Cet article est issu de la Lettre de l'asile et de l'intégration, newsletter bimestrielle de France terre d'asile qui propose un éclairage sur des problématiques liées à l'asile et l’intégration en France. Inscrivez-vous pour la recevoir !
Alors que le thème de la migration est très présent dans les médias, la visibilité des personnes migrantes reste assez faible. Estelle Ndjandjo, journaliste et porte-parole de l’Association des Journalistes Antiracistes et Racisé·es (AJAR), analyse la place occupée par les migrations dans les débats.
Quelles représentations des personnes migrantes sont dominantes dans les médias de masse ?
La représentation déshumanisante est celle que l’on voit le plus. C'est celle de corps en Méditerranée. Quand les drames migratoires sont repris, c'est en donnant beaucoup de chiffres, sur les morts depuis des années, sur la Méditerranée ou sur Calais. Il y a également une surreprésentation des personnes venant du Sud global, que cela soit du Proche Moyen-Orient, d'Asie ou bien d'Afrique.
Il y a deux manières de percevoir les choses. Il y a la migration régulière, pour beaucoup des étudiants, venant majoritairement d’Afrique, mais aussi des travailleurs, présents en France depuis l’après-guerre, venus pour reconstruire le pays. Et il y a la migration irrégulière, dont la perception est négative dans beaucoup de médias grand public. Les personnes migrantes sont présentées dans des situations extrêmes, lorsqu’elles doivent être sauvées en mer ou être logées en urgence, ou alors dans des discours qui les lient à la délinquance. On remarque un profond manque d’empathie, par exemple de la part de ceux présentant systématiquement les personnes migrantes sous le prisme de la plus-value économique, comme étant une « chance », plutôt que de la plus-value humaine.
Enfin, il y a une sorte de tropisme qui s'est développé ces dernières années, notamment via les portraits que l'on trouve sur Brut ou Konbini, s’intéressant à la personne migrante qui a réussi. C'est souvent l’artisan ou l'apprenti boulanger. C’est un discours très paternaliste du gentil patron qui veut garder « son migrant » parce qu'il travaille bien, sans que les personnes migrantes n’aient forcément la parole. Ce type de représentation renvoie à l’image de personnes qui sont « utiles » et qui s'assimilent, faisant le parallèle avec celles qui ne le seraient pas, parce qu'elles continueraient à avoir leur propre culture.
Pour finir, on a vu une différence de traitement médiatique avec l’arrivée des réfugiés ukrainiens et l’arrivée de ceux venant de Syrie ou d’Afghanistan. Il y a un deux-poids-deux-mesures qui est assez évident.
Quels effets ont ces représentations sur les perceptions de la migration par la population française ?
Le terme de « migrant » est un terme galvaudé aujourd’hui. Quand les médias utilisent « personne migrante », c’est pour désigner une personne qui vient du Sud global, non-blanche et primo-arrivante. C’est une perception totalement biaisée. Cet amalgame est une manière de ne pas nommer les choses. Dans notre association, on est plusieurs à bannir le mot « migrant », parce qu’il est fortement connoté et que, quoi qu'il arrive, qu'il s'agisse d'une émigration économique ou forcée à cause de conflits, c'est un exil. Les sondages indiquant qu’une majorité de Français pensent qu’il y a trop d’étrangers en France, qu’on ne peut pas parler sereinement de l’immigration, se basent sur un sentiment des perceptions xénophobes englobant d'autres personnes de la population française qui sont perçues comme étant étrangères. Les médias deviennent alors un miroir déformant de la réalité, ce qui augmente la xénophobie. Cela nourrit les fantasmes, dans une société où les plus précaires sont évidemment les personnes migrantes, qui sont stigmatisées comme étant des « encombrants ».
Qu’est-ce qui pousse les médias à avoir ces représentations des personnes migrantes ?
La première raison est l'audience. Quand on arrive à nourrir les fantasmes des téléspectateurs, on continue à programmer des émissions avec du clash et des sujets clivants.
Deuxièmement, cela est dû à la reproduction sociale très forte au sein des rédactions des grands médias de journalistes bourgeois, blancs, urbains, qui ne sont pas concernés par ces questions-là. Bien que le fait de la vivre ne rende pas expert d’une situation, la déconnexion des journalistes, leur éloignement de la réalité socio-culturelle et de ces communautés entrainent ce traitement médiatique. Les pressions, notamment économiques, exercées au sein des rédactions sont réelles, ce qui pousse les médias à donner la parole à des pseudo-experts ou à des chroniqueurs en roue libre sur l’immigration.
Que pourrait apporter au débat l’inclusion des voix des personnes migrantes ?
Elles permettraient de sortir des chiffres, d'écouter un discours plus humanisant, d’avoir une meilleure perception de la réalité. C’est un quotidien qui est très banal, mais qui ne colle pas avec le discours sensationnaliste que certains médias recherchent.
Ce que l'on essaie d'encourager au sein de l'AJAR, c'est notamment l'idée de banaliser la présence de personnes racisées, car beaucoup d'amalgames sont faits quand on parle de perception de l’immigration en France. Il faudrait montrer la famille de personnes en situation régulière, qui se préparent pour la rentrée ou Noël, ce qui est de plus en plus fait aujourd’hui. Cela permettrait de sortir de ces personnages qui sont soit censés être extraordinaires pour mériter de rester en France, soit des violeurs en série.
Les nouveaux médias en ligne, présents notamment sur les réseaux sociaux, ont-ils une approche différente de la migration ?
Oui et non. Ces médias ont réussi à personnaliser, du fait du format d’interview courte, des récits que l’on n'entendait pas forcément avant. Les nouveaux médias, comme Brut ou Konbini, apprécient les récits assez forts, visibilisant le discours de personnes qui ont traversé la Méditerranée. Cependant, je leur reproche souvent de retomber dans le tropisme de la personne migrante super-héroïne, celle récompensée pour avoir sauvé un immeuble en feu ou une petite fille coincée au huitième étage en le montant à mains nues. Toujours en renvoyant au fait que ce sont souvent des personnes noires et qu’elles sont surhumaines.
Quelles bonnes pratiques les médias pourraient-ils adopter pour une approche plus inclusive de la migration ?
À l’AJAR, on propose des formations antiracistes aux médias, aux associations, aux structures de la société civile et aux écoles de journalisme, pour former les personnes qui créent l'information à éviter les biais racistes et xénophobes. On a développé une quinzaine de thématiques, dont celle autour des questions migratoires, pour créer un dialogue avec les gens qui créent l'information. On compte également fabriquer un guide antiraciste à destination des journalistes.
Il est aussi important de donner la parole aux personnes concernées, qui seraient plus aptes à parler des routes migratoires, de l'administration, de la répression policière, et d’amener plus de diversités dans les rédactions, pour avoir des regards différents sur la migration.