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Les révolutions dans le monde arabe inquiètent les Européens

Publié le : 18/03/2011

 

Les bucoliques « printemps arabe » et « révolution du jasmin » qui ont abouti à la chute des vieux régimes autocrates de Ben Ali en Tunisie, de Moubarak en Égypte, puis au soulèvement libyen et aux manifestations dans les pays arabes, inquiètent plus les Européens qu’ils ne les rassurent.

C’est ce que montre un sondage mené en mars 2011 par l’Ifop pour La Croix dans cinq grands pays d’Europe de l’Ouest auprès de 2 543 personnes. Les citoyens des pays du nord de la Méditerranée ont aussi été marqués par les scènes d’immolation, de pillages, de formation de gouvernements transitoires avant d’être démissionnaires et de nouveaux migrants affluant vers la plus proche rive italienne.

Ce sentiment de crainte domine nettement en Italie et en Espagne, pays les plus proches géographiquement de ceux où se produisent ces mouvements.

Le clivage gauche-droite plus marqué en France

Mais elle « ressort aussi clairement en Grande-Bretagne, pays de destination finale de courants d’immigration », analyse Jérôme Fourquet, directeur adjoint à l’Ifop, qui relève en revanche une impression équilibrée entre crainte et espoir en Allemagne, moins visée par l’actuel flux migratoire et moins liée par son histoire coloniale aux pays sud-méditerranéens.

Peut-être aussi plus sensible au parallèle tracé entre les événements arabes et ceux de la chute du mur de Berlin.

L’impression de crainte se lit davantage, dans les cinq pays sondés, parmi les sympathisants de droite. C’est en France, toutefois, que ce clivage ressort le plus nettement. Ceci s’explique du fait que les événements y ont été utilisés à des fins de politique intérieure, à l’instar du déplacement lundi 14 mars de Marine Le Pen sur l’île de Lampedusa en pleine campagne pour les cantonales.

Les Européens craignent l'arrivée au pouvoir d'islamistes

De son côté, Nicolas Sarkozy a justifié le dernier remaniement ministériel au regard de ce contexte international mouvementé.

Dans sa prestation télévisée, le 27 février, consacrée aux événements en Afrique du Nord – une implication dans les événements sans équivalent ailleurs dans l’UE –, le chef de l’État avait évoqué « l’espérance qui vient de naître » mais aussi fait redouter le pire sur le « sort de ces mouvements (…) encore incertain » : « Si toutes les bonnes volontés ne s’unissent pas pour les faire réussir, ils peuvent aussi bien sombrer dans la violence et déboucher sur des dictatures pires encore que les précédentes. »

Au-delà du contexte politique hexagonal, le sentiment dominant de crainte régnant chez les Européens s’explique pour l’essentiel, selon l’étude Ifop, par le doute que les événements dans les pays arabes débouchent sur des régimes démocratiques et ne facilitent au contraire l’arrivée au pouvoir de partis islamistes.

Une perception européenne biaisée

« Les opinions européennes ont complètement intériorisé le discours politique selon lequel islam et démocratie sont incompatibles et la stabilité des anciennes dictatures servait de rempart à l’islamisme », regrette Radhi Meddeb, président de l’Ipemed (Institut de prospective économique du monde méditerranéen), pour qui « la perception de l’Europe est biaisée faute de distinguer la Tunisie de l’Égypte, de la Libye ou de l’Algérie où, dans chacun de ces pays différents, il se produit des événements très différents ».

La crainte européenne de régimes islamistes tranche avec la réalité sur le terrain des contestations. La révolution tunisienne n’était pas animée par une volonté d’établir un régime islamiste. Et en Égypte, le parti des Frères musulmans n’avait pas l’initiative.

Un sondage auprès des 18-24 ans des pays de la région, publié mercredi 16 mars par l’agence Burson-Marsteller, fait d’ailleurs de « la volonté de vivre en démocratie » l’« aspiration n° 1 » des sondés (92 %).

Les flux migratoires au coeur des inquiétudes

« En Europe, les opinions restent marquées par la chute du chah d’Iran, la victoire du FIS en Algérie au début des années 1990 ou la prise du pouvoir à Gaza par le Hamas », rappelle Jérôme Fourquet pour expliquer cette crainte.

Celle-ci est aussi alimentée par une augmentation redoutée du nombre d’immigrants des pays en révolte vers l’Europe.

« Si on veut que les révolutions arabes ne provoquent pas de peurs, il faut que, avec franchise, nous parlions des flux migratoires », a déclaré Nicolas Sarkozy au sommet européen du 11 mars, proposant pour cela la création de « zones humanitaires décentes » en Afrique du Nord, « gérées par les Nations unies » et dont « l’Europe devrait participer au financement et à l’organisation ».

L'opinion publique européenne existe

Mais le sondage Ifop montre aussi que les Européens ne font confiance ni à l’ONU, ni à l’UE, ni à leur pays pour faire face aux conséquences des mouvements agitant les pays arabes. Ce manque de confiance varie toutefois considérablement d’un pays à l’autre.

Les Britanniques ne sont, sans surprise, que 9 % à faire confiance à l’Europe pour agir. A contrario, les Italiens misent sur l’UE, en particulier pour la gestion migratoire et font très peu confiance à leur propre gouvernement, tout comme les Espagnols.

« La crainte des Européens s’exprime à des degrés divers mais le regard est partout de même nature », résume Jérôme Fourquet, pour qui il existe bien, « de Hambourg à la Sicile, une opinion publique européenne face à ces événements ».

Des moyens financiers à concentrer sur le développement

Le sondage Ifop réalisé pour La Croix montre également que Français, Britanniques, Allemands, Espagnols et Italiens placent tous l’aide au développement en priorité des moyens financiers que l’Europe devrait consacrer dans la situation actuelle « afin de fixer sur place les populations ».

« Les Européens comprennent que rien ne sert d’ériger des digues qui ne résisteront à aucun flux de migrants », estime Jérôme Fourquet à l’Ifop, relevant toutefois que cette priorité est davantage présente dans les classes moyennes supérieures (CSP +), tous pays confondus.

« Les CSP + soutiennent très majoritairement l’aide au développement et à la stabilisation quand les milieux populaires, que les événements inquiètent davantage, sont les plus enclins à un renforcement des contrôles aux frontières. » Ce clivage social est plus marqué en France et outre-Rhin.
Des besoins supérieurs aux aides

La demande des Européens renvoie, en pratique, à la préparation en cours d’un nouveau « partenariat pour la démocratie et une prospérité partagée avec le sud de la Méditerranée », proposée le 8 mars par la Commission européenne et le nouveau service européen d’action extérieure et débattue par les Vingt-Sept vendredi 11 mars.

Il repose sur le principe d’une aide en échange de réformes pour établir durablement la démocratie. Le Quai d’Orsay estime toutefois que ce redéploiement des moyens européens est « loin d’être financièrement à la hauteur des immenses besoins ».

Pour Nicolas Sarkozy, les événements offrent l’occasion de relancer l’Union pour la Méditerranée, inaugurée en grande pompe le 13 juillet 2008 et vite paralysée depuis. Mais Paris reste isolé en Europe dans cette volonté de refondation.

Un besoin de partenaires économiques au sud

Le sondage montre aussi que, pour les Français et Allemands en particulier, les changements de régime offrent « plutôt des opportunités de développement de nouveaux marchés » pour leurs entreprises.

Bénédict de Saint-Laurent, conseiller d’un réseau euro-méditerranéen d’acteurs du développement à Marseille, signale « que nous avons besoin des marchés, des partenaires économiques, des ressources et de la croissance de nos voisins du Sud ».

« À tort, ces derniers sont encore perçus au mieux comme des partenaires secondaires ou pas très efficaces, au pire comme des trublions potentiels sur fond de menace terroriste », déplore-t-il, confiant cependant : « Les effets à long terme des révolutions tunisienne et égyptienne devraient être positifs en termes de démocratie, de gouvernance, de redistribution sociale et donc de développement économique durable. »

La Croix, le 17/03/2011