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Loi asile et immigration : que disent les décrets ?

Publié le : 09/08/2024

© Christoph Schrey

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Cet article est issu de la Lettre de l'asile et de l'intégration, newsletter bimestrielle de France terre d'asile qui propose un éclairage sur des problématiques liées à l'asile et l’intégration en France. Inscrivez-vous pour la recevoir !

Source de multiples débats et d’une forte opposition de la part des acteurs de la société civile, la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, était promulguée en ce début d’année 2024. Six mois plus tard, une série de mesures sont désormais entrées en vigueur suite à la publication de plusieurs décrets d’application. Retour sur les mesures clés de ces décisions et leurs implications pour les personnes exilées.

Le 16 juillet 2024, à quelques heures de sa démission, le gouvernement publiait plusieurs décrets d’application de la « loi immigration ». Ces derniers font suite à une première publication le 14 juillet de deux décrets dans le Journal Officiel concernant la simplification des règles du contentieux administratif et judiciaire et l’organisation et la procédure applicable devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Ces textes viennent guider la mise en œuvre de certaines dispositions prévues par la loi, notamment concernant le contentieux des droits des étrangers, le retrait des conditions matérielles d’accueil (CMA) ainsi que les mesures d’éloignement et de rétention.  

 

Quels changements pour les personnes en demande d’asile ?

Le décret du 5 juillet vient modifier les modalités de refus ou de retrait des CMA par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). Ces conditions d’accueil prévoient l’octroi d’une place d’hébergement dans le dispositif national d’accueil ainsi qu’une allocation financière (ADA) pour les demandeurs d’asile. Le décret facilite les restrictions et retraits de ces CMA, pourtant essentielles à l’accueil des personnes exilées, comme l’avait prévu la loi immigration du 24 janvier qui a rendu obligatoire le refus ou le retrait des CMA dans certaines situations. Ainsi, le refus de l’ADA en cas de réexamen, de demande d’asile tardive (après 90 jours) ou de fraude n’est plus une option mais devient une obligation. De la même manière, l’Ofii devra retirer de plein droit certaines des prestations des CMA pour toute personne ayant fourni « des informations mensongères relatives à son domicile ». En revanche, le décret prévoit que la décision mettant fin aux CMA quand le demandeur d’asile quitte la région d'orientation ou le lieu d'hébergement dans lequel il a été admis et / ou s’il ne respecte pas les exigences des autorités (présentation aux rendez-vous et entretiens ou encore le partage d’informations utiles permettant de faciliter l'instruction des demandes) ne peut être prise que dans des cas exceptionnels et devra prendre en compte la vulnérabilité de la personne et sa « situation particulière ». Le décret supprime l'obligation de recours administratif préalable (RAPO) avant de saisir le juge contre une décision mettant fin aux CMA, car la loi prévoit une procédure d'urgence, avec une saisine du juge sous 7 jours et une décision en 15 jours. Le retrait ou le refus des CMA de plein droit risquent de fragiliser les plus vulnérables, comme les femmes et les personnes LGBTI+, souvent contraintes de demander l’asile tardivement ou de refuser des places dans des structures d’hébergement qui sont inadaptées à leurs besoins.

Au niveau institutionnel, le décret 828 du 16 juillet met en place l’expérimentation, prévue par la loi immigration, des sites « France asile » qui sont appelés à se substituer aux Guichets uniques pour demandeurs d’asile (Guda) en regroupant, en plus des services de la préfecture et de l’Ofii, ceux de l’Ofpra afin de procéder à l’introduction de la demande d’asile le même jour que l’enregistrement ou à une date ultérieure sur convocation. Au sein de ces espaces France asile, l’Ofpra recueillera directement les informations et pièces nécessaires à l’introduction de la demande. Le décret ne précise cependant pas les moyens qui permettront d’assurer la nécessaire confidentialité du recueil des éléments de la demande vis-à-vis des autres services du pôle France asile. Il ne prévoit pas non plus le nombre d’espaces France asile, ni la date de lancement, ni les territoires concernés par cette expérimentation.

Le décret 800 du 8 juillet, quant à lui, restructure la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) en créant cinq chambres territoriales (une à Bordeaux, une à Toulouse, une à Nancy et deux à Lyon) à partir du 1er septembre 2024 compétentes chacune sur de nombreux départements plus ou moins à proximité et dont la liste est fixée par le décret. Les autres départements qui ne sont pas visés par le décret relèveront toujours du siège de la Cour, à Montreuil (la compétence d’une chambre étant déterminée par le domicile du demandeur). Conformément à la loi immigration, la formation en juge unique devient le principe, sauf renvoi devant une formation collégiale si une « question le justifie ».

 

L’éloignement et la rétention, au cœur de la loi immigration

La loi immigration de janvier 2024 a instauré des mesures très restrictives en termes de rétention et d’éloignement. Le recours à ces mesures était déjà considéré comme trop régulier et disproportionné par les acteurs de terrains qui dénoncent les violations répétées des droits des personnes exilées dans ces contextes. La nouvelle loi vient mettre fin aux protections contre les obligations de quitter le territoire français (OQTF) vis-à-vis des étrangers qui disposent de liens intenses et anciens en France et limite drastiquement les protections contre les arrêtés d’expulsion.

La loi immigration avait aussi prévu l’édiction systématique de l’OQTF à l’égard de la personne déboutée du droit d’asile. Le décret d’application en la matière prévoit que cette OQTF sera prise dans un délai de 15 jours à compter de la date à laquelle la préfecture à une connaissance de la fin droit au maintien sur le territoire du demandeur d’asile. Concernant la rétention, la loi immigration a modifié la durée du placement initial, désormais de 4 jours au lieu de 48h depuis la publication du décret. En conséquence, la décision du juge des libertés et de la détention, examinant la légalité de l’enfermement, peut intervenir de façon plus tardive puisqu’il dispose d’un délai de 48h à l’issu de ces 4 jours pour statuer.

Un décret fait application des dispositions de la loi qui prévoit, de façon inédite, un recours à l’assignation à résidence et à la rétention pour deux catégories de demandeurs d’asile : ceux perçus comme « une menace à l’ordre public » ou ceux présentant leur demande devant une autre autorité que le guichet unique (lors d’une interpellation, d’un contrôle d’identité par les forces de l’ordre par exemple). Dans un tel cas de figure, le demandeur dispose de 5 jours pour introduire sa demande d’asile auprès de l’Ofpra qui statue en 96h. En cas de rejet de la demande, une OQTF est prononcée et la rétention se poursuit.

 

Une réforme et une simplification des délais de recours contentieux devant le juge administratif

Sont également entrées en vigueur par un décret les mesures modifiant les délais de recours contentieux devant le juge administratif. La loi réduit à 3 les différents délais de recours qui peuvent s’appliquer : un mois pour toutes les OQTF quel que soit le délai de départ volontaire ou les circonstances dans lesquelles elle est prise (refus de séjour, débouté du droit d’asile, etc.). Le tribunal administratif statue en formation collégiale dans un délai de 6 mois. 7 jours pour les assignations à résidence, les arrêtés de transfert dans le cadre du Règlement « Dublin » et les décisions de l’Ofii mettant fin aux CMA. Le tribunal administratif statue en formation à juge unique dans un délai de 15 jours. 48 heures : pour les mesures d’éloignement accompagnées d’un placement en rétention. Le tribunal administratif statue en formation à juge unique dans un délai de 96 heures.

Ces nouveaux délais de recours concernent les décisions précitées édictées depuis le 15 juillet 2024.

 

Améliorer l’intégration ? Des termes et exigences supplémentaires à respecter

Présentée comme un des objectifs de la nouvelle loi sur l’immigration, l’amélioration de l’intégration des personnes étrangères se traduit par une série de principes et mesures supplémentaires à respecter. Ainsi, le décret du 8 juillet marque l’entrée en vigueur du contrat « d’engagement au respect des principes de la République » qui doit être signé par toute personne étrangère sollicitant un titre de séjour. Ce dernier engage l'individu à respecter sept engagements, parmi lesquels figurent le respect de la liberté de conscience et d’expression, de l’égalité ou encore de la devise et des symboles de la République et de la laïcité. Cette mesure vient s’ajouter au contrat d’intégration républicaine (CIR) qui impose déjà un nombre de prestations ayant pour objectif l’apprentissage de la langue française ainsi que l’intégration professionnelle et l’accès à l’autonomie. Contrairement au CIR, cependant, cette nouvelle mesure conditionne non seulement l’obtention du séjour mais permet également de retirer le titre de séjour à toute personne en cas de manquement à ces « principes » constitutif d’un trouble à l’ordre public.

Avec l’adoption de 8 décrets d’application, sur les trente prévus, c’est près d’un tiers du texte qui est désormais entré en vigueur en quelques jours. En attendant les prochaines dispositions introduites dans les décrets restants, ceux qui ont été publiés laissent peu de doute quant à l’approche sécuritaire et répressive de cette loi. Cette dernière ne semble pas répondre aux enjeux primordiaux de l’immigration, tels que l’accueil et l’intégration des personnes étrangères, et présente des risques d’atteinte aux droits des personnes concernées.