour l'accueil des réfugiés dans le monde, que l'Europe travaille avec les pays tiers, voisins des pays d'origine, ou de transit. C'est d'ailleurs devenu, ces dernières années, la grande affaire de l'UE et de nombreux sommets. Mais nous devons savoir voir les limites de cette politique qui peut être, pour le droit d'asile, la meilleure ou la pire des choses, comme on a commencé à le voir en 2016 avec l'"accord" UE-Turquie. Comme on le voit aujourd'hui avec l'externalisation totale proposée par certains.
Non seulement, cette orientation nous paraît vaine, car il se trouvera peu de pays tiers pour y coopérer volontairement. Mais, surtout, nous pensons que, dans ses profondeurs, l'Europe ne peut pas vouloir un tel reniement. À la société civile des États membres de se mobiliser pour faire en sorte que cela n'arrive jamais!
HuffPost, Pierre Henry & Thierry Le Roy, le 20 juin 2018