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Publié le : 17/04/2013
Le partenariat pour la mobilité. Ce terme, censé être la clé de voûte de la nouvelle politique européenne de voisinage, est diplomatique, courtois et reflète même une certaine souplesse. Il est pourtant loin d’ occulter les malentendus et les confrontations aiguës caractérisant le passé et le présent des relations tuniso-européennes en matière de migration. C’est ce qu’ont clairement expliqué plusieurs activistes des sociétés civiles tunisienne et européenne réunis hier à l’initiative du Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme.
Invités à analyser l’accord–cadre sur le partenariat privilégié Tunisie–Union européenne (2013-2017), à travers le prisme de la migration, les activistes luttant pour la cause des migrants et des refugiés ont en effet émis maintes réserves et objections.
Des constatations préliminaires sur la forme ont fait douter Marie Martin, membre de l’organisation Statewatch, chargée des politiques européennes migratoires, de la bonne foi de l’Union européenne. Non seulement la migration se trouve, comme toujours, collée à la sécurité, reflétant ainsi l’obsession sécuritaire des Européens, mais le document magistral qui détaille en 50 pages le partenariat privilégié ne mentionne nulle part les droits des migrants.
La Méditerranée a pourtant été la tombe de quelque 20 mille migrants depuis 1988. En Tunisie, la dernière catastrophe médiatisée en date remonte à septembre dernier lorsque des dizaines de jeunes Tunisiens ont péri, à la suite du naufrage de leur embarcation, au large de l’île de Lampedusa. Malgré les longs discours sur les partenariats amicaux et les étroites relations bilatérales, les familles des migrants disparus en mer n’ont cessé de dénoncer le dédain des autorités italiennes et tunisiennes. La réalité, voire la fatalité, du terrain, pèse ainsi sur ce nouveau partenariat pour la mobilité et compromet d’emblée sa viabilité.
Le projet porte en lui-même les germes de l‘échec. Les négociations sur le partenariat pour la mobilité, lancées en octobre 2011, s’apparentent plutôt à des négociations sur une affaire déséquilibrée. En vertu de ce partenariat, l’Union Européenne proposerait à la Tunisie une facilitation des formalités d’octroi de visas de court séjour et d’accès à de nouveaux canaux de migration de travail répondant aux besoins sélectifs des Européens. En contrepartie de cette offre européenne « maigre », la Tunisie devrait s’engager « réellement » sur la « gestion intégrée » des frontières, des flux migratoires et la réadmission des migrants en situation irrégulière provenant et/ou supposés avoir transité par la Tunisie – incluant ceux de pays tiers.
Rien qu’en apportant quelques explications, Nicanor Haon, membre du Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux (FTDES), a mis à nu les faiblesses du projet. D’abord, le cadre du partenariat n’est pas clair. Il s’agit même d’une multiplication de cadres de travail : ceux des gouvernements européens, du Conseil de l’Europe, des 5+5, ou encore des agences onusiennes.
Pour ce qui est des droits des réfugiés et des « migrants irréguliers », la Tunisie présente un cadre juridique défaillant. Non seulement les autorités incriminent-elles l’émigration irrégulière, contrairement au Pacte international des Nations unies sur les droits civils et politiques, pourtant signé par la Tunisie, pis encore, aucune législation nationale ne protège les réfugiés se trouvant sur nos territoires. Le calvaire actuel des réfugiés du camp de Choucha en est une illustration.
Outre ces exigences de réformes juridiques, la partie européenne exige de la Tunisie une « gestion intégrée des frontières ». Ce diktat auquel l’UE tient beaucoup imposerait aux forces de sécurité et de renseignement tunisiennes de collaborer avec l’Agence Frontex, le bras armé de l’Union en matière de politique migratoire. Créée en 2005, l’agence a vu son rôle et son budget augmenter au fil des années. En 2012, elle a bénéficié de 118 millions d’euros de fonds, en plus des dispositifs modernes mis à sa disposition par les Etats membres. Des centaines de navires, des dizaines d’hélicoptères et d’avions légers, des radars mobiles, des détecteurs de battements de cœur, des caméras thermiques, des drones. Tous les moyens sont bons pour optimiser la chasse aux migrants. Les droits des envahisseurs refoulés, capturés ou expulsés, n’importeraient que peu pour l’agence qui fait déjà objet de plusieurs critiques de la part des activistes des droits de l’Homme. Ceux-ci rapportent des violations, des cas de tortures et de maltraitance et des pratiques humiliantes. D’où l’objection de la société civile tunisienne à intégrer ce système. Pour Kacem Afaia, syndicaliste de l’UGTT, il est hors de question que la Tunisie continue à approuver et à cautionner ce système. « Nous refusons que la Tunisie joue le rôle de garde-côte de l’Europe ! », a-t-il asséné non sans indignation.
Répugnés ainsi par les clauses du partenariat pour la mobilité, les activistes ont assuré que l’accord n’était pas « une fatalité » et que la Tunisie n’est pas obligée de s’y soumettre. Ils ont de ce fait évoqué l’exemple du Sénégal qui a refusé ce partenariat. Ils ont toutefois peiné à convaincre le représentant du gouvernement. Khalil Laamiri, le secrétaire de l’Etat à la Migration s’est, en effet, dit « réaliste ». Reconnaissant tout de même le déséquilibre du rapport de force entre la Tunisie et le Vieux continent et l’approche « trop sécuritaire » de l’UE, il a insisté sur la primauté des intérêts économiques, politiques et diplomatiques bilatéraux. Pour lui, les négociations continueront donc d’aller bon train.
Les vives objections des activistes et la franche supplication émise par l’universitaire et experte allemande Gisela Baulgratz-Gangl pour ne pas signer le partenariat pour la mobilité vont-ils infléchir le cours des pourparlers engagés ?
L'Economiste maghrébin, le 17/04/2013