Cet article est issu de la Lettre de l'asile et de l'intégration, newsletter bimestrielle de France terre d'asile qui propose un éclairage sur des problématiques liées à l'asile et l’intégration en France. Inscrivez-vous pour la recevoir !
Dans les prochaines semaines, le gouvernement prévoit de réformer l’aide médicale de l’Etat destinée aux personnes migrantes en situation irrégulière. Remise en cause dans le cadre des négociations entre le gouvernement et Les Républicains en amont de l’adoption de la loi immigration du 26 janvier 2024, ce dispositif constitue pourtant une ressource vitale pour les personnes exilées, bien qu’elle reste difficile d’accès
Entrée en vigueur en 2000, l’aide médicale de l’État (AME) permet l’accès aux soins des personnes migrantes en situation irrégulière. Considérée comme un « dispositif public essentiel », elle autorise la prise en charge à 100% de certains soins médicaux et hospitaliers sans avance de frais. Les personnes éligibles, à l’exception des mineurs, doivent remplir des conditions spécifiques (temps de résidence d’au moins trois mois, ressources inférieures à 847 euros par mois pour une personne seule vivant en métropole). Par ailleurs, l’AME doit être renouvelée tous les ans et n’est pas applicable à Mayotte.
Un droit individuel, une protection collective
Dans son rapport 2023, l’Observatoire de l’accès aux droits et aux soins de Médecins du Monde affirmait que 57% des patients en situation administrative irrégulière présentent au moins une maladie chronique. Particulièrement touchées par des problèmes de santé liés à des traumatismes physiques ou psychologiques vécus dans les pays d’origine ou au cours de leur parcours migratoire, l’état de santé des personnes migrantes est souvent aggravé par leurs conditions de vie très précaires sur le territoire. La Fondation Jean Jaurès souligne en effet une tendance à la dégradation de la santé pour les personnes dans une situation socio-économique précaire. L’AME répond ainsi aux besoins importants d’un public particulièrement vulnérabilisé.
Cette prise en charge ne bénéficie pas seulement à l’individu, mais aussi à la société dans son ensemble : la dégradation de la santé individuelle rend la collectivité plus vulnérable à la propagation de maladies et d’épidémies. Ainsi, en Espagne, la restriction de l’accès aux soins pour les personnes en situation irrégulière en 2012 a donné lieu non seulement à une augmentation de 15% de la mortalité pour les personnes en situation irrégulière, mais également à une incidence plus élevée de maladies infectieuses, qui a finalement conduit à l’abrogation de la réforme en 2018. L’AME permet également de prévenir la dégradation de l’état de santé de personnes qui entraineraient des interventions plus complexes et des hospitalisations prolongées plus coûteuses dans un système public de santé déjà très fragilisé. Ainsi, dans une tribune publiée en novembre 2023, 3000 soignants dénonçaient les retards de diagnostic et le report sur des services de PASS et d’urgences surchargés que de telles réformes entraineraient.
Des attaques politiques incessantes malgré le consensus scientifique
Ciblée depuis des années par les tenants d’une politique migratoire très restrictive, l’AME a de nouveau fait l’objet de débats lors de l’examen du projet de loi asile immigration. Les détracteurs du dispositif lui reprochent son coût et sa responsabilité dans un prétendu « appel d’air » qui encouragerait l’immigration irrégulière en France. Au cours de l’examen du projet de loi au Sénat, le groupe des Républicains proposait de remplacer l’AME par une Aide Médicale d’Urgence (AMU) qui n’aurait couvert un nombre de soins très inférieur. Cette mesure a finalement été retirée du texte en commission mixte paritaire, après qu’Elisabeth Borne se soit engagée à réformer le dispositif par la suite. En mars 2024, le groupe des Républicains a déposé une proposition de loi visant à organiser un référendum d’initiative partagé sur les dispositifs sociaux jugés « attrayants » pour les personnes migrantes, qui comprenait notamment la suppression et le remplacement de l’AME. Cette proposition a finalement été jugée contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel.
Si les réformes proposées par les Républicains n’ont pas été approuvées, le Premier Ministre, Gabriel Attal, a pris l’engagement de modifier l’AME par voie réglementaire avant l’été, l’associant à la « lutte contre l’immigration illégale (qui) doit continuer à s’intensifier ». Les pistes de réforme du gouvernement tendent nettement vers une restriction de l’accès à l’AME pour les personnes étrangères. Début avril, le ministre délégué chargé de la santé et de la prévention, Frédéric Valletoux, annonçait la « conjugalisation » de l’AME : ce serait à présent la somme des revenus du bénéficiaire et de son éventuel conjoint qui devrait être inférieurs au plafond de ressources. Ce plafond dépassé, la personne ne disposerait plus de couverture maladie, et serait dépendante de son conjoint pour son assurance médicale et la prise en charge ses frais médicaux. Les associations s’inquiètent de la perte d’autonomie que cette mesure occasionnerait, tout particulièrement pour les femmes en situation irrégulière dont l’autonomie financière est particulièrement difficile à acquérir, ainsi que de la dégradation de l’accès aux soins qui pourraient en découler, notamment pour les femmes victimes de violences. D’autres pistes de réformes pourraient conduire à l’obligation de présenter des documents d’état civil pour l’ouverture et le renouvellement des droits AME, à l’obligation de demander leur renouvellement annuel au guichet de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), à la réintroduction du droit de timbre ou encore la restriction du panier de soins couverts par le dispositif.
Un non-recours très élevé et un public des plus vulnérables
Les détracteurs de l’AME soutiennent qu’il s’agirait d’un dispositif trop généreux, attrayant, facile d’accès qui encouragerait l’immigration vers la France. Pourtant, les conclusions du rapport Evin-Stefanini de 2023 mandaté par le gouvernement confirment bien que l’AME ne contribue pas à l’augmentation des flux migratoires, soulignent l’utilité sanitaire de ce dispositif et attirent l’attention sur le nombre important de personnes éligibles n’y ayant pas accès. En effet, d’après une étude de l’Irdes (2019), seulement 51% des personnes éligibles bénéficient de l’AME, et après cinq années ou plus de résidence en France, 35% des personnes sans titre de séjour n’y ont toujours pas accès. La méconnaissance du dispositif et la complexité administrative constituent des entraves majeures pour y accéder, tandis que la validité d’un an implique des démarches administratives très fréquentes, entraînant un risque de rupture de droits et de soins pour un public déjà très vulnérable. Les acteurs de terrain rappellent également que l’AME ne représente que 0,47% du budget de l’assurance maladie.
Enfin, comme le souligne l’Irdes dans son enquête sur l’accès aux soins des bénéficiaires de l’AME, l’accès au système de santé n’est pas seulement une question éthique et humanitaire. Il est aussi conforme au droit universel aux soins, établi par la Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et le préambule de la Constitution française.
L’AME demeure donc un filet de sécurité crucial pour les personnes migrantes en situation irrégulière en France même si des obstacles persistants entravent leur accès à des soins de santé essentiels. Alors que la remise en question constante des droits des personnes migrantes perdure, il est crucial de garantir la dignité de leurs conditions de vie, et de veiller à ce que leurs droits ne soient pas sacrifiés.