Une tribune initialement publiée sur le site du Monde le 25 novembre 2023
Stop ! Depuis plusieurs années, nous assistons à une offensive politique et médiatique contre la présence de personnes étrangères dans notre pays. Cette offensive est inédite par son ampleur et sa violence, et vient, en multipliant les amalgames et les représentations fantasmées, nourrir le racisme et la xénophobie, tout en divisant dangereusement notre société.
Un nouveau palier a été franchi avec l’introduction du projet de loi pour contrôler l’immigration en séance publique au Sénat. De manière totalement décomplexée, les sénateurs Les Républicains [LR] ont multiplié les outrances et les propos caricaturaux sur l’immigration et les exilés. Et ce avec la caution parfois active du gouvernement.
La plupart des amendements votés au Sénat ne visent qu’à exclure et à rendre encore plus difficile le parcours des personnes immigrées sur le territoire, en les considérant illégitimes par nature. Ainsi, les mêmes responsables politiques qui dénoncent l’absence d’intégration des personnes migrantes sont ceux qui mettent tout en œuvre pour l’empêcher, par une batterie de mesures régressives plus stupéfiantes les unes que les autres : en durcissant les conditions d’accès à un titre de séjour ; en supprimant l’aide médicale d’Etat, rendant encore plus difficile l’accès aux soins de première nécessité des étrangers en situation irrégulière ; en rendant quasi inopérant le dispositif de régularisation par le travail ; en supprimant le droit aux prestations familiales, à l’allocation personnalisée d’autonomie, à plusieurs prestations concernant les personnes en situation de handicap ou le droit au logement opposable pour les étrangers résidant en France depuis moins de cinq ans (contre six mois aujourd’hui) ; en rétablissant le délit de séjour irrégulier ou encore en supprimant l’automaticité de l’acquisition de la nationalité à 18 ans pour les personnes nées en France de parents étrangers.
Aux amendements du groupe LR s’ajoutent ceux du gouvernement, qui a glissé dans le texte des mesures brutales non prévues dans le projet de loi initial. Ils constituent d’importants reculs pour le droit des étrangers et le droit d’asile : rétention administrative des demandeurs d’asile, restriction du champ de la réunification familiale pour les bénéficiaires d’une protection internationale, recul de l’intervention du juge des libertés à quatre jours (au lieu de deux) pour les personnes en rétention et limitation des possibilités de libération…
Les frontières de l’inacceptable
Soulignons que de nombreux autres sénateurs, mais de fait minoritaires, ont tenté malgré tout de sauver ce qui peut l’être en portant un discours raisonnable et humaniste. Nous leur en savons gré.
Reste néanmoins le bruit de fond assourdissant de discours et de mots qui franchissent les frontières de l’inacceptable tant ils bafouent les valeurs de la République. Des valeurs que les sénateurs LR sont pourtant très prompts à mettre en avant quand il s’agit des étrangers.
Nous ne sommes plus dans le débat d’idées quand les digues et les consensus politiques et sociaux qui permettent un minimum de cohésion sociale et d’humanité sautent les uns après les autres. Récemment, les autorités françaises ont cherché à interdire les distributions alimentaires de rue dont bénéficient en grande majorité des personnes exilées dans le nord de Paris. Jusqu’où irons-nous ?
Cette semaine de débat au Sénat dit beaucoup de l’état de notre démocratie, alors même que les citoyens aspirent à davantage de cohésion sociale et d’apaisement. Nous ne sortirons pas indemnes de cette séquence qui pourrait avoir des conséquences dramatiques sur notre société tout entière si nous ne mettons pas un terme à ces dérives.
Nous, acteurs de la société civile membres du Pacte du pouvoir de vivre, sommes unis depuis près de cinq ans autour d’un socle de valeurs communes. Ces valeurs de justice sociale, d’égalité, de solidarité et de fraternité fondent notre République et charpentent nos engagements respectifs. Elles devraient également guider l’action de la représentation nationale.
Aussi, nous appelons au sursaut collectif avant le passage du projet de loi à l’Assemblée nationale [à partir du 11 décembre].
Nous demandons au gouvernement, à sa majorité, et à l’ensemble des parlementaires qui se reconnaissent dans les valeurs républicaines, de faire stopper ces dérives et de donner le cap pour construire les bases d’une société apaisée et fraternelle.
Premiers signataires : Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de la solidarité ; Fanélie Carrey-Conte, déléguée générale de la Cimade ; Cécile Duflot, déléguée générale d’Oxfam France ; Marie-Aleth Grard, présidente d’ATD Quart Monde ; Amandine Lebreton, directrice du Pacte du pouvoir de vivre ; Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT ; Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre ; Najat Vallaud-Belkacem, présidente de France terre d’asile. Retrouvez ici la liste complète des organisations signataires.