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Publié le : 10/12/2015
« Bienvenue ! » c'est le titre du projet solidaire élaboré par 34 écrivains et illustrateurs renommés (tels que Philippe Claudel, Plantu, ou encore Philippe Torrethon), en solidarité avec les migrants et les réfugiés. Constitué de textes de fictions, de témoignages et de dessins sur le thème de l’asile et de l’immigration, ce recueil a pour but d’éveiller les consciences sur le drame qui se joue à nos portes et de diffuser un message de tolérance et d’ouverture envers les plus vulnérables. Dans cette logique et en soutien avec ces exilés, tous les bénéfices réalisés par les éditions Points seront reversés au Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.
Subir, recevoir, donner
Il a subi. Tellement subi. La faim, la soif, et l'ombre du danger surtout. L’idée d’une menace, une rumeur d’abord, une angoisse sourde, des mots murmurés autour de lui. Et puis des coups de feu, des morts, des gens que l’on connaît et des proches. Partir était la seule solution. Une évidence.
Mais est-ce une évidence de quitter la terre de son enfance, de son adolescence ? Il a presque vingt ans. Il a connu ici des jeux et des amis, et ses premiers rêves d’amour, et son premier chagrin d'amour. Mais partir, oui. Ensemble. Avec tous ceux qui lui restaient. Entravé par ces ballots, ces paquets noués à la hâte. Un essentiel si dérisoire. Subir les pierres des chemins, les vociférations indécentes du passeur, la longue attente sur la grève. Et ce bateau enfin où il s’entasse avec les siens. Subir, oui. Ce n’est pas un voyage d’espoir mais de désespoir. Comment pourraient-ils arriver quelque part, tous ces corps compressés, humiliés dans la nuit noire, avec le fracas des vagues ? Son père n'y survivra pas.
Mais il y aura quand même une aube, une autre grève, beaucoup de cris encore et beaucoup de silence. D’autres routes, une gare, un train où l’on vous enfourne comme du bétail. Au bout de tout cela, sauvé ?
Sauvé peut-être. Vivant, curieusement vivant, comme hébété. Il continue de tout subir, mais il écarquille les yeux, car il commence à recevoir. C’est très étrange, recevoir. D’abord on se demande pourquoi, et puis si c’est bien sûr. Il y a des espaces incertains, où l’on peut bivouaquer avec ceux qui vous restent. On vous sert une soupe chaude. On vous tape sur l’épaule, on vous sourit. On vous parle. Quelques mots en commun, des gestes rassurants. D’autres routes, et la fatigue infinie monte, puis des endroits toujours très anonymes, une cour de lycée, un dortoir, mais quand on vient d’où il vient, c'est presque une maison. L'inquiétude persiste. On se rassure en parlant avec les siens. On dit merci, heureux d'abord d’avoir à le dire, et puis très vite il y a beaucoup trop de mercis, seulement des mercis. Et les mois vont passer.
Il a vingt ans, il sent au fond de lui les forces vives qui reviennent. Il a tellement subi, tellement reçu. Il le sent maintenant, subir et recevoir ce n’est pas vivre. Il voudrait enfin pouvoir donner. Il ne sait pas encore quoi, il ne sait pas encore comment. Il sera médecin peut-être, ou infirmier, ingénieur, écrivain. Il construira des ponts ou des romans. Il sera libre. Il est libre déjà : il rêve de donner.
Philippe Delerm
La contribution de Plantu
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