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Publié le : 31/05/2013
La Bibliothèque nationale de Tunisie a abrité hier les travaux d’un colloque sur les conditions des migrants tunisiens de par leurs droits, leurs aspirations et leur accès et contribution au développement. Ont pris part à cette rencontre des responsables représentant le Centre Robert Schuman de l’Institut universitaire européen, l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, ainsi que le Centre de Tunis pour la migration et l’asile. L’objectif étant de décortiquer le dossier de la migration de par ses défaillances juridiques, politiques et socioéconomiques établies d’ailleurs à la suite d’un ensemble de paradigmes bilatéraux et multilatéraux, conclus entre la Tunisie et les pays d’accueil, et d’essayer de trouver les grands traits d’une vision nouvelle, susceptible de répondre au mieux aux besoins des migrants et de garantir un certain seuil de réciprocité voire un certain équilibre entre les pays de l’émigration et ceux de l’immigration.
Dans son allocution, M. Houcine Jaziri, secrétaire d’Etat chargé de l’émigration et des Tunisiens à l’étranger, a avoué, d’emblée, que la Tunisie ne dispose pas de stratégie migratoire et que les efforts se conjuguent, désormais, afin de remédier à cette lacune de fond. Aussi, des accords bilatéraux en la matière sont-ils, actuellement, en phase d’étude. «Nous nous apprêtons à peaufiner l’accord avec la Suisse. Nous avons également reçu un autre projet d’accord avec l’Italie; lequel projet nous semble être inapproprié à nos aspirations car trop oppressant du point de vue sécuritaire. Rappelons que l’objectif principal consiste à créer un espace migratoire en commun entre la Tunisie et l’Europe fondé sur le respect du principe de la réciprocité et de l’équilibre en matière de mobilité des migrants», a indiqué M. Jaziri. D’autant plus qu’un Observatoire national pour la migration est actuellement en phase d’élaboration.
S’appuyant sur les indicateurs les plus récents, le secrétaire d’Etat a démontré que le phénomène de la migration vers l’Occident, et vers l’Europe en particulier, connaît depuis ces deux dernières années des changements notables. L’augmentation du nombre des retours des migrants tunisiens dénote — explique-t-il — de la volonté confirmée des Tunisiens à l’étranger de contribuer à la réédification de la Tunisie. En effet, en 2010, le nombre des Tunisiens de retour au pays était de 180 mille. Il avait atteint, en 2011, un million de Tunisiens. En 2012, il était de 1.048.000 Tunisiens. Pour ce qui est des investisseurs qui se sont installés en Tunisie, leur nombre a carrément doublé entre 2010 et 2012 puisqu’il est passé de 600 à 1200 investisseurs. De même pour le transfert d’argent: en 2012, l’on a enregistré quelque 3500 MD contre 2900 MD en 2010.
M. Jaziri a également souligné l’importance du niveau d’instruction des migrants tunisiens puisque 60% d’entre-eux sont des diplômés de l’enseignement supérieur.
Certes, mais en dépit de ces indicateurs qui ne dévoilent pas pour autant les véritables raisons de ce retour en hausse, la politique migratoire demeure prise entre l’enclume des attentes et aspirations encore inassouvies des migrants et des pays d’émigration dont la Tunisie et le marteau d’une politique multilatérale clairement inéquitable.
Prenant la parole à son tour, M. Jean-Pierre Cassarino, responsable à l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, a expliqué les étapes franchies par la Tunisie vers l’ancrage progressif d’une politique migratoire multilatérale fondée sur le déséquilibre en matière de réciprocité. Il a fait remarquer que le théorique ne rime malheureusement pas avec le pratique. Le consensus de l’Agenda international de gestion de la migration auquel ont adhéré bon nombre de pays sud-méditerranéens — dont la Tunisie — n’a fait qu’enfoncer le clou du déséquilibre entre les deux rives de la Méditerranée. En effet, s’impliquer dans la lutte contre la migration clandestine et repenser la migration du point de vue développement consolide la politique européenne au détriment de celle, sud-méditerranéenne. Aussi, les droits des migrants ainsi que leurs aspirations en matière d’insertion en bonne et due forme dans les pays d’accueil s’avèrent-t-ils être relégués au énième plan, car devancés par d’autres priorités comme la sécurité. «Aujourd’hui, l’UE propose d’ailleurs une mobilité temporaire pour les migrants; une approche qui contrecarre les droits des migrants les plus absolus comme le droit à la liberté d’association, le droit au traitement salarial, l’accès à un emploi, l’accès à un logement décent, le droit à la promotion sociale, mais aussi le droit au regroupement familial», a souligné M. Cassarino. Et d’ajouter que les Etats se veulent plus regardants sur le problème de la réinsertion des migrants dans leurs pays d’origine, quitte à user d’un retour imposé, déguisé en un retour volontaire de fin de migration. «La question du retour volontaire a été fortement critiquée par le Conseil européen à Strasbourg. Les migrants se trouvent souvent acculés à partir. Rares sont les pays occidentaux qui respectent le choix des migrants. De ce fait, le retour volontaire constitue une sorte d’expulsion», a renchéri l’orateur.
«Migrations tunisiennes: l’inséparabilité du social et du politique», tel est l’intitulé de l’intervention de M. Hassen Boubakri, universitaire. L’idée étant de comprendre l’influence de l’évolution migratoire sur le politique et de réfléchir sur l’éventuel et nécessaire replacement des droits et des aspirations des migrants au sein de la politique migratoire.
Pour ce, M. Boubakri a relevé certains indicateurs-clefs, permettant de cerner le degré de maturité de la migration tunisienne. Parmi les chiffres les plus marquants, l’orateur a relevé que le flux migratoire suit une augmentation estimée à 50 mille personnes par an. La France se présente comme la première destination des migrants tunisiens. L’affluence des migrants vers la France a augmenté de 71% au bout d’une quinzaine d’années pour atteindre, actuellement, les 700 mille migrants. Elle est suivie par l’Italie avec 180 mille migrants tunisiens. L’Allemagne vient en troisième position avec 83 mille migrants. L’Europe occupe ainsi la place de choix en matière de migration tunisienne. Mesurer l’impact de la migration sur le politique nécessite une prise en considération de plusieurs dynamiques caractérisant la population migrante comme la dynamique démographique, celle socioprofessionnelle, celle sociologique, la dynamique politique ainsi que celle identitaire voire religieuse. M. Boubakri a insisté sur l’impératif de rétablir la confiance entre l’Etat tunisien et la communauté à l’étranger et de renforcer les liens avec les pays d’accueil dans un esprit de réciprocité et d’équilibre en matière de bénéfice.
La Presse de Tunisie, le 30/05/2013