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Publié le : 01/06/2011
Dans un rapport remis au premier ministre le 13 avril, le Haut Conseil à l'intégration (HCI) formule plusieurs propositions visant à "enrayer les phénomènes de désintégration". Il recommande notamment de durcir les conditions posées pour l'entrée en France des étrangers mariés à des Français en alignant ces conditions sur celles du regroupement familial : la venue des intéressés ne devrait être autorisée que si le conjoint français dispose d'un logement d'une superficie suffisante et de revenus d'un montant au moins égal au smic sur une période d'un an. Les citoyens français n'ayant pas un emploi stable ou un logement adéquat n'auraient donc plus le droit de vivre en France avec leur conjoint étranger! Le HCI a manifestement une curieuse conception de l'égalité républicaine…
Le HCI rejoint ainsi le gouvernement en plaidant pour une réduction de l'immigration familiale légale qu'il n'hésite pas à ranger lui aussi dans la catégorie "immigration subie". Promouvoir l'intégration tout en signifiant aux étrangers membres de famille que leur venue en France n'est ni "choisie", ni par conséquent souhaitée, n'est au passage pas le moindre des paradoxes… Mais pour le HCI, le durcissement préconisé serait nécessaire. Des études, dont il ne précise pas les références, révéleraient que de nombreuses familles franco-étrangères vivent en situation de précarité sociale en France. Or, "la venue des conjoints, sans que soient exigées des conditions de ressources et de logement, pose dès le départ pour les moins favorisés un handicap en matière d'insertion et d'intégration". Pour éviter à certains étrangers des difficultés d'intégration, le HCI n'a donc rien trouvé de mieux que proposer de leur interdire de rejoindre leur conjoint français !
Et si l'on inversait la logique en redonnant par exemple un accès rapide et automatique à la carte de séjour de dix ans aux étrangers mariés à des Français ? Autrement dit, cesser de les maintenir dans une précarité administrative à l'origine de nombreuses difficultés. Louer un appartement, trouver un CDI, obtenir un prêt pour financer un projet professionnel, etc. : autant de démarches, nécessaires à l'intégration tant exigée, qui sont beaucoup plus difficiles lorsqu'on ne présente qu'un titre de séjour temporaire dont le renouvellement n'est jamais définitivement garanti.
En réalité, la préoccupation du HCI est ailleurs. Affirmant que le mariage franco-étranger est devenu la principale source d'immigration, il souligne qu'"au cours des années 1990, un nouveau mode d'immigration familiale s'est développé. Il concerne les immigrés naturalisés ou enfants issus de l'immigration possédant la nationalité française et allant chercher un conjoint au pays d'origine". Or, poursuit-il, "on peut s'interroger sur la pratique consistant, de façon quasi systématique, à aller chercher un conjoint dans le pays d'origine, perpétuant ainsi une endogamie matrimoniale qui ne peut être considérée comme un facteur d'intégration". Que le caractère "quasi systématique" de ces unions dites "endogames" soit est en partie contredit par des chiffres donnés par le HCI lui-même n'empêche pas ce dernier de conclure sur un ton alarmiste : "à terme, la généralisation de ces pratiques matrimoniales pourrait conduire à la constitution de communautés ethniques, plus favorables au communautarisme qu'à l'intégration". Il faut alors comprendre que limiter l'arrivée d'étrangers mariés à des Français d'"origine étrangère" serait une décision salutaire si l'on veut garantir la cohésion nationale.
Longtemps considéré comme un indicateur de l'intégration des étrangers en France, le développement des mariages franco-étrangers est donc devenu, au yeux du HCI, le révélateur de l'intégration défaillante de certains Français, ceux issus d'une immigration récente, pour l'essentiel africaine. Car de tels mariages, lorsqu'ils sont conclus avec un étranger de même origine, entretiendraient (ou réactiveraient) chez ces Français une "identité étrangère" promettant un développement du communautarisme. Ils questionneraient une intégration qu'on leur demande sans cesse de prouver, y compris désormais à travers leurs choix matrimoniaux, même s'ils sont nés et ont vécu toute leur vie en France. En 2008, le rapport Mazeaud disait déjà la même chose lorsqu'il évoquait "le cas fréquent d'un 'mariage mixte' qui l'est juridiquement, mais non culturellement (l'accueillant, de nationalité française, est issu de l'immigration et son conjoint provient du même pays, de la même région, souvent du même village que sa famille)".
Au contraire, le HCI relève un indicateur, qu'il juge positif, "de la réalité de l'intégration des immigrés dans notre pays : 65 % des descendants d'immigrés vivent en couple avec des personnes de la 'population majoritaire'", c'est-à-dire non seulement de nationalité mais aussi "d'origine" françaises. L'intégration des Français issus de l'immigration n'est alors pas pensée qu'en terme d'assimilation culturelle par le HCI. Elle est aussi, par le métissage des enfants nés de leur union avec des personnes de la "population majoritaire", une assimilation ethnique. Car c'est bien à la constitution de "communautés ethniques", et non simplement culturelles, que nous exposeraient les mariages entre Français et étrangers de même "origine" s'ils devaient se développer…
Suggérer de limiter la présence en France de familles franco-étrangères nées d'unions dites endogames n'est certes pas une nouveauté. Déjà en 2007, le Comité interministériel sur l'immigration avait proposé de soumettre la délivrance d'un titre de séjour aux étrangers mariés à des Français à la condition que le lien du couple avec la France soit plus fort que celui qu'il entretient avec le pays dont est issu le conjoint étranger… Ce sont évidemment les couples impliquant des Français "issus de l'immigration" qui devaient être visés par des refus de séjour et contraints de vivre leur vie familiale hors de France. Mais il semble bien, à la lecture du rapport du HCI que ce soit ce prix à payer si l'on veut préserver l'identité nationale…
Le Monde, le 31/05/2011