Publié le : 23/09/2013
À l’instigation du roi Mohammed VI, le gouvernement marocain a annoncé la création du statut de demandeur d’asile et des garanties juridiques pour respecter les droits des clandestins. Le racisme et la discrimination à l’encontre des immigrés subsahariens sont très ancrés dans la société marocaine.
« Vivre au Maroc, quand tu es noir, c’est l’horreur. Tous les jours, tu te fais insulter, menacer. Mais pour la première fois, le pays en parle vraiment, certains se rendent comptent que la situation n’est pas normale », raconte Ahmed, jeune Sénégalais vivant à Casablanca.
L’annonce, la semaine dernière, par les autorités d’une politique migratoire plus juste n’est pas passée inaperçue auprès des « Africains » du royaume. Venus pour étudier, travailler, ou tenter de traverser la Méditerranée, ils seraient environ 20 000 au Maroc, la plupart en situation irrégulière. Un chiffre faible (moins de 0,1 % de la population marocaine), mais en augmentation.
Eili, 32 ans, est arrivé de Dakar il y a un an, enthousiaste à l’idée de commencer une nouvelle vie et de réussir enfin à subvenir aux besoins de sa famille restée au Sénégal. Mais comme beaucoup d’autres, il a été déçu.
« Des amis m’avaient conseillé le Maroc, témoigne-t-il. Ils m’avaient dit qu’on y trouvait plus de boulot que chez nous, mais aussi une meilleure vie, un peu comme en Europe. J’ai très vite été embauché dans un centre d’appels. Mais jamais je n’aurais imaginé que je serais aussi mal accueilli. Même en vendant trois fois plus de contrats que certains de mes collègues marocains, je n’ai eu aucune promotion. Dans le bus, dans la rue, partout, je sens des regards hostiles. Même pour mon appartement, je paie beaucoup plus cher qu’un Marocain. »
« Nous voulons être traités comme des êtres humains »
En l’espace de quelques mois, plusieurs ONG et médias ont dénoncé les conditions de vie désastreuses des migrants. Des photos d’affichettes « Interdit de louer aux Africains » placardées dans des immeubles casablancais ont circulé sur les réseaux sociaux en juillet.
Au même moment, l’Association marocaine des droits humains dénonçait des violences et mauvais traitements lors d’opérations massives de reconduite à la frontière. « Un ami a été ramassé près de Tanger, raconte Vincent (1), étudiant congolais. Les policiers l’ont emmené à Oujda, à la frontière avec l’Algérie. Là, ils l’ont abandonné au milieu de nulle part, il aurait pu mourir de soif. À la limite, je comprends qu’ils renvoient les clandestins, mais nous voulons être traités comme des êtres humains. »
La semaine dernière, au moment où le comité de l’ONU sur les travailleurs migrants évoquait la situation préoccupante des étrangers au Maroc, un rapport du Comité national des droits de l’homme (CNDH) préconisait à son tour un changement de cap en matière de politique migratoire.
Le roi Mohammed VI prenait alors position officiellement sur la question en affirmant que cette problématique, « objet de préoccupations légitimes », devait désormais être approchée « de manière globale et humaniste ».
Le communiqué du Palais précisait néanmoins qu’il n’y avait pas « d’usage systématique de violence de la part des forces de l’ordre » et que le Maroc « ne saurait accueillir tous les migrants qui souhaitent s’y installer ».
850 régularisations prévues par le HCR
Dans la foulée, le gouvernement a annoncé la régularisation de 850 personnes reconnues comme réfugiés politiques par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), la création d’un statut de demandeur d’asile, l’examen au cas par cas de certaines catégories d’étrangers en situation irrégulière, et l’instauration d’un cadre juridique permettant un meilleur respect des droits des clandestins.
Des responsables de l’ONU, de l’Union européenne et de plusieurs pays européens (dont la France) ont salué cette évolution. Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a formé le vœu qu’« une fois mises en œuvre, ces mesures feront progresser la protection des droits de tous les migrants (…) au Maroc ».
« Quand on a entendu ça, on a fait la fête ! », s’enthousiasme Eili. Les associations de soutien aux migrants attendent quant à elles des évolutions concrètes. Samedi dernier, une centaine de militants ont scandé « Nous sommes tous des Africains », en français et en arabe devant le Parlement à Rabat, sous l’œil intrigué des passants.
« Le racisme n’est pas une opinion », rappelle Hicham Rachidi, secrétaire général du Groupe antiraciste d’accompagnement et de défense des étrangers et migrants (Gadem), qui espère que le Maroc se dotera d’une loi antiraciste. Pour lui, les choses bougeront vraiment « lorsque les Marocains seront nombreux à nous soutenir ».
La Croix, le 20/09/2013