Publié le : 12/10/2010
Passeport pour les sans-papiers
Un thriller social dénonce les conditions de vie dans les centres de rétention.
Sortie en salle le 13 octobre 2010
Il le reconnaît lui-même: "Je n’ai pas l’âme d’un militant." C’est pourtant son film, Illégal, sur l’itinéraire d’une femme sans papiers dans un centre de rétention, qui a été choisi pour représenter la Belgique aux Oscars 2011. Non militant peut-être, mais suffisamment conscient de certaines réalités géantes pour qu’Olivier Masset-Depasse, 38 ans, ait eu envie de se confronter à ce douloureux problème pour son deuxième film.
"J’avais quelques sans-papiers dans mes relations mais le déclic est venu car il y avait un centre de rétention à 15 kilomètres de chez moi, dit le cinéaste bruxellois. Le premier mouvement a été celui de la curiosité. Je me demandais ce qu’il pouvait bien s’y passer." Internet lui fournit les premiers éléments. Plutôt inquiétants. Poursuivant son enquête, Olivier Masset-Depasse contacte un juriste des droits de l’homme et un journaliste du Soir, spécialiste des affaires d’immigration. "Sans eux, je ne serais jamais entré dans un centre de rétention. J’ai aussi bénéficié d’un moment d’ouverture à l’Office des étrangers, chez moi, en Belgique."
Le monde du désespoir et du sordide
La réalité se révèle plus sordide que le réalisateur ne l’avait imaginé. En se rendant plusieurs fois dans un centre de rétention et en discutant avec certains résidents, il effectue une plongée dans le monde du désespoir et du sordide. "Avec la peinture écaillée, le linge qui pendait et des enfants en bas âge encore en pyjama à 4 heures de l’après-midi, cela ressemblait plus à un squat qu’à une institution moderne représentative d’une démocratie occidentale."
Un constat accablant, qui n’incite pas pour autant Olivier Masset-Depasse à signer un brûlot politique. "Je me situe plutôt dans la veine de Costa-Gavras. Je pense qu’en s’appuyant sur des faits réels, mais à travers l’univers fictionnel, on peut se révéler aussi percutant que dans un documentaire." De la critique sociale sous forme de thriller.
Le réalisateur ne se prétend pas donneur de leçons, juste mettre les autorités en face de leurs responsabilités. "C’est tout de même aberrant de se comporter avec les sans-papiers comme si nous étions des pays en guerre. Certaines reconduites à la frontière menottées n’ont plus qu’un lointain rapport avec la Déclaration des droits de l’homme. Quand vous voyez les épreuves terribles qu’ont dû subir certaines personnes qui veulent venir chez nous et le peu d’humanité que nous leur réservons, il y a de quoi se poser des questions sur nos modèles de société."
Hors de question, évidemment, de tourner dans un vrai centre de rétention. De même que l’aéroport de Bruxelles a refusé les caméras d’Olivier Masset-Depasse pour les scènes d’expulsion. "Heureusement, le directeur technique de l’aéroport de Liège, lui-même ancien sans-papiers, s’est montré plus compréhensif."
Présenté dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs du dernier Festival de Cannes, Illégal a été très bien accueilli. Le cinéaste conserve encore un souvenir ému de la longue ovation qui a suivi la projection officielle. "Dans la foulée, une dizaine de pays ont acheté le film, dont les Etats-Unis." En attendant que son interprète principale et compagne, Anne Coesens, donne prochainement naissance à leur enfant, Olivier Masset-Depasse prépare un thriller politique sur la corruption qui gangrène certaines ambassades, à l’origine de filières de sans-papiers. Vous avez dit vigilant?
Jean-Pierre Lacomme
Le JDD, le 09/10/2010