Retrouvez notre page de décryptage du projet de loi asile et immigration
Une tribune initialement publiée sur le site de La Tribune Dimanche le 26 novembre 2023
Par Jean-Marc Borello (fondateur et président du directoire du Groupe SOS), Jean-François Carenco (président de l'association Coallia, ancien ministre), Pierre Coppey (président de l'association Aurore) et Najat Vallaud-Belkacem (présidente de l’association France terre d’asile).
Demain s'ouvre à l'Assemblée nationale, en commission des lois, l'examen du projet de loi asile et immigration tel qu'il est sorti du Sénat.
Nous, présidents d'associations engagées auprès des plus démunis, souhaitons aujourd'hui alerter solennellement les députés sur l'importance du débat qui s'ouvre devant eux. Car ce texte pourrait, s'il n'était pas profondément remanié, redéfinir notre pacte social et nuire, par son aveuglément, à toute notre société, à son économie, à son rayonnement.
Notre propos n'est pas de nous prononcer sur la politique migratoire en tant que telle : c'est le rôle de la représentation nationale, et à travers elle de l'État, de s'interroger sur le degré d'ouverture du pays et de réguler l'immigration économique en fonction des défis que le pays doit relever à court et moyen termes. Mais c'est aussi son rôle de s'interroger sur la place de la France dans le monde, et de garantir l'existence d'une société juste et fraternelle. Or, en attisant les peurs, les rejets, voire la haine de l'autre, on ne prépare pas l'avenir d'une société, on la referme sur elle-même et on prépare son déclin.
Nos associations ont accompagné de nombreuses personnes en exil dans leur intégration. Toutes font part d'un parcours migratoire traumatisant, où la torture, le viol, le vol et le risque de noyade sont omniprésents. Le choix de quitter son pays et sa famille est d'abord un non-choix. Ne laissons pas battre en brèche la fraternité républicaine au nom de la théorie plus fantasmée que démontrée de l'appel d'air.
Ne laissons pas penser que c'est en rendant la vie impossible aux migrants que nous dissuaderons les candidats à l'immigration. Au contraire, en accueillant moins bien, en soignant moins bien, en intégrant moins bien, on ne fera qu'augmenter la précarité et toutes ses conséquences déjà visibles. Les campements de sans-abri qui se développent dans nos villes font beaucoup plus de mal à notre capacité à vivre ensemble et à notre cohésion sociale que la régularisation de travailleurs étrangers devenus indispensables au fonctionnement de pans entiers de notre économie.
Car nous le savons tous et l'observons bien : de la restauration aux services à la personne en passant par les métiers du soin, sans travailleurs venus d'ailleurs, tout s'arrête. Les personnes immigrées ne sont pas seulement des bénéficiaires, mais des contributeurs majeurs à notre société. Accepter cela, c'est aussi accepter de permettre aux étrangers de vivre dans des conditions dignes, respectueuses de leurs droits. Confondre la régulation de l'immigration et les conditions de vie et de sécurité des personnes sur le territoire national revient à admettre une forme d'hypocrisie qui n'aboutit qu'à favoriser les réseaux de recel d'identité, voire parfois d'esclavage moderne.
Pour pouvoir prospérer, notre modèle républicain d'intégration, celui qui construit notre société, génération après génération, a besoin d'être porteur d'espoir, pas d'attiser les peurs. Sans quoi c'est une France à deux vitesses que l'on nourrira, qui alimentera toujours davantage la ségrégation sociale et le séparatisme. C'est au contraire à un meilleur modèle d'intégration qu'il faut s'atteler afin que chacun et chacune, quelle que soit son origine, puisse trouver sa place dans la société et y contribuer.
Ces débats font oublier l'essentiel : les étrangers ont toujours participé à la richesse de notre pays, à son dynamisme économique et à son rayonnement culturel. N'oublions pas, à titre d'exemple, que, loin des clichés et des fausses représentations, les étrangers participent à 15 % dans la création d'entreprises en France, dont 11 % de non-Européens. Quant à la culture, elle est irradiée par l'apport des grands écrivains francophones, jusqu'à l'Académie française, sans parler de la peinture ou des arts de la scène.
La diabolisation de l'étranger mine l'humanisme fondateur de nos sociétés et conduira à leur déclin, alors qu'une véritable politique publique d'accueil juste et cohérente - fût-elle restrictive - nous reconnecterait à nos valeurs universelles ou simplement à notre humanité élémentaire. Là est sans doute l'enjeu central des débats qui s'ouvrent.