Cet article est issu de la Lettre de l'asile et de l'intégration, newsletter bimestrielle de France terre d'asile qui propose un éclairage sur des problématiques liées à l'asile et l’intégration en France. Inscrivez-vous pour la recevoir !
Le 14 juin, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) examinait les cas de trois femmes venant d’Afghanistan, du Mexique et d’Albanie, ayant subi ou craignant de subir des persécutions du fait de leur genre. Ces cas témoignent d’une prise en compte plus importante des questions de genre dans le droit d’asile, mais aussi des limites et complexités que cela implique.
Le 11 juillet 2024, la CNDA a conclu que « […] les femmes et les jeunes filles afghanes, qui refusent de subir [des] mesures discriminatoires portant atteinte à leurs droits et libertés fondamentaux du seul fait qu’elles sont de sexe féminin, sont fondées à obtenir le statut de réfugiées ». Le jugement a été rendu à la suite d’un recours contre une décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), qui avait refusé le droit à une protection internationale à une demandeuse d’asile afghane.
La CNDA établit que les femmes afghanes constituent un « groupe social » victime de persécutions du fait de leur genre, et qu’à ce titre elles sont susceptibles de se voir reconnaître le statut de réfugiée. Elle a en effet jugé que les femmes afghanes remplissaient les deux critères de la directive européenne « qualification » fixant la définition d’un groupe social : « une caractéristique innée ou une histoire commune qui ne peut être modifiée » et « une identité propre », du fait qu’elles soient perçues comme un groupe « différent par la société environnante ». Pour les groupes sociaux liés au genre, il faut par ailleurs que la Cour considère qu’il y a un climat sociétal de persécution à l’encontre de ce groupe, que ce soit par des normes législatives ou culturelles.
Être une femme, un motif de protection internationale
La Convention de Genève (1951), fixant les règles de protection des réfugiés en droit international, pose qu’une personne peut se voir accorder une protection internationale si elle subit, ou craint avec raison, de subir des persécutions basées sur un de ces cinq motifs : sa race (ou « ethnie »), sa religion, sa nationalité, son appartenance à un groupe social, ou son opinion politique.
Le risque de persécution au motif de l’appartenance à un groupe social est dès le départ un critère large aux limites floues, que les différentes Cours ont pu mobiliser pour octroyer le droit à la protection à des personnes ne rentrant pas clairement dans un des quatre autres motifs. Son interprétation a évolué depuis l’adoption de la Convention de Genève : le motif a jusque-là été utilisé pour reconnaître des persécutions liées notamment à l’orientation sexuelle, à l’appartenance à la communauté LGBTI, ou encore des persécutions à l’encontre des personnes atteintes d’albinisme.
En théorie, pour appuyer sa demande d’asile, la personne doit pouvoir prouver que l’État a refusé ou n’est pas en mesure d’offrir une protection contre les persécutions qu’elle subit ou craint de subir. Or, les femmes victimes de violences partent souvent sans avoir sollicité de protection des autorités, sachant que cette protection serait inexistante ou insuffisante. La CJUE a précisé à ce sujet dans un arrêt de janvier 2024 que l’action des autorités pour protéger les femmes contre les violences sexistes et sexuelles pouvait être directement réputée comme non effective dans certains pays.
Jusqu’à présent, en France, les violences sexistes et sexuelles ont le plus souvent été qualifiées de persécutions en les rattachant à d’autres motifs de protection, et non pas par le fait qu’elles constituent des violences basées sur le genre. Ainsi, en 2021 la CNDA accordait la protection internationale à une femme afghane et ses enfants qui étaient exposés à des persécutions suite à son refus d’honorer la pratique du lévirat, imposant à une veuve d’épouser le frère de son mari défunt. Dans ce cas, la protection avait été octroyée en raison de persécutions pour des motifs religieux.
De la même manière, la reconnaissance de certaines femmes en tant que groupes sociaux est le plus souvent liée à des risques de persécutions spécifiques, et non à la condition des femmes dans leur ensemble au sein d’un pays. En 2012, le Conseil d’Etat reconnaît pour la première fois un groupe social de victimes d’une persécution liée au genre, avec la reconnaissance des filles victimes de mutilations sexuelles féminines, tendance qui s’est poursuivie ces dernières années avec la reconnaissance par la CNDA de groupes similaires au Sénégal, en Egypte et au Sri Lanka. En 2017, la CNDA reconnaît par ailleurs comme groupe social les femmes nigérianes victimes d’un réseau transnational de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle.
« Une restriction systématique de leurs libertés et une mise au ban de la société afghane »
Depuis leur arrivée au pouvoir en août 2021, les Talibans ont imposé des restrictions drastiques sur l’ensemble de la population du pays, et en particulier sur les femmes et les filles. Celles-ci se sont progressivement vu interdire le droit d’apparaître seules en public, de poursuivre leurs études au-delà de l’école primaire pour les jeunes filles, ou encore l’accès aux jardins publics. Les femmes et filles afghanes subissent également une augmentation des mariages d’enfants et mariages forcés, des violences basées sur le genre, et des féminicides, contraignant beaucoup d’entre elles à fuir le pays.
Le 3 octobre 2023, une des chambres de la CNDA avait déjà octroyé le statut de réfugiée à une femme afghane du fait de son appartenance au groupe social des femmes dans ce pays, en raison de « l’accumulation des mesures prises par les autorités talibanes tendant à une restriction systématique de leurs libertés et une mise au ban de la société afghane ». Cette décision n’avait toutefois été rendue que dans le cadre d’une formation dite collégiale, que les autres juges de la Cour ne sont pas tenus de suivre.
La décision du 11 juillet 2024 en revanche, rendue en « grande formation », fait jurisprudence. Il s’agit d’une excellente nouvelle très attendue pour la protection des Afghanes puisqu’elle constitue un précédent pour octroyer la protection à d’autres femmes dans des situations similaires. Toutefois, cet arrêt ne signifie pas que toutes les femmes afghanes seront protégées automatiquement si elles parviennent à rejoindre la France : toute demandeuse devra toujours faire état de craintes personnelles de subir des persécutions du fait d’être une femme en Afghanistan.
Enfin, la Cour n’a pas reconnu les femmes mexicaines et albanaises en tant que groupe social susceptible de faire l’objet d’une protection internationale. Elle a estimé que les autorités de ces deux pays ont eu une action en faveur de la protection des femmes contre les discriminations et les violences, et que ces discriminations et violences ne constituent pas une norme sociale, morale ou juridique, contrairement à la situation en Afghanistan.
Il n’est pas pour autant impossible pour les femmes ressortissantes de ces pays de faire reconnaître leur besoin de protection, mais les preuves des violences subies et de l’inaction de l’État devront être plus importantes. À noter que le Mexique demeure le pays connaissant un des plus forts taux de féminicides au monde.