Cet article est issu de la Lettre de l'asile et de l'intégration, newsletter bimestrielle de France terre d'asile qui propose un éclairage sur des problématiques liées à l'asile et l’intégration en France. Inscrivez-vous pour la recevoir !
Lucile, éducatrice spécialisée, et Valentin, psychologue, font partie de l’équipe mobile en santé mentale de la Fondation OVE à Lyon. L’équipe, qui compte aussi une infirmière et une autre psychologue, va à la rencontre des mineurs isolés étrangers et jeunes en recours de la métropole, sur leurs lieux de vie, pour leur apporter des soins adaptés à leur situation, selon le principe de la libre adhésion. Le projet, débuté en 2022 pour trois ans, a été créé pour répondre aux difficultés d’accès aux soins de mineurs isolés étrangers, de jeunes en recours et de jeunes majeurs.
Quels sont les sujets les plus fréquemment évoqués lors de vos échanges avec les jeunes ?
Valentin : Pour nous, les sujets restent en rapport avec la santé mentale. Les jeunes nous parlent de problématiques psychologiques, de tout ce qui est autour de l’humeur. Ils peuvent parler du passé, allant de l’évocation à un récit plus complet de leur histoire, sur les raisons de leur départ, comment s’est passée la route... Ils et elles peuvent aussi beaucoup évoquer leur famille et proches avec qui, souvent, il y a eu une forme de rupture.
Lucile : Ils peuvent parler des troubles réactionnels à la précarité parce qu’il est vrai que les jeunes en recours sont souvent dans des habitats très précaires. Les jeunes nous font part d’inquiétudes vis-à-vis du futur, sur des questions liées soit à la reconnaissance de minorité, soit à la régularisation quand leur majorité approche. Les questions administratives peuvent être sources de beaucoup de stress.
Valentin : Il y a des choses qui seront abordées beaucoup plus facilement, comme les discussions sur le présent, et en particulier tout ce qui va être lié aux conditions d’accueil ou à la symptomatologie du moment. On essaye de s’écarter d’une situation dans laquelle un jeune se sentirait en droit d’être accompagné par nos services uniquement parce qu’il nous raconterait des événements violents.
Lucile : Notre porte d’entrée est de demander « qu’est-ce qui fait souffrance pour toi maintenant ? ». En général, c’est nous qui ouvrons ensuite le champ des conversations. On parle beaucoup en faisant référence au groupe, en disant qu’il y a plein de jeunes que l’on accompagne sans savoir ce qu’ils ont vécu et que ce n’est pas nécessaire pour notre prise en charge.
En quoi le concept d'« aller-vers » vous semble-t-il essentiel pour répondre aux besoins de santé mentale ?
Valentin : L’aller-vers permet de franchir la distance qu’il peut y avoir avec ces jeunes, notamment à cause d’une méconnaissance de ce qu’est la santé mentale. Quand il y a de la distance, souvent on ne leur parle pas de santé mentale et donc il est plus difficile pour eux de trouver des solutions. Nous, en faisant ce pas en plus, on fait exister ces solutions. On privilégie une approche « non spécialisée » de la santé mentale, distincte de celle des psychologues ou psychiatres, généralement associée à des troubles aigus comme la schizophrénie. Notre démarche, plus psychosociale, s’adresse à des problématiques moins sévères mais courantes dans ce public, souvent liées à la précarité ou à des événements de vie éprouvants.
Lucile : Le fait de faire de l’aller-vers peut aussi lever des blocages administratifs. Parfois dans le public en recours, beaucoup n’ont pas encore ni d’aide médicale de l’État ni de complémentaire santé solidaire. On propose aussi des soins dans un cadre plus informel. Concrètement, on passe nos semaines à faire des permanences sur les lieux de vie ou à boire des cafés avec des jeunes. On n'est pas en blouse, on n'est pas dans un bureau. On a consacré du temps à développer une connaissance approfondie des acteurs qui interviennent auprès de ce public. On est assez bien identifiés au sein du réseau. Grâce à nos liens avec les bénévoles des associations, on garde un contact, même quand il y a des changements de lieux de vie, tant avec les associations qu’avec les jeunes. Cela permet d’adapter nos permanences en conséquence.
Quelles pratiques favorisent le mieux la création d'un lien de confiance avec les jeunes ?
Lucile : Le fait d'avoir identifié des lieux qu’ils fréquentent régulièrement nous permet d'y être présents, de sorte qu'ils peuvent nous avoir déjà vus avant même qu'on nous les signale comme vulnérables. On échange beaucoup par WhatsApp, ce qui favorise le fait de nous percevoir comme des personnes disponibles au moment où un jeune va se sentir à même d'exprimer ce qui le fait souffrir. On essaie d'être le plus clair possible sur la confidentialité dans nos échanges et le plus transparent possible sur notre cadre.
Valentin : Ce qui favorise le lien, c'est qu'on n'incite personne à se livrer sur son histoire. On se concentre vraiment sur ce qui fait souffrir et comment éloigner cette souffrance. Grâce à cette méthode, on donne moins de place au récit qu’il leur est souvent demandé de répéter depuis leur arrivée en France, et souvent remis en question.
Lucile : On part du principe qu'on les croit. Plusieurs fois, lorsqu’un jeune nous raconte qu'il a été torturé et qu'il soulève son t-shirt, on lui dit : « on te croit ce n'est pas la peine ». Il n’y a pas de mensonge sur les ressentis. On leur montre qu'on connaît leur réalité, car je pense qu’on a plus facilement tendance à faire confiance à quelqu'un qui semble nous comprendre.
Comment favorisez-vous la participation des jeunes à l’élaboration de leur parcours de soin ?
Lucile : On fonctionne sur le principe de la libre adhésion. La première rencontre sert à expliquer notre fonctionnement. On dit notamment qu'il n'y a pas d'obligation de se voir et que si les jeunes ne viennent pas un jour ce n'est pas grave et que l’on proposera un prochain rendez-vous. On a aussi accès assez facilement à de l'interprétariat.
Valentin : On va co-créer cet accompagnement entre eux et nous. C'est une négociation sur la temporalité, sur le rythme. On donne aussi des techniques de respiration et on peut faire des ateliers sportifs. On représente l'adulte, mais aussi un peu le sachant, et ça peut être aidant pour ceux qui ont du mal à participer, à trouver leurs propres solutions.
Lucile : Beaucoup nous disent : « c’est comme vous voulez » quand on leur demande s’ils veulent nous revoir la semaine prochaine.
Valentin : Lorsque d'autres professionnels de santé accompagnent les jeunes en parallèle de notre suivi, on leur permet de réfléchir à leur parcours avec nous et on sait ainsi vers qui orienter les jeunes. On leur donne le choix : « On pense que des services plus contenants seraient bénéfiques. Qu'est-ce que tu en penses ? Je peux te montrer le flyer ». S'ils acceptent, on les accompagne.
Lucile : Le fait d'accompagner physiquement permet une passation de lien de confiance et évite la rupture. Quand ce sont des médecins ou des psychologues qu'on ne connaît pas, il y a tout un travail de médiation pour expliquer quelle est la réalité du jeune.
Quel rôle joue la culture dans votre approche de la santé mentale ?
Lucile : On propose des soins psychosociaux en prenant en compte de manière permanente la culture. On demande quelles sont les représentations du jeune par rapport aux soins et à la santé mentale. On essaye d’utiliser des mots qu’il connaît. On dit rarement le mot santé mentale qui est vite relié à « malade mental ». On dirait plutôt : « Comment tu vas au niveau du moral ? », et on utilise des mots comme « l'esprit ».
Valentin : On est en contact avec l’Orspere-Samdarra, qui fait une recherche-action sur notre équipe, et nous propose des formations en psychologie transculturelle, qui permet de faire exister le soin à travers l’écoute de la culture de l'autre et l’explicitation de sa propre culture.