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Lutte contre la traite des êtres humains : les mineurs isolés étrangers sont-ils protégés ?

Publié le : 18/11/2024

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© Laëtitia Lesaffre

Cet article est issu de la Lettre de l'asile et de l'intégration, newsletter bimestrielle de France terre d'asile qui propose un éclairage sur des problématiques liées à l'asile et l’intégration en France. Inscrivez-vous pour la recevoir !

Les mineurs isolés étrangers sont particulièrement touchés par la traite des êtres humains (TEH), notamment sous la forme de la contrainte à commettre des crimes et des délits. Les associations demandent plus d’action de la part des pouvoirs publics pour la prévention, l’identification et la protection de ces jeunes.

Janvier 2024, Tribunal correctionnel de Paris. Douze mineurs isolés étrangers sont reconnus victimes de traite des êtres humains. Drogués, ils étaient contraints à voler les hommes et femmes passant sur l’esplanade du Trocadéro à Paris. Ces enfants étaient pris dans une « logique d’asservissement sous soumission chimique », mal connue de la justice et des services de police. Grâce à l’association Hors la rue, qui a fait part de ses observations sur ces vols à la police, c’est la première fois que l’ensemble d’un réseau de traite a pu être condamné. La contrainte à commettre des crimes et des délits est le type d’exploitation qui concerne le plus les mineurs isolés étrangers (62% des mineurs isolés accompagnés par les associations en sont victimes), mais ce n’est pas le seul. L’exploitation sexuelle concerne 24% des mineurs identifiés comme victimes de traite accompagnées par des associations, en majorité des filles, bien qu’il soit difficile d’avoir des chiffres représentatifs de la réalité, en raison du manque de données sur ce phénomène.

 

« Ce ne sont pas des délinquants, mais des victimes »

L’emprise exercée sur un mineur, qu’elle soit chimique, émotionnelle, ou liée à de la violence physique, est un des critères qui permet de caractériser une situation de traite dans laquelle un jeune n’agirait pas de son plein gré. Les mineurs isolés étrangers sont tout particulièrement ciblés par les réseaux de traite : plus vulnérables que les adultes isolés et donc plus faciles à atteindre et à recruter, ils risquent aussi des sanctions pénales moins lourdes. C’est notamment le cas des mineurs contraints à voler, par exemple dans les transports en commun. Recrutés dans leur pays d’origine et envoyés en France avec des promesses de travail et d’intégration, ou recrutés en France, notamment dans les établissements de protection de l’enfance, ils se voient contraints à rembourser des dettes liées au transport, au logement ou à diverses démarches administratives, à leurs exploiteurs.

L’isolement par la société, l’abus d’autorité, la dépendance affective et matérielle, les violences, physiques, sexuelles ou psychologiques, mais aussi la désinformation par et la crainte de se tourner vers les associations ou les autorités qu’elle engendre rendent les personnes dépendantes et vulnérables. Des mécanismes tels que la dévalorisation, l’inversion de la culpabilité et l’impunité permettent aux exploiteurs de construire leur emprise. De leur côté, les mineurs isolés étrangers sont d’autant plus vulnérables qu’ils ont souvent été dépossédés de leurs repères familiaux. Le groupe qui les exploite peut alors aussi être le groupe qui les protège, et conduire ainsi à leur isolement du reste de la société. Alors que les jeunes garçons et les jeunes filles sont menacés et mis sous pression pour rembourser leur dette, ils et elles peuvent partager ce sentiment paradoxal d’une famille retrouvée, ce qui explique parfois aussi leur maintien dans l’organisation. L’emprise peut aussi s’expliquer par la délivrance de psychotropes, substances chimiques qui rendent dépendantes les personnes les consommant. Le procès du Trocadéro a mis en évidence le rôle de ces produits dans l’emprise sur les mineurs, en qualifiant leur délivrance comme faisant partie du processus de recrutement.

 

« La traite des êtres humains est difficile à déceler »

L’identification des victimes de traite constitue le nœud du problème pour les professionnels de terrain et l’État, et requiert la coopération de l’ensemble des acteurs. Aujourd’hui en France, aucun mécanisme d’identification et d’orientation des victimes de traite n’a été mis en place, bien que cela soit exigé par la Convention du Conseil de l’Europe sur la traite des êtres humains, ratifiée par la France, et prévu par les plans d’actions nationaux successifs sur ces dernières années. Le troisième plan d’action national (2024-2027) prévoit la création de ce mécanisme d’identification, d’orientation et de protection comme un de ses axes principaux et des travaux en ce sens ont été lancés par la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof).

L’identification formelle est seulement possible par la police et la gendarmerie, et les victimes sont, en général, repérées lors de maraudes ou de rondes de police, ou orientées vers les services des forces de l’ordre par les associations qui les auront pré-identifiées. Face à une victime mineure, un citoyen a l’obligation de signaler la situation, qu’il ait des soupçons ou que l’information soit avérée. Lorsqu’il existe un soupçon d’exploitation, l’alerte doit être faite auprès de la Cellule de recueil des informations préoccupantes, qui dépend de la protection de l’enfance et agit à l’échelle départementale. Lorsque l’exploitation est avérée, ou fortement soupçonnée, l’autorité judiciaire doit en être informée, soit le Parquet des mineurs, soit le juge des enfants. Cependant, certains mineurs échappent au repérage, notamment lorsqu’elles sont victimes de formes d’exploitation peu identifiées comme la mendicité forcée, ou lorsqu’elles ne sont pas accompagnées par des services susceptibles de donner l’alerte.

Face au manque de moyens financiers et de formation, les associations tentent d’accompagner au mieux les victimes qu’elles repèrent. En 2023, 6 022 personnes victimes de traite ont été repérées et 4 160 ont été accompagnées par des associations, selon l’enquête de la Miprof et le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI). Ces chiffres sous-estiment toutefois fortement la réalité, car toutes les associations susceptibles d’accompagner des victimes ne participent à cette enquête, et celle-ci ne prend en compte que les victimes repérées et accompagnées par les associations.

 

Une infraction complexe et mal connue

Le cadre légal dans lequel s’inscrit l’exploitation des êtres humains en France a beaucoup évolué depuis 20 ans. En 2003, une première loi introduit dans le code pénal une définition et des sanctions associées à la traite des êtres humains, sans être toutefois conforme au protocole de Palerme adopté 3 ans plus tôt. La condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) en 2005 pour violation de l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme a déclenché une lente prise de conscience de la gravité des enjeux. Elle a permis une évolution de la loi, en 2007 puis en 2013, suite à une nouvelle condamnation de la CEDH. La loi de 2013 prévoit jusqu’à 7 ans d’emprisonnement et 150 000€ d’amende lorsque la victime est majeure, 10 ans d’emprisonnement et 1 500 000 euros d’amende lorsque la victime est mineure.

L’Union européenne a récemment révisé ses règles de lutte contre la traite, en y incluant le mariage forcé : la France, qui ne le considérait pas comme une forme de traite devra faire évoluer son cadre législatif en conséquence. La Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH), qui est depuis 2014 rapporteur national indépendant sur la lutte contre l’exploitation et la traite des êtres humains, a également encouragé le gouvernement français à mettre en place une politique publique beaucoup plus volontariste de lutte contre la traite, estimant qu’elle reste aujourd’hui largement insuffisante. En 2023, seules 3 des 44 mesures du deuxième plan national de lutte contre la traite (2019-2021) avaient été mises en place.

Ce défaut de pilotage de la part des pouvoirs publics se traduit également par un manque d’investissements financiers, qui empêche l’adaptation nécessaire des services de police et de justice. Le besoin de formation des professionnels face à ce phénomène protéiforme et complexe est important, afin de permettre une meilleure identification des situations de traite et une meilleure protection des victimes. L’enjeu est d’autant plus important pour les mineurs, qui sont particulièrement vulnérables et ne se considèrent pas nécessairement comme victimes. Une adaptation des moyens et de la formation est d’ailleurs exigée par la directive européenne de lutte contre la traite, et prévue par le plan national 2024-2027.

 

« Cette problématique est au carrefour de plein d’institutions »

Une meilleure articulation entre politique de lutte contre la traite et politique migratoire est également nécessaire, le cadre actuel ne permettant pas un accompagnement digne des personnes étrangères victimes de traite. La précarité administrative liée à une rupture de séjour et de droits et à l’éventuelle délivrance d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) peut entraîner des personnes soudainement sans ressources dans des situations d’exploitation. Les jeunes majeurs pris en charge par l’aide sociale à l’enfance qui feraient l’objet d’une OQTF et perdraient leur contrat jeune majeur sont notamment à risque.

Les difficultés liées à l’identification et l’accompagnement de personnes victimes de traite sont par ailleurs souvent doublées de difficultés à faire protéger les victimes.  Face aux obstacles que rencontrent les victimes pour obtenir certaines pièces exigées par la procédure auprès des préfectures, ou pour obtenir un titre de séjour provisoire lorsqu’elles ont porté plainte, certains acteurs demandent à ce qu’une spécialisation sur les dossiers de traite des êtres humains soit mise en place au sein des préfectures. La coopération est primordiale pour accompagner le mieux possible les personnes victimes de traite, et constitue une obligation pour les États membres de l’Union européenne qui doivent, selon la directive de 2024, « veiller à la coordination entre les autorités chargées de l’asile et celles de la lutte contre la traite […]. ». La France, qui prévoit la mise en place d’un mécanisme national d’identification, d’orientation et de protection (MNIOP) des victimes entre 2024 et 2027, a deux ans pour transposer cette mesure européenne en droit national.

France terre d’asile est partenaire du projet européen E.V.A. (Early identification and protection of Victims of trafficking in border Areas) qui a pour objectif de renforcer l’identification précoce et l’accès à la protection des victimes de la traite des êtres humains, particulièrement les mineurs et mineures et les jeunes femmes, avec ou sans enfants, actuellement victimes de traite ou survivantes de la traite et à risque d’être ré-exploitées. Dans ce cadre, les professionnels de nos établissements ont été formés pour mieux repérer et accompagner les victimes de la traite, avec le concours de la Mist, autre partenaire du projet, et spécialisée sur ces questions. Une expérimentation est actuellement en cours au sein du service d’évaluation pour mineurs non accompagnés et mineures non accompagnées de Paris afin de renforcer le dispositif de repérage des victimes de la traite et de proposer un accompagnement ou une orientation adaptée le plus tôt possible. Pour en savoir plus sur les actions mises en œuvre par France terre d’asile en matière de lutte contre la traite des êtres humains, consultez la page de notre site dédiée.