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« On ne peut pas imaginer une société libre sans les médias. » - Parole à Sadaf Rahimi, journaliste afghane réfugiée en France

Publié le : 03/05/2024

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Cet article est issu de la Lettre de l'asile et de l'intégration, newsletter bimestrielle de France terre d'asile qui propose un éclairage sur des problématiques liées à l'asile et l’intégration en France. Inscrivez-vous pour la recevoir !

À l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, le 3 mai, Sadaf Rahimi, journaliste afghane réfugiée en France, nous a parlé de journalisme, de liberté de la presse mais surtout de son parcours et des obstacles auxquels sont confrontés, comme elle, beaucoup de journalistes exilés.

À 25 ans, Sadaf Rahimi a travaillé en Afghanistan à la fois à la télévision et à la radio, en tant que présentatrice et technicienne pendant quatre ans tout en poursuivant ses études universitaires en journalisme. Poussée par le désir de briser les tabous et d’être une voix pour les femmes, elle a poursuivi cette carrière même après la prise de pouvoir des Talibans en 2021, jusqu’à ce qu’elle soit contrainte de fuir son pays pour la France, en 2022.

Pour Sadaf Rahimi, les médias constituent le « quatrième pilier pour un gouvernement libre » après l’exécutif, le législatif et le judiciaire, car « on ne peut pas imaginer une société libre sans les médias ». Ainsi, elle considère que la mission des journalistes consiste à révéler la vérité et à mettre en lumière les difficultés auxquelles la société est confrontée. C’est grâce à l’accès à l’information, explique-t-elle, que les citoyens comprennent les enjeux des politiques qui les impactent et peuvent prendre des décisions éclairées sur la gouvernance de leur pays.

Ce sont ces convictions qui l’ont encouragée à continuer son métier après la prise de pouvoir des Talibans il y a maintenant trois ans. Forcée à abandonner sa formation universitaire en journalisme après le départ de ses professeures et l’interdiction des cours du soir pour les femmes, elle a néanmoins continué à exercer en tant que présentatrice à la télévision. Cependant, les restrictions successives imposées par les Talibans ont rendu son travail de plus en plus difficile. Obligations vestimentaires, censure, interdiction de la mixité dans les programmes… « Tous les médias étaient sous le contrôle des Talibans. Si tu disais quelque chose et qu’ils n’étaient pas d’accord, tu pouvais te retrouver en prison ou torturé (…) c’était une lutte d’être journaliste », détaille-t-elle.  Face à la peur croissante d’être persécutée si elle-même ou des invités du programme abordaient des sujets censurés par les Talibans, Sadaf Rahimi a été obligée de quitter son métier et son pays pour pouvoir continuer d’exercer librement, et en sécurité.

 

« Continuer en tant que journaliste en France ce n’est pas facile, parfois c’est impossible »

Pour les personnes exilées, l’insertion professionnelle est le plus souvent un parcours d’obstacles. La jeune femme explique avec regret comment de nombreux journalistes qu’elle connaît ont dû abandonner leur carrière après leur arrivée dans un autre pays. Se trouvant souvent dans des situations de grande précarité, confrontés à l’apprentissage d’une nouvelle langue et faute de valorisation de leurs compétences, la majorité s’oriente vers d’autres emplois moins qualifiés et qui leur permettent de répondre plus rapidement à leurs besoins.  « C’est vraiment dommage de perdre l’expérience et les qualifications de journalistes qui ont dû travailler et persévérer dans des milieux très difficiles », souligne-t-elle. « Ces expériences uniques font des journalistes exilés de très bons professionnels dont les médias français pourraient également bénéficier. »

Face à cette situation, Sadaf Rahimi défend le besoin d’un soutien accru et spécialisé pour les journalistes exilés. Elle plaide pour un accompagnement multidimensionnel permettant de garantir à la fois l’apprentissage de la langue et un accompagnement socio-professionnel, incluant notamment des opportunités de formation et de stage. À ses confrères et consœurs exilés en France, la journaliste enjoint « d’avoir confiance en soi ». Pour elle, il ne faut pas perdre l’espoir de retrouver les mêmes carrières que dans leur pays d'origine, mais « petit à petit ». « N’oubliez pas votre objectif ! » appuie-t-elle.

 

Un futur engagé pour la liberté d’expression dans les médias et le journalisme

Aujourd’hui, Sadaf Rahimi a obtenu un emploi en tant que présentatrice et technicienne pour Begum TV, une chaîne éducative de télévision et de radio à destination des Afghanes, créée par l’ONG Begum Organisation for Women France (BOW). Chaque jour, la chaînediffuse des programmes couvrant l’intégralité du curriculum scolaire afghan en dari et en pachto, afin que les filles en Afghanistan puissent continuer leurs études à domicile. Parallèlement, la jeune femme suit des cours pour améliorer sa maîtrise du français, en vue de continuer ses études universitaires de journalisme axées sur les relations internationales. Son rêve  : poursuivre sa carrière dans le journalisme politique.

A l’heure où plus de 40% des médias afghans ont disparu depuis la prise de pouvoir des Talibans, où 80% des femmes journalistes afghanes se retrouvent sans emploi et où les arrestations arbitraires du personnel de médias se multiplient, Sadaf Rahimi envoie un message de force et d’engagement à la société civile : « Quand vous voyez que les journalistes sont emprisonnés,  torturés il faut résister. On ne peut pas rester silencieux ». Elle encourage les individus à se saisir des réseaux et à manifester pour défendre les droits des journalistes et la liberté de la presse. « Les journalistes travaillent pour le peuple, et c’est pourquoi le peuple doit être leur voix lorsqu’ils n’en ont pas ».